Petite révolution ou continuité dans le changement ? Le régime cubain a décidé d'inscrire dans la Constitution le " rôle du marché et de nouvelles formes de propriété, parmi lesquelles la propriété privée ". Cette reconnaissance, faite dans le cadre d'une vaste refonte de la Loi fondamentale, doit être débattue à l'Assemblée nationale à partir du samedi 21 juillet, avant d'être soumise à référendum.
Si le texte souligne aussi
" l'importance de l'investissement étranger pour le développement économique du pays ", Granma, le bulletin officiel du Parti communiste cubain (PCC), qui en a dévoilé les grandes lignes le 13 juillet, s'empresse de préciser qu'il
" réaffirme le caractère socialiste du système politique, économique et social ", ainsi que le
" rôle directeur du PCC comme force dirigeante supérieure de la société et de l'Etat ".
" Attitude ambiguë "Au niveau institutionnel, le poste de premier ministre est créé et le mandat du président est limité à cinq ans, renouvelable une seule fois – ce que le président Raul Castro, successeur de son frère aîné, Fidel, depuis 2008 (et par intérim depuis 2006), avait déjà appliqué à lui-même, permettant l'arrivée au pouvoir de Miguel Diaz-Canel, élu le 19 avril par les députés cubains.
La décision de réformer la Constitution de 1976 a été approuvée le 2 juin par l'Assemblée nationale, qui avait mandaté à cette fin une commission composée de 33 députés et présidée par M. Castro, qui demeure le premier secrétaire du comité central du PCC.
La réforme présentée par
Granma ne fait qu'entériner les transformations économiques lancées depuis 2010 sous la présidence de Raul Castro. A cette date, le régime avait autorisé les Cubains à exercer 201 métiers ou activités à leur propre compte (les fameux
cuentapropistas), comme travailleur indépendant ou autœntrepreneur. Un embryon d'économie marchande, alors que les ressources de l'Etat avaient fondu après la fin des subsides de l'Union soviétique. Aujourd'hui, presque 600 000 Cubains, soit 13 % de la population active, sont
cuentapropistas.
" Ce projet de réforme va-t-il déboucher sur un changement plus important ?,s'interroge Jérôme Leleu, doctorant en sciences économiques à l'EHESS, qui travaille sur le rôle de l'Etat et les finances publiques à Cuba.
Je ne crois pas. Cette dernière année, le gouvernement a eu une attitude ambiguë vis-à-vis du secteur privé, notamment avec la suspension, en août 2017, de l'octroi de licences de travail pour les cuentapropistas
. " Si la suspension a finalement été levée le 10 juillet,
" cela a créé des tensions ".
Pour Vincent Bloch, sociologue spécialiste de Cuba,
" le fait que les moyens de production restent la propriété collective et que la planification d'Etat soit toujours en vigueur montre que rien ne change vraiment "." Est-ce que la reconnaissance du rôle du marché signifie que l'on reconnaît la division entre intérêts publics et intérêts privés ? Pas du tout ", insiste M. Bloch.
Mais, nuance le sociologue auteur de deux ouvrages sur Cuba,
" cela ne veut pas dire non plus que la doctrine est immuable ". Depuis quinze ans, explique-t-il,
" les questions sont toujours les mêmes : est-ce qu'il y a un vrai changement, est-ce que les réformes portent… Ces questions viennent d'une conception erronée selon laquelle le régime était totalement immobile et que tout se serait effondré avec la chute du Mur. Il y a toujours eu à Cuba un processus dynamique à l'intérieur de règles certes immuables ".
Autre nouveauté : le texte, qui comptera un préambule et 224 articles, garantira, selon
Granma, la
" non-discrimination pour identité de genre ", une revendication de Mariela Castro – la fille de Raul –, défenseuse des droits des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bi, trans). La formule est vague et, surtout, ne mentionne pas l'orientation sexuelle. Mais elle pourrait, considère Jérôme Leleu, ouvrir la voie à des lois comme le mariage pour tous.
" Le fait que ce soit écrit dans la réforme constitutionnelle est un premier pas, concède Vincent Bloch.
Il faut maintenant se demander s'il s'agit d'une réelle volonté politique ou si cela relève d'une habitude qu'a prise le régime cubain de suivre certains paramètres imposés par les organisations internationales, pour montrer qu'il mérite d'être réintégré dans le concert des nations. "
Angeline Montoya
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