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samedi 30 juin 2018

Les candidats mexicains face à l'épouvantail Trump


28 juin 2018

Les candidats mexicains face à l'épouvantail Trump

Les principaux postulants à la présidentielle oscillent entre fermeté et espoir de conciliation avec Washington

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PLAINTE D'ETATS DÉMOCRATES CONTRE LA SÉPARATION DES FAMILLES DE MIGRANTS
Dix-sept Etats américains, dont Washington, New York et la Californie, ont annoncé, mardi 26 juin, des poursuites judiciaires -contre l'administration Trump, afin de forcer le gouvernement à réunir les familles de migrants séparées ces dernières semaines à la frontière mexicaine. Environ 2 300 mineurs, répartis dans des centres à travers le pays, sont concernés. Un tribunal de San Diego (Californie) a par ailleurs ordonné, mardi, la réunification de ces familles, à la suite d'une plainte déposée par une association de défense des droits civiques contre la police de l'immigration.
Le doute plane sur les tensions à venir entre le prochain président du Mexique, élu le 1er  juillet, et son homologue américain, Donald Trump. Les postures des trois principaux candidats divergent face à celui qui est devenu l'épouvantail des Mexicains. L'un prône la fermeté, un autre pense le convaincre, le troisième mise sur le statu quo. Mais tous marchent sur des œufs, tant le Mexique reste dépendant de son puissant voisin.
Paradoxalement, M.  Trump est longtemps resté quasi absent des discours du favori, Andrés Manuel Lopez Obrador (Mouvement de régénération nationale, Morena, gauche), de Ricardo Anaya, à la tête d'une coalition droite-gauche et de José Antonio Meade du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre, au pouvoir). Mais le récent tollé, provoqué par les révélations sur la séparation des familles d'illégaux aux Etats-Unis, a changé la donne.
" Emanciper le Mexique "Tous exigent le " respect " de M. Trump et promettent de " défendre " les 12  millions d'émigrés mexicains sur le sol américain, dont la moitié sont des clandestins. Les candidats font bloc contre son projet de mur, que le président américain veut faire au Mexique. Idem face à ses menaces d'abroger l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena), entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, dont la renégociation piétine. Tous souhaitent aussi diversifier les échanges du pays, dont 80  % des exportations sont destinées à son voisin du nord.
Leurs convergences s'arrêtent là. Donné gagnant dans les sondages (autour de 49  %), Andrés Manuel Lopez Obrador, 64 ans, propose un tête-à-tête avec M. Trump, en jouant la carte du dialogue. " AMLO " veut répondre, lui-même, aux Tweet cinglants du locataire de la Maison Blanche, qui a traité les migrants de " criminels ", de " violeurs "et récemment d'" animaux ".Une tâche plutôt attribuée, ces derniers mois, au ministère des affaires étrangères par le président sortant, Enrique Peña Nieto, qui a annulé plusieurs rendez-vous avec M. Trump.
AMLO assure " parvenir à le convaincre " que des " relations respectueuses "bénéficieraient aux deux voisins. Pour lui, l'annulation de l'Alena ne serait " pas un drame " puisque son projet prévoit de développer le marché intérieur et d'éradiquer la pauvreté. " Plus aucun Mexicain ne fuira la misère là-bas ", promet-il. AMLO propose d'abord de transformer les consulats mexicains aux Etats-Unis en " centres de défense juridique " pour ses compatriotes. " Il veut émanciper le Mexique de son voisin ",précise Pia Taracena, spécialiste des relations internationales à l'Université Iberoamericana. Elle souligne d'ailleurs que " son nationalisme économique et son populisme se rapprochent assez de ceux du président américain. La xénophobie de Trump en moins ".
Son adversaire, M.  Anaya, se montre plus radical. Ce juriste de 39 ans compare la " politique de tolérance zéro " de M. Trump envers les clandestins à " ce que faisaient les nazis ". Il exige, comme AMLO, " le gel des tractations sur l'Alena " jusqu'à sa potentielle entrée en fonctions. Son conseiller, Salomon Chertorivski, le dit prêt " à ne pas s'asseoir à la table des négociations (…) avec quelqu'un qui pointe un pistolet sur nous ".
Lobbying au Congrès américainM.  Anaya et AMLO critiquent la gestion de la relation bilatérale par le président sortant. " Il n'est pas respecté par le gouvernement américain ", selon le jeune candidat, deuxième dans les sondages (27  %).
Fin août  2016, M.  Peña Nieto avait invité à Mexico, M.  Trump, alors candidat. " Cela l'a placé dans une position de faiblesse et a humilié les Mexicains, déplore Adolfo Laborde, professeur à l'université Anahuac. M.  Peña Nieto pensait, à tort, amadouer Trump grâce aux liens personnels entre son ministre des affaires étrangères, Luis Videgaray, et Jared Kushner, le -gendre et conseiller de Trump. " M.  Anaya propose plutôt un lobbying au Congrès américain pour imposer notamment une clause migratoire à l'Alena.
En face, le champion de l'ancien parti hégémonique,M.  Meade, ne critique pas la stratégie M.  Peña Nieto, qui l'a imposé à sa formation. " Le candidat du PRI incarne la continuité d'une stratégie de conciliation ratée ", observe M.  Laborde. Troisième dans les sondages (21  %), le haut fonctionnaire de 49 ans propose de développer les infrastructures à la frontière et d'y installer un " mur technologique ". Selon lui, " le renforcement des services de douanes améliorerait la lutte contre les trafics ".
Pour Bernardo Olmedo, politologue à l'Université autonome du Mexique (UNAM), " les trois candidats restent flous et prudents, car le Mexique fait figure de David contre Goliath dans cette relation bilatérale asymétrique ". Les exportations mexicaines aux Etats-Unis s'élèvent à près d'un tiers du PIB national. Celles, américaines, vers le Mexique, représentent moins de 2  % du PIB américain. Mme  Taracena regrette " les réactions défensives " américaines, " alors que Trump a besoin du Mexique. Sans son aide, la drogue et les clandestins d'Amérique centrale déferleraient sur le territoire américain ". AMLO a plutôt évoqué " un traitement juste " de ces illégaux qui traversent le Mexique.
C'est là que le bât blesse : le pays expulse davantage de migrants (94 687 en  2017) que les Etats-Unis (74 789). Les demandes d'asile au Mexique ont bondi de 1 000  % en cinq ans. En  2017, 66  % des 14 596 demandes ont été acceptées, selon la Commission mexicaine d'aide aux réfugiés. " L'économie n'a pas la capacité d'en accueillir plus ",explique Mme  Taracena. Mais elle n'exclut pas qu'en cas de victoire prévue d'AMLO, " on assiste à un combat de coqs entre Trump et lui. Tous les deux ont un fort ego. " Une perspective que ne partage pas M.  Olmedo : " AMLO a conscience qu'il ne pourra pas se permettre une confrontation directe. "
Frédéric Saliba
© Le Monde

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