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mardi 31 juillet 2018

Les ombres d'une présidence monarchique d'Emmanuel Macron


31 juillet 2018

Les ombres d'une présidence monarchique d'Emmanuel Macron

Avec l'affaire Benalla, le président de la République est devenu un tribun populiste et a endossé dans sa communication le vocabulaire de la défiance envers les médias qui rappelle les imprécations outrancières d'un Donald Trump, estime Alexis Lévrier, historien de la presse

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L'affaire Benalla n'est pas seu-lement l'acte isolé d'un nervi devenu incontrôlable. Elle pose de nombreuses questions quant à la pratique du pouvoir du président et invite notamment à s'interroger sur la relation singulière qu'il entretient avec la presse. Durant la campagne éclair qui a permis son élection, Emmanuel Macron a théorisé en effet le principe d'un pouvoir vertical, centralisé et incarné par une personnalité forte. Dès 2015, dans une interview accordée à l'hebdomadaire Le 1, il a même mis en évidence l'" incomplétude " propre à la démocratie et souligné la nostalgie des Français pour la figure du roi. Rien d'étonnant dès lors à ce que son utilisation des médias reflète le poids de l'héritage -gaullo-mitterrandien, mais aussi le legs de la monarchie ou des deux Empires.
Emmanuel Macron a notamment emprunté à Jacques Pilhan, qui fut le légendaire conseiller de François Mitterrand et de Jacques Chirac, l'idée d'un président maître des horloges, qui fixe lui-même le rythme de ses apparitions médiatiques. Mais, comme le faisaient déjà Louis  XIV et ses successeurs, il sait aussi utiliser la presse pour mettre en scène son image publique autant que sa vie privée. Le rôle dévolu à Mimi Marchand, grande prêtresse de la presse people, est de ce point de vue très révélateur : le couple Macron a choisi de travailler en priorité avec l'agence qu'elle dirige, Bestimage, tout en rendant presque impossible le travail des autres paparazzis. Et durant la cam-pagne, puis pendant la première année du quinquennat, l'une des fonctions d'Alexandre Benalla a précisément été de les empêcher d'accéder au président.
Cette stratégie s'est avérée très efficace, au moins dans les premiers mois du quinquennat. Conformément au constat formulé par Emmanuel Macron en  2015, les Français ont en effet semblé approuver cet effort pour rendre à la fonction présidentielle sa majesté, sa solennité et même sa sacralité. Les errances du quinquennat précédent y sont sans doute pour beaucoup. Comme il l'a lui-même expliqué dans un entretien accordé à la revue Le Débat en septembre  2016, François Hollande n'a jamais cru au principe de la " parole rare et jupitérienne " : selon lui, à l'heure des réseaux sociaux, le président est devenu " un émetteur presque comme les autres ". Un tel choix de la transparence et de l'horizontalité est louable d'un point de vue démocratique, mais il semble que l'opinion publique n'ait pas pardonné au président " normal " d'avoir affaibli son statut en voulant l'humaniser.
Instaurer une " saine distance "Une autre raison explique sans doute que la communication verticale d'Emmanuel Macron ait dans un premier temps séduit les Français. Ce jeune président a choisi en effet de contrôler à l'extrême son image, mais aussi – en même temps, dirait-il – de faire l'éloge du journalisme et de son rôle de contre-pouvoir. Il fut ainsi l'un des seuls candidats pendant la campagne à ne pas utiliser comme une arme électorale la méfiance dont cette profession est l'objet. Et s'il a ensuite éloigné de lui les journalistes, il a su justifier son attitude par des consi-dérations déontologiques. Lors de ses vœux à la presse, le 3  janvier 2018, il a par exemple revendiqué sa volonté d'instaurer une "saine distance " entre pouvoirs politique et médiatique. Là encore, il a su habilement s'appuyer sur les -reproches faits au quinquennat précédent : François Hollande est en effet -entré à l'Elysée au bras d'une journaliste, et les livres nés de ses confidences incessantes à la presse ont largement contribué à abîmer son image.
Les violences commises par Alexandre Benalla prouvent cependant les limites et même les dangers de la posture jupitérienne choisie par Emmanuel Macron. Bien avant d'agresser des jeunes gens le 1er  mai, place de la Contrescarpe, à Paris, le garde du corps du président s'est en effet rendu coupable de plusieurs agressions verbales et physiques à l'égard de journalistes. Capable de frapper un journaliste de Public Sénat lors d'un meeting en mars  2017, ou de s'en prendre à des -reporters de BFMen décembre  2017, le garde du corps du président s'est également signalé en faisant interpeller un photographe à Marseille lors du premier été du quinquennat. De tels abus sont bien sûr le fait d'un chargé de mission ayant outrepassé son rôle, mais ils peuvent aussi être considérés comme le symptôme d'une possible dérive : il est insupportable, dans un pays respectueux de la liberté d'expression, d'utiliser les services de paparazzis bénéficiant de la faveur du prince tout en plaçant en garde à vue leurs concurrents.
L'attitude d'Emmanuel Macron depuis les révélations du Monde n'a par ailleurs rien de rassurant. Après six jours de silence, y compris sur les réseaux sociaux, il a repris la parole le mardi 24  juillet, devant les députés de La République en marche réunis à la Maison de l'Amérique latine. Une intervention sans la presse donc, et qui s'est même transformée rapidement en un plaidoyer contre les médias et les journalistes : " Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité " ; " Je vois un pouvoir médiatique qui veut devenir un pouvoir judiciaire ". Ces formulations définitives, péremptoires, sans nuances, n'ont rien de commun avec la " saine distance " que le président appelait de ses vœux quelques mois plus tôt. Elles mettent en effet en cause la légitimité même du travail journalistique et confondent le travail d'enquête rigoureux mené par la rédaction du Monde avec les rumeurs absurdes qui ont proliféré sur les réseaux sociaux. La brutalité de ces attaques prouve que, ce soir-là au moins, Emmanuel Macron a renoncé à défendre la nécessité d'un contre-pouvoir journalistique : il a fait le choix d'un vocabulaire de la défiance, et même du défi, qui rappelle les imprécations outrancières d'un Donald Trump.
Il s'agit bien sûr d'une communication de crise, et l'on peut espérer qu'une fois cette parenthèse fermée le président saura pacifier ses rapports avec la presse. Mais l'épisode que nous venons de vivre a laissé apparaître un autre visage, assez inquiétant, de ce jeune chef d'Etat. Mardi, dans les jardins de la Maison de l'Amérique latine, Emmanuel Macron n'avait plus rien en effet d'un président jupitérien. Le temps d'une soirée, il semblait avoir délaissé le costume du monarque républicain pour prendre l'habit d'un tribun populiste.
Alexis Lévrier
© Le Monde

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