Question posée par Hauss le 27/04/2020
Bonjour,
Vous êtes nombreux à nous interroger sur un message devenu viral ces derniers jours sur les réseaux sociaux. Il en existe plusieurs versions, mais la plus courante est celle-ci : «Elle était instit en Alsace, mariée et mère de trois enfants. Elle a travaillé durant le confinement et gardé les enfants dont un semblant n’avoir qu’un rhume. Elle est décédée du Covid-19, la reprise est prévue le 11 mai !! Son mari porte plainte contre l’éducation nationale.»
Dans un contexte où le Premier ministre a précisé le 28 avril dernier, devant l’Assemblée nationale, les modalités du déconfinement à venir du 11 mai, et notamment la réouverture des écoles, le message s’est rapidement propagé d’abord dans le milieu enseignant puis sur l’ensemble des réseaux sociaux, totalisant parfois des milliers de partages sur Facebook ou sur Twitter.
Rappelons, pour permettre une parfaite compréhension du message ci-dessus, que des services de garde pour le personnel soignant et autres publics prioritaires (pompiers, policiers, etc.) ont été mis en place depuis le début du confinement, pour permettre à certains personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire de faire garder leurs enfants, lorsqu’ils ne disposent pas d’autres solutions.

«Le message d’une amie…»

Ce message est très vraisemblablement apparu en premier lieu dans un groupe privé Facebook, regroupant des directeurs d’école maternelle, élémentaire et primaire, auquel CheckNews a pu accéder. Dans la nuit du dimanche au lundi 27 avril, une utilisatrice du nom de Tiphaine L., poste le message suivant : «Je me permets de partager le message d’une amie enseignante d’Alsace… qui a perdu une amie, l’une des nôtres…»
Le message en question que cette femme dit avoir reçu ? «Je suis totalement anéantie… à dix mille pieds sous terre… je viens de perdre une de mes amies de cette saloperie… elle laisse 3 filles et un mari adorable… ils formaient une famille unie… je n’arrête pas de pleurer et je n’arrive plus à manger depuis 3 jours… elle était aussi enseignante, elle était volontaire pour garder les enfants de soignants et un parmi ceux-ci n’avait soi-disant qu’un simple rhume… elle venait de fêter ses 42 ans et n’avait aucun problème de santé… son mari va porter plainte contre l’Education nationale… Prenez soin de vous… ce p… de virus est partout.»
Dans les commentaires de cette publication, Tiphaine L. précise qu’elle ne connaît pas directement l’enseignante qui serait décédée. Et ajoute : «Pour l’instant son mari ne veut pas témoigner sur Facebook directement pour protéger ses filles et aussi attend les réponses de son avocat avant de tout balancer aux médias.»
Dans ces mêmes commentaires, elle invite les internautes à partager ce message : «Elle avait 42 ans, un mari et 3 enfants… Elle a "juste" gardé des enfants de soignants, un enfant avait "juste" un rhume et elle y a laissé sa vie… une famille détruite. Son mari va porter plainte contre l’Éducation nationale. Ça laisse pensif concernant la reprise et les moyens à notre disposition pour protéger chacun, enseignants, enfants, familles…»

«Je ne maintiens pas cette information»

Soit à peu de chose près le message largement partagé depuis par des milliers d’internautes sur les réseaux sociaux. Contactée par CheckNews, Tiphaine L. nous indique dans un premier temps n’avoir «aucune information à nous donner à ce sujet». Questionnée sur la véracité de son message, elle nous a ensuite répondu : «Je ne maintiens pas cette information». Relancée sur les raisons qui l’avaient poussé à partager, dans un premier temps, cette information, elle n’a pas souhaité en dire plus. Dans la matinée du mardi 28 avril, sa publication dans le groupe de directeurs et directrices d’écoles n’était plus accessible, a constaté CheckNews.
Également contactée par CheckNews, une autre enseignante qui affirme aussi connaître la collègue de la professeure décédée n’a d’abord pas non plus souhaité fournir plus d’informations. Et nous indique : «A priori, cela risque de faire du tort à la famille qui a entamé une procédure contre l’Éducation nationale. […] On voulait simplement que ça se sache mais l’avocate a demandé qu’il n’y ait plus de commentaire. Elle doit prochainement faire un communiqué.»
Du côté des syndicats d’enseignants dans le Grand Est, personne n’était en mesure de confirmer cette information depuis lundi. À la Sgen CFDT, en Alsace, on indique à CheckNews : «On a vu passer l’information sur les réseaux sociaux. On cherche à la vérifier depuis, en vain. On a des adhérents très bien implantés parmi les inspecteurs et les directeurs d’école, qui n’ont reçu aucune confirmation.» Les représentants Snuipp et Unsa à Strasbourg reconnaissent bien avoir vu le post circuler, notamment dans les boucles WhatsApp, mais là encore, ne sont pas en mesure d’avancer davantage d’informations.
Sollicités, les rectorats de Strasbourg, d’une part, et de Nancy-Metz, d’autre part, indiquent tous les deux à CheckNews n’avoir obtenu aucune remontée d’information sur le décès d’une enseignante, sur leurs territoires respectifs. Le rectorat de Strasbourg évoque une «fake news» et précise : «A notre niveau, à l’heure où je vous parle et après vérification dans tous les établissements d’Alsace, nous n’avons aucune information ni remontée sur le décès d’un enseignant ou d’une enseignante à cause du Covid-19.» Aucune remontée d’information non plus du côté du ministère de l’Éducation nationale, nous fait-il savoir.

«La collègue décédée n’était pas morte»

Et pour cause : quelques jours après le début de cette enquête, ce jeudi 30 avril, le fin mot de l’histoire est enfin parvenu à CheckNews, venant confirmer un faisceau d’indices concordants : aucune enseignante n’est en réalité décédée en Alsace du Covid, après avoir gardé des enfants de soignants. L’une des professeures qui soutenait précédemment que l’avocate de la famille en deuil était sur le point de délivrer un communiqué, est finalement revenue sur ses affirmations, évoquant une «histoire montée de toutes pièces» par un proche qui aurait voulu se venger : «Nous nous sommes rendues compte mon amie et moi que la collègue décédée n’était pas morte. Désolée de vous avoir fait perdre votre temps», ajoute-t-elle.
Cordialement
Ecoutez le podcast hebdo des coulisses de CheckNews. Cette semaine : Covid-19 : le casse-tête des chiffres de la surmortalité