Jean-Michel Quatrepoint: «Ce qui nous attend au sortir du confinement est colossal»
FIGAROVOX/TRIBUNE - En quelques semaines, un virus a mis notre pays à l'arrêt, révélant ainsi l’ampleur du déclin économique français, juge Jean-Michel Quatrepoint. Du redressement industriel à la protection de notre classe moyenne, en passant par l’investissement dans la recherche, les défis seront nombreux.
Par Jean-Michel Quatrepoint
Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. Il a notamment travaillé au Monde, à La Tribune et au Nouvel Économiste. Son dernier livre, co-écrit avec Natacha Polony, s’intitule Délivrez-nous du bien (Éditions de l’Observatoire, 2018).
Ce virus aura révélé la mauvaise santé de la France. En profondeur. Sur le plan économique, social, sociétal, sanitaire, on pourrait même ajouter militaire avec la contamination du porte-avions Charles de Gaulle. Mais le plus grave, sans doute, est que la France souffre, depuis de longues années, de troubles psychologiques profonds.
Les Français n’ont plus confiance en eux, collectivement et individuellement. Ils n’ont plus confiance dans leurs élites. Ils n’ont plus confiance dans l’avenir. Il y a dans l’espèce d’effondrement de notre armée sanitaire, bien des similitudes avec mai 40. En quelques jours, quelques semaines, l’armée française, supérieure en nombre et en matériels sur le papier à l’armée allemande, s’était littéralement décomposée. Certes, comparaison n’est pas raison. Mais on pourrait énumérer d’autres similitudes. L’exode des citadins français. L’accueil souvent très désagréable que les ruraux ont réservé à ces exilés. Ajoutons la délation, ce mal bien français, qui fleurit durant ces périodes. Jusqu’aux attestations de déplacement qui ressemblent fort aux ausweis de l’occupation.
Nos concitoyens se demandent comment un simple virus venu de Chine a pu en quelques jours nous mettre à genoux.
C’est cette «étrange défaite» que Marc Bloch avait décrite: comment un pays alors troisième puissance mondiale avait-il pu s’effondrer ainsi, tel un château de cartes. Aujourd’hui, nos concitoyens se demandent comment un simple virus venu de Chine a pu en quelques jours nous mettre à genoux.
C’est en effet bien une étrange défaite que nous vivons. Nous sommes encore la 6e puissance mondiale. Nous avons la force nucléaire, mais nous sommes obligés de mettre en résidence surveillée la quasi-totalité de la population pour éviter un désastre sanitaire. Et là, le citoyen se pose des questions. Comment se fait-il que le pays qui consacre la part la plus importante de son PIB à la protection sociale soit incapable d’anticiper, de prévenir, et d’accueillir quelques milliers de malades en situation critique?
La réponse est, semble-t-il, la même qu’en mai 40. L’argent a été mal dépensé. La bureaucratie, hier militaire, aujourd’hui sanitaire, omniprésente, bloque les initiatives et étouffe dans l’œuf tous ceux qui veulent mener une guerre de mouvement. Bureaucratie que l’on retrouve dans bien des secteurs, à l’image de l’Éducation nationale notamment.
La bureaucratie sanitaire omniprésente bloque les initiatives et étouffe ceux qui veulent mener une guerre de mouvement.
Aujourd’hui, fort heureusement, grâce au personnel médical sur le terrain, le front sanitaire n’a pas été enfoncé. Il s’en est fallu de peu, et ce n’est pas encore totalement gagné. Comme en mai 40, nous n’avions pas la bonne stratégie. Nous n’avions pas les bonnes armes. Pourquoi? Pour des raisons de choix politique et économique. Et c’est là où l’on retrouve une différence de taille avec notre voisin, l’Allemagne.
Nous avons choisi dans les années 90 le modèle anglo-saxon. En privilégiant les services, le tourisme et surtout la finance. Nous avons choisi de désindustrialiser, dans le cadre de la mondialisation, et détruit une bonne partie de notre tissu industriel. Nous avons laissé à l’Allemagne le leadership dans ce domaine. Une sorte de répartition tacite des tâches. Dans le même temps, nous avons fait l’euro aux conditions allemandes, sans en tirer pour nous-mêmes les conséquences. Nous avons fait les trente-cinq heures, qui ont notamment totalement désorganisé l’hôpital, au moment où les Allemands travaillaient plus. Nous avons maintenu et accru un système de protection sociale fort généreux, notamment pour ceux qui cotisent très peu ou pas du tout.
Les pays qui s’en sortent ont conservé un tissu industriel, un savoir-faire et un minimum de contrôle des chaînes de valeur.
Depuis 2003, nous accumulons les déficits commerciaux et des comptes courants. C’est-à-dire que nous avons perdu, chaque année, collectivement de la richesse, alors que l’Allemagne, pays mercantiliste s’il en est, comme la Corée du Sud, Taïwan et même le Japon, eux, accumulaient les excédents. Ce n’est pas un hasard si ces quatre pays - même si le Japon a commis quelques erreurs parce que son Premier ministre ne voulait pas annuler les Jeux olympiques - sont ceux qui ont le mieux géré la crise du Covid-19 avec un minimum de morts et un confinement beaucoup moins sévère que la France, l’Italie, l’Espagne….
Ce qui caractérise ces pays est d’avoir conservé un tissu industriel, un savoir-faire et un minimum de contrôle des chaînes de valeur. Ajoutons que ces pays ont une population vieillissante et qu’ils respectent, eux, leurs aînés. Le nombre de lits d’hôpital par habitant a diminué, en France, de 10 % en dix ans. L’Allemagne et la Corée du Sud en ont plus du double que nous par habitant. Pour la réanimation, c’est encore plus spectaculaire: 28 000 lits outre-Rhin, contre 5 000 en France en temps normal. (dont 4500 sont occupés en permanence) Quelques 24 % du budget des hôpitaux allemands sont consacrés à l’administratif ; 35 % en France. Les Allemands estiment que le rôle de l’hôpital est d’assurer les soins de haute technologie. L’hôpital français, lui, est submergé par les soins courants pour une population qui ne trouve plus de généralistes et qui a fait des urgences son dispensaire.
L’Allemagne dépense 90 milliards d’euros par an pour la recherche contre 50 milliards seulement pour la France.
L’Allemagne s’est préparée au vieillissement de sa population. En France, on a choisi de se débarrasser des plus anciens, quand ils en ont les moyens, sur les EHPAD, et pour les plus démunis vers les foyers et les résidences pour personnes âgées des communes. Dans une optique purement comptable, on a cherché à réduire le nombre de lits d’hôpitaux et de services, sans mettre en place une offre alternative.
La pénurie de masques, comme celle des tests et des respirateurs, a illustré, jusqu’à la caricature, cette politique privilégiant les flux par rapport aux stocks. Pour les médicaments, comme on vient de le découvrir, mais pour bien d’autres secteurs aussi. Dans l’économie de l’avant Covid, le stock était l’ennemi et le bas prix le juge suprême. On voit où cela nous a menés. Nous avons été contraints d’appliquer la tactique la plus primaire: le confinement draconien, faute d’avoir les armes pour lutter contre le virus (masques, test, services de réanimation, etc.). Coréens, Taïwanais, Allemands, eux, ont pu mettre en place un confinement plus souple, parce qu’ils avaient les armes pour le faire. Nous arrivons à peine à tester 150 000 personnes par semaine. Les Allemands eux en testent 500 000. Parce qu’ils produisent en masse des tests et que c’est un allemand, Olfert Landt qui a mis au point le premier test mondial. Idem pour les respirateurs dont deux des principaux producteurs mondiaux sont allemands. L’Allemagne dépense 90 milliards d’euros par an pour la recherche (public et privé confondus) contre 50 milliards seulement pour la France.
Ce qui nous attend au sortir du confinement est colossal.
Nous risquons maintenant d’avoir une double peine. Non seulement nous aurons eu plus de décès, mais notre économie repartira plus tard ce qui va donner un avantage compétitif, un de plus, à notre voisin d’Outre-Rhin. Or, ce qui nous attend au sortir du confinement est colossal. Il faut d’abord sauver l’économie puis ensuite la reconstruire sur de nouvelles bases. C’est peu dire que le pays aura besoin de tous. Jeunes et vieux, citoyens des territoires et des métropoles. Il y aura besoin d’un nouveau pacte entre le capital et le travail. La guerre des générations que l’on a vu poindre avec la volonté de certains de confiner plus longtemps les seniors serait particulièrement malvenue. Il est vrai que l’on a assisté, depuis quelques années, sous l’influence des Anglo-Saxons et de la théorie du genre, à une guerre des sexes. On a vu arriver chez nous la guerre des races, avec une particulière agressivité de la part des minorités visibles. On voyait monter une guerre des générations, au nom d’un jeunisme ambiant. Haro sur les «baby boomers» coupables de ne pas avoir connu le chômage, de laisser un pays endetté, une planète polluée. Coupables d’avoir eu de belles années, de profiter de leur retraite et d’avoir plus de patrimoine que les plus jeunes. Dans l’inconscient de certains, une sortie du confinement mettant à l’écart les seniors, était quelque part, l’idée de les exclure et de se venger d’eux. Or, on a besoin de tous et l’union nationale doit se faire aussi autour des générations. Nous ne pouvons pas nous permettre des guerres picrocholines entre genres, origine ethnique, classes d’âge. Ni entre les territoires et les grandes métropoles. Ce virus marque une petite revanche des oubliés, de «ceux qui ne sont rien», dont on découvre qu’ils sont bien utiles.
Le défi aujourd’hui est de sauver une vaste classe sociale menacée de paupérisation absolue, voire de disparition.
Le défi aujourd’hui est de sauver une vaste classe sociale menacée de paupérisation absolue, voire de disparition. Des millions de commerçants, artisans, auto-entrepreneurs, professions libérales, n’ont plus de revenus, et pour une partie d’entre eux (restaurants, tourisme, etc.), c’est l’avenir même de leur activité qui est en jeu. La mondialisation et la crise de 2008 avaient déjà fortement laminé les classes moyennes constituées au cours des Trente Glorieuses. Elles s’étaient peu à peu reconverties dans les services aux entreprises et aux particuliers, dans le tourisme. Les commerçants survivaient mais leurs fonds de commerce s’étaient évaporés. Les professions libérales - en dehors de quelques ténors - voyaient leur niveau de vie décroître lentement. Si la collectivité ne fait pas un effort considérable, leur paupérisation va s’accélérer. Avec tous les risques sociaux et politiques que cela peut générer. C’est vers eux que l’effort de l’État doit de concentrer dans l’immédiat. Il lui appartient de tordre le bras aux banques, aux assureurs, aux foncières, à l’ensemble du système financier pour qu’ils renvoient l’ascenseur. Un système financier qui a la mémoire courte et oublie que ce sont les contribuables qui l’ont sauvé après 2008 et lors de la crise de l’euro en 2011.
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