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mardi 31 juillet 2018

Hôpital : la grande mue des urgences......Aux urgences de Lariboisière, " la désillusion totale " pour le personnel soignant.....


31 juillet 2018

Hôpital : la grande mue des urgences

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 Cet été, plusieurs services d'urgences tournent au ralenti ou même ferment, faute d'avoir trouvé des médecins remplaçants pour assurer les soins
 Si le nombre global de ces services a augmenté, les créations se font dans le domaine privé, tandis que les urgences publiques désertent les zones rurales
 Alors que le chiffre des admissions a doublé en vingt ans, le gouvernement veut redéfinir les missions et l'organisation de ce secteur débordé
 Aux urgences traditionnelles se substituent peu à peu des structures plus légères : les centres de soins non programmés
Pages 8-9
© Le Monde


31 juillet 2018

La lente transformation des urgences hospitalières

Alors que des structures publiques ferment, certains services deviennent des centres de soins non programmés

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Après avoir dû fermer la nuit en juillet, les urgences de Saint-Vallier (Drôme) vont suspendre leur activité pendant trois semaines en août, faute de médecins urgentistes pour en assurer le fonctionnement, a annoncé la direction de l'hôpital, vendredi 27 juillet. Un phénomène qui touche chaque été des " petits " services d'urgences, incapables à ce moment de l'année de recruter des médecins remplaçants.
Si ces suspensions suscitent généralement l'inquiétude et la colère des habitants et des élus locaux, c'est parce qu'elles sont souvent le prélude à une fermeture définitive et possiblement à une transformation en centres de soins non programmés (CNSP), aux attributions et aux horaires plus réduits que les urgences.
Entre 1995 et 2016, 95 services d'urgences publics ou privés non lucratifs ont été fermés, principalement dans le nord et l'est de la France, selon les données collectées et analysées pour LeMonde par le géographe de la santé Emmanuel Vigneron. Au cours de cette période, 173 – aux trois quarts issus du secteur privé à but lucratif – ont ouvert leurs portes. Soit un solde net en vingt ans de 78 services supplémentaires.
Les 124 services d'urgence créés depuis 1996 dans les hôpitaux et cliniques privés, qui contribuent largement à ce chiffre positif, l'ont surtout été dans des zones urbaines. Ils sont soumis au même cahier des charges que ceux des hôpitaux publics : ouverture vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, présence de médecins urgentistes… Ils répondent à une demande de soins non prévus mais parce qu'ils disposent souvent de plateaux techniques réduits et de lits de médecine en plus petit nombre, ils prennent moins en charge les personnes âgées polypathologiques qui " embolisent " les urgences publiques.
" Ces urgences privées ont été créées dans une stratégie concurrentielle, dit un médecin du public.A partir d'une certaine taille, une clinique ou un hôpital privé n'arrive pas à remplir ses lits qu'avec de l'activité programmée, il lui faut donc recruter de nouveaux patients… "
Cette recomposition de la carte des urgences a eu lieu alors que les passages dans ces services ont été multipliés par deux en vingt ans, passant de 10,1  millions en  1996 à 21 millions en  2016. Une hausse qui interroge les autorités sanitaires. Quelle doit être la finesse du maillage de ces services ? Comment adapter au mieux l'offre de soins urgents non programmés, alors que le nombre de généralistes libéraux ne cesse de diminuer ?
A la rentrée, doit s'ouvrir le chantier de la réforme des autorisations de médecine d'urgence visant à " repenser l'organisation territoriale  à l'horizon 2020 ", selon unecirculaire publiée par le ministère de la santé, en  mai. Hasard du calendrier, cette réflexion devrait être lancée lors de l'annonce par le chef de l'Etat d'une importante réforme du système de soins.
" Doit-on maintenir les 650 services en France ? Dès lors que l'aide médicale urgente est assurée via un service mobile d'urgence (SMUR), on peut s'interroger ", estime François Braun, le président de SAMU-Urgences de France, qui plaide pour une analyse " territoire par territoire ". " Le nombre de services d'urgences est aujourd'hui à un seuil en dessous duquel la population est en danger ", prévient Christophe Prudhomme, de l'Association des médecins urgentistes de France et de la CGT-Santé.
La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a déjà prévenu qu'elle pourrait être amenée à "fermer certains services d'urgence de proximité la nuit ". Dans les tuyaux, la poursuite du développement de " centres de soins non programmés ", comme cela a notamment été le cas ces dernières années à Valognes (Manche), Aunay-sur-Odon (Calvados), Champagnole (Jura), Thann (Haut-Rhin), Longjumeau (Essonne) ou Cluses (Haute-Savoie, en  2013). La philosophie de ces lieux ? Permettre la prise en charge des soins urgents non vitaux grâce à des médecins qui ne sont plus forcément urgentistes, à des heures d'ouverture correspondant – idéalement – aux heures de plus forte affluence, par exemple jusqu'à 22 ou 23  heures, ainsi que le week-end. Les patients, à qui il pourrait être demandé d'appeler d'abord le SAMU pour une première évaluation, y sont théoriquement plus rapidement pris en charge.
Du " sur-mesure "" On pourrait imaginer la mise en place d'un certain nombre de centres de soins non programmés en substitution ou en complément des structures d'urgence existantes ", explique un participant aux futures discussions au ministère. Les réflexions récentes sur le sujet, comme celles du député LRM de Charente Thomas Mesnier, tournent toutes autour de cette idée consistant à mieux répondre aux soins urgents grâce à des structures de proximité, comme il existe aujourd'hui des maisons médicales de garde, sans pour autant systématiquement déployer l'arsenal lourd requis par les urgences.
En Auvergne-Rhône-Alpes, l'ARS, l'agence régionale de santé, a choisi de ne pas attendre un changement du cadre légal pour faire évoluer certains sites. Jusqu'à treize services d'urgence pourraient être transformés en CSNP d'ici cinq ans. " On ne ferme rien, on réadapte le système en fonction des besoins de la population ", dit au MondeJean-Yves Grall, le directeur de l'ARS, en réaffirmant son souhait de voir l'aide médicale urgente vitale " sanctuarisée ". Parmi les critères retenus : la typologie des patients pris en charge, la présence d'un SMUR et l'éloignement d'un autre service d'urgence.
Le sujet est sensible et peut rapidement déclencher de fortes levées de boucliers. La publication, il y a trois ans, par LeFigaro, d'une liste de 67 services en France susceptibles de fermer car sous le seuil des 10 000 passages par an avait suscité l'émoi – et des démentis en chaîne – dans chacune des communes concernées. Jean-Yves Grall, qui avait à l'époque défini ce seuil dans un rapport remis à la ministre de la santé, Marisol Touraine, assure vouloir faire du " sur-mesure " dans sa région. " Il se peut que dans cinq ans on n'ait rien changé ", prévient-il, prudent.
D'autres régions réfléchissent à des évolutions similaires. En Grand-Est, où il existe déjà trois CSNP, l'ARS dit identifier cinq services qui pourraient être amenés à évoluer en ce type de centre. En Ile-de-France, l'ARS explique dans son récent projet régional de santé que dans les prochaines années, " les services d'urgence seront recentrés sur leur cœur de métier en s'appuyant sur le développement d'une offre alternative de services à la population, notamment en ville, là où c'est possible ".
Toutes les régions n'en sont pas au même stade de réflexion. En Occitanie, la directrice de l'ARS, Monique Cavalier, assure que " même s'il y a des endroits pour lesquels la question se pose ", elle assure qu'à ce stade " ce n'est pas une réflexion que l'ARS souhaite mener de façon systématique ", et elle sera menée " quand le droit nous y autorisera ".
François Béguin
© Le Monde

31 juillet 2018

" L'Etat doit affirmer l'existence d'exceptions territoriales "

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Emmanuel Vigneron est géographe et historien de la santé, professeur à l'université de Montpellier et auteur de L'Hôpital et le Territoire (SPH éditions, 2017).


Comment expliquer la place prise par les services d'urgences dans notre système de santé ?

Ces services se sont toujours développés en réponse à une carence de la médecine de ville. Vers 1860, dans des villes qui étaient en pleine croissance, les médecins libéraux refusaient de se déplacer la nuit. La police prit l'habitude de conduire les blessés, les accidentés, les " poivrots " à l'hôpital où il y avait un interne, le plus souvent en chirurgie. La présence de médecins s'est progressivement imposée, surtout lors des épidémies infectieuses. En cent ans, les urgences sont devenues davantage médicales que chirurgicales.


Toutes relèvent alors de l'hôpital public ou du privé à but non lucratif…

Jusqu'à la fin des années 1980, l'hôpital public exerce un monopole de fait. En  1989, près de 1 400 services proposent des réponses de niveaux très différents, aucune loi ne les réglementant. Le niveau atteint par la réanimation médicale dans les années 1980 permet à la médecine d'urgence de mieux se définir. A partir de 1996, une succession de décrets et d'ordonnances vient préciser les obligations, ce qui réduit mécaniquement le nombre de sites. Parallèlement, dans chaque département, se mettent en place un SAMU, des SMUR, un centre 15.


Pourquoi les cliniques privées choisissent-elles alors d'investir ce secteur ?

Au début des années 2000, on commence à manquer de médecins libéraux. En  2003, un décret supprime l'obligation de participer aux gardes de nuit. Les patients se tournent vers les urgences. Les cliniques privées, qui, au départ, ne voulaient pas de tels services, voient une partie de leur clientèle partir vers le public, lequel n'a pas les moyens d'investir comme il le devrait. Pour ne pas perdre ces patients, elles réclament des autorisations, que l'Etat leur accorde au compte-gouttes, par crainte de voir les dépenses s'envoler. En les additionnant, il y en a tout de même eu 124 en vingt ans.


Au cours de cette période, l'hôpital public ferme 46 services. Comment l'expliquer ?

Globalement la puissance publique a plutôt bien résisté. Elle a supprimé un petit nombre de services dans les petites villes de la vieille France industrielle souvent rurale mais en a maintenu beaucoup. De 7  % à 8  % de la population, soit 5 à 6 millions de Français, demeurent loin des urgences, ce n'est pas rien.


D'autres services de proximité pourraient être amenés à fermer la nuit…

Les efforts sont de plus en plus difficiles à accomplir car ils concernent de moins en moins de monde. Il y a un vrai sujet d'abandon des zones rurales où la population n'est même plus suffisante pour permettre la viabilité d'un service, même tournant au ralenti et " à perte ", surtout la nuit ! Mais abandonner ces établissements à leur sort, ce serait abandonner des territoires et leurs habitants.


Quelles sont les alternatives ?

Les habitants de ces territoires sont des Français comme les autres : il n'y a pas à leur faire la charité. L'Etat doit affirmer l'existence d'exceptions territoriales. Il ne doit jamais y avoir de fermeture sans mise en place de solution alternative. Pas de recomposition sans solution proposée à la population ; pas de " fermeture " sans maintenir ouvertes les portes d'accès. Des solutions d'acheminement peuvent être améliorées : antennes des services mobiles d'urgence, développement des transports héliportés médicalisés…


Il est question de développer des centres de soins non programmés pour répondre à la hausse de la demande…

C'est un niveau qui a toujours manqué. De tels centres de diagnostics, dotés des moyens requis, de traitements, si possible, et d'orientations, si nécessaire, doivent être ouverts partout. Tous les médecins du territoire doivent pouvoir y accrocher leur blouse. Ce serait à la fois un gage de qualité et d'égalité.
propos recueillis par Fr. B.
© Le Monde


31 juillet 2018

Aux urgences de Lariboisière, " la désillusion totale " pour le personnel soignant

Plusieurs salariés de l'hôpital parisien racontent la dégradation de leurs conditions de travail en raison d'effectifs insuffisants face à la hausse récente du nombre de patients

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A BREST, UN DÉCÈS QUI INTERROGE
Dans une lettre ouverte publiée le 22 juillet, et largement relayée sur les réseaux sociaux, une femme dénonce le traitement " inhumain " réservé à sa mère, 61 ans, aux urgences de l'hôpital de la Cavale-Blanche, à Brest, dix jours plus tôt. Si elle n'attribue pas à l'établissement la responsabilité du décès de sa mère, lié à un " choc sceptique ", elle estime en revanche que celle-ci a souffert de douleurs abdominales aiguës " pendant plus de douze heures dans l'indifférence du personnel soignant " avant d'être prise en charge. Interrogée par Ouest-France, la direction du CHRU a annoncé avoir pris contact avec la jeune femme pour " lui apporter des réponses concrètes " et a dit ne pas souhaiter communiquer avant d'avoir pris connaissance de l'enquête interne en cours.
Confrontés à une hausse continue du nombre de patients, les personnels soignants des urgences de l'hôpital Lariboisière, dans le 10e arrondissement de Paris, sont à bout. Le 20 juillet, l'USAP-CGT, le premier syndicat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a publié un communiqué pour alerter sur une situation devenue " insoutenable ", le remplacement des agents partant en vacances cet été ayant été " divisé par deux ".
Sous couvert d'anonymat, plusieurs salariés racontent au Monde la dégradation de leurs conditions de travail ces derniers mois, en raison, selon eux, d'un manque d'effectifs pour faire face à la hausse de la fréquentation. De 230 passages par jour en moyenne, le service – l'un des plus gros de France – s'est rapproché des 300 passages quotidiens, avec des pics à 340 le 21  juin pour la Fête de la musique, et le 16  juillet, juste après la victoire de la France en finale de la Coupe du monde de football.
Pour faire face à ce type d'événements, la direction assure que " des renforts de professionnels soignants aux urgences sont systématiquement prévus ". Plusieurs membres du personnel affirment pourtant que leurs effectifs n'ont pas été renforcés au cours de ces deux jours. " Le soir de la finale, nous n'avons pas pu faire les examens radio pour tout le monde, il a fallu faire des choix ", raconte un manipulateur radio. " S'il y avait eu un attentat ce soir-là, on n'aurait jamais pu gérer ", dit, exaspéré, un jeune médecin.
Conséquence plus générale de la hausse de la fréquentation : le temps d'attente dans l'établissement se serait fortement accru. Il serait, certains jours, entre six et dix heures, sans qu'il soit possible de le réduire, ce qui génère de l'agressivité chez certains patients. " En moyenne, on est deux infirmiers et un aide-soignant pour chaque secteur de soins, y compris l'accueil, résume une jeune infirmière de jour. On n'a même plus le temps d'instaurer un dialogue, et d'expliquer aux gens les soins qu'on va leur faire. "
Situations à risquesLa frustration et l'agacement, chez les soignants comme chez les patients, détériorent inévitablement ce qu'elle considère être le pilier de son métier : le contact humain. " On est très stressés, il faut que ça avance, alors on passe pour des personnes peu aimables. " Même constat pour cette autre infirmière de 40 ans, en poste à Lariboisière depuis trois ans. " Je me retrouve à avoir un comportement qui ne me ressemble pas, confie-t-elle. L'autre jour encore, je me suis pris une énorme claque quand un patient m'a demandé pourquoi j'étais si agressive. "
Une chose est sûre : elles ne s'attendaient pas à devoir travailler dans ces conditions. " C'est la désillusion totale, admet l'une d'elle. Je fais mal mon boulot, et je ne m'épanouis pas. Je me dis souvent que je ne vais pas faire ça toute ma vie. "
Plusieurs soignants décrivent également des situations à risques de plus en plus fréquentes, selon eux, pour les patients. Une infirmière relate, par exemple, une scène, au cours de laquelle un patient aurait fait un infarctus en salle d'attente, après avoir attendu plus d'une demi-heure pour accéder à l'espace de soins. " Il aurait vraiment pu mourir ", s'indigne-t-elle.
Le manque de places au sein des différents secteurs de soins (où sont dirigés les patients après avoir été vus par une" infirmière de triage ") génère aussi régulièrement des situations de détresse pour les plus fragiles. " Quand j'arrive à 21 h 30, les treize brancards dont on dispose sont presque tous occupés, raconte une aide-soignante de nuit. On se retrouve donc à devoir faire attendre des personnes âgées de 80 ou 90 ans dans la salle avec tout le monde, pliées en deux sur leur chaise. C'est juste inhumain. "
Derrière ce sombre tableau, tous s'accordent à dire que c'est dans l'entraide et la bonne ambiance au sein des équipes qu'ils trouvent la motivation de se lever chaque jour pour venir aux urgences. Mais certains craignent que la situation n'empire dans les années à venir, une fois que l'hôpital Bichat, situé dans le 18e arrondissement, aura été transféré à Saint-Ouen, de l'autre côté du périphérique.
Depuis le début de l'été, plusieurs réunions ont eu lieu entre le personnel et la direction, dont un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail extraordinaire le 25  juillet, réclamé par la CGT. " On ne demande pas plus de vacances, ni d'augmentation de salaire, précise une infirmière. On veut juste être renforcés dans nos équipes, pour travailler en sécurité, et assurer celle des patients. "
Dans l'idéal, le personnel souhaiterait " vingt infirmiers, vingt aides-soignants et dix médecins supplémentaires ". L'assurance aussi que " toutes les absences soient remplacées ". De son côté, la direction s'est engagée à " sécuriser les renforts humains (jour et nuit) pour les pics d'activité prévisibles " et à " sécuriser les remplacements des absences longues des agents ".
La direction assure qu'elle " remplace systématiquement et sans délai l'ensemble des départs des agents des urgences " et que " tous les postes sont aujourd'hui pourvus ".Une session de travail doit se tenir le 9  août avec les différents acteurs. Après avoir été sollicités par le Monde, des membres de la direction se sont rendus aux urgences de Lariboisière pour observer la situation, et discuter avec le personnel. Mais la direction du service n'a pas souhaité répondre à nos questions.
Audrey Paillasse
© Le Monde


31 juillet 2018

Urgences : une réforme toujours en attente

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La canicule qui sévit encore en France, même si elle n'a pas la même ampleur et ne provoque pas les mêmes dégâts qu'en  2003, repose la question du rôle des urgences. Pivot de l'organisation sanitaire, ces services qui opèrent à l'interface entre médecine de ville et hôpital, soins de routine et intervention de pointe, peinent à faire face à une multitude de demandes. En vingt ans, le nombre de patients des urgences hospitalières est passé de 10,1  millions, en  1996, à 21  millions, en  2016. Mais, comme le souligne dans nos colonnes, le professeur Emmanuel Vigneron, historien de la santé, " 7 % à 8  % de la population, soit 5 à 6  millions de Français, demeure loin des urgences "" Il y a un vrai sujet d'abandon des zones rurales, ajoute-t-il, où la population n'est même plus suffisante pour permettre la viabilité d'un service même tournant au ralenti et “à perte”… surtout la nuit. "
Chaque été, des petits services d'urgences suspendent leur activité au mois d'août, faute de médecins urgentistes ou remplaçants pour assurer leur fonctionnement. Dans l'un des plus gros services de France, celui de l'hôpital Lariboisière, à Paris, la situation est, selon la CGT, devenue " insoutenable ", le remplacement des agents en congé ayant été divisé par deux alors que la fréquentation est en hausse constante cet été, avec des pics de 300  passages quotidiens au lieu de 230 en moyenne. Le résultat est que le temps d'attente augmente et que le contact humain entre les patients et les soignants, primordial dans ces centres, se détériore. L'Association des médecins urgentistes de France s'alarme et assure que " le nombre de services d'urgences est aujourd'hui à un seuil en dessous duquel la population est en danger ".
Tel Sisyphe contraint de remonter sans cesse son rocher, la recomposition territoriale de la carte des urgences est un perpétuel recommencement. En  2015, un rapport du docteur Jean-Yves Grall, directeur de l'agence régionale de santé du Nord-Pas-de-Calais, remis à Marisol Touraine, alors ministre de la santé, préconisait la fermeture de 67 services d'urgences sur 650. L'idée était d'éviter de mobiliser en continu des médecins dans des structures ayant une faible activité globale, avec une affluence inférieure à 10 000 personnes par an. Agnès Buzyn, l'actuelle ministre de la santé, a repris le flambeau. Elle va relancer, à la rentrée, ce chantier, avec l'objectif de " repenser l'organisation territoriale " de la médecine d'urgence à l'horizon 2020. La ministre a déjà prévenu qu'elle pourrait " fermer certains services d'urgences de proximité la nuit ".
La question du maintien de ces 650 services se pose d'autant plus que l'aide médicale urgente est aussi assurée par des services mobiles. Mais avec des disparités sur le territoire. Comme Mme Touraine, Mme Buzyn privilégie le développement de " centres de soins non programmés ", où la prise en charge des soins urgents non vitaux devra être assurée par des médecins pas forcément urgentistes, disponibles aux heures de plus forte affluence. Cette solution rejoint les recommandations d'un rapport de Thomas Mesnier, député La République en marche de Charente et ex-médecin urgentiste, qui insiste sur la nécessité de " désengorger " les urgences hospitalières. C'est bien en prenant en compte les besoins de la population qu'il faut poursuivre la mue de ce système, en veillant à assurer l'égalité et la qualité des soins.
© Le Monde

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