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vendredi 10 août 2018

Zimbabwe : après l'élection, le temps des punitions


9 août 2018

Zimbabwe : après l'élection, le temps des punitions

Plusieurs responsables de l'opposition sont recherchés par la police, après la nouvelle victoire de la ZANU-PF

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LES DATES
2017
21 novembre
Robert Mugabe, au pouvoir depuis 37 ans, accepte de démissionner sous la pression des cadres de son parti, la ZANU-PF, et de l'armée.
2018
30 juillet
L'ancien vice-président de Robert Mugabe, Emmerson Mnangagwa, affronte lors de l'élection présidentielle Nelson Chamisa, le candidat du MDC, parti historique de l'opposition.
1er août
La Commission électorale tarde à publier les résultats du scrutin. Les soupçons de fraude -provoquent des manifestations. L'armée tue six personnes.
3 août
Emmerson Mnangagwa est -proclamé président avec 50,8 % des suffrages, contre 44,3 % pour son principal rival.
Le temps de l'ouverture, au Zimbabwe, qui avait accompagné pour la première fois la campagne électorale avant les élections générales du 30  juillet, est désormais révolu. Il laisse la place, à présent, à celui des punitions. Celles subies par les militants, les sympathisants ou les dirigeants de la formation d'opposition, le Mouvement démocratique pour le changement (MDC), depuis la proclamation dans la nuit du 3  août de la victoire à la présidentielle d'Emmerson Mnangagwa, le candidat du parti au pouvoir, la ZANU-PF.
L'annonce de cette victoire n'avait donné lieu à aucun débordement, le centre de Harare ayant été préalablement vidé. Mais dès le soir suivant, des descentes d'hommes en uniforme ont eu lieu dans des quartiers périphériques de la capitale connus pour être des bastions du MDC, comme Chitungwiza. Soldats -débarquant dans les débits de boisson, tabassant la clientèle au hasard, ou s'attaquant aux passants dans la rue. Cette vague de violence a touché aussi Ku-wadzana, Glen View, Budiriro, et d'autres banlieues qui ont voté rouge, la couleur du MDC.
Encore cela n'était-il que la " première vague ", comme l'analyse Dewa Mavhinga, directeur pour l'Afrique australe de Human Rights Watch (HRW). Elle était menée par des soldats mais aussi, déjà, par " des hom mes en civil avec des armes, se déplaçant à bord de pick-up sans plaques d'immatriculation ". Ces derniers se sont concentrés, lors d'une seconde vague, sur les responsables de l'opposition.
Mercredi matin, l'ex-ministre des finances et pilier de l'alliance de l'opposition, Tendai Biti, avait, selon une bonne source, franchi la frontière zambienne et se trouvait entre les mains de la police locale. Jim Kunaka, un proche du chef du MDC, Nelson Chamisa, est recherché. La femme et le jeune frère de Jim Kunaka ont été emmenés par des hommes en civil et frappés pour tenter de leur soutirer des renseignements sur l'endroit où il se cache. C'est le cas aussi de Happymore Chidziva, responsable de la jeunesse du MDC, ou de Morgan Komichi, le président national du parti, l'homme qui s'était dressé à la tribune de la Commission électorale du Zimbabwe (ZEC) pour contester les résultats la nuit de leur proclamation. Ils pourraient être accusés des violences dans le centre de Harare, lorsque l'armée a ouvert le feu sur les manifestants et tué six personnes, le 1er  août, une action dont le pouvoir entend imputer la responsabilité à l'opposition.
" La situation est très volatile "Quant à Nelson Chamisa, il ne répond plus à ses numéros personnels mais il a tweeté dans la journée : " Nous avons gagné cette élection de manière écrasante. Les chiffres de la ZEC - Commission électorale du Zimbabwe - sont falsifiés et ont été gonflés en faveur du président sortant. Nous sommes prêts pour la prestation de serment du prochain gouvernement " – comprendre : le sien.
Un rapport du Forum des ONG des droits de l'homme a décompté 124 incidents violents en cinq jours. Ceux qui les ont commises ont beau s'être parfois masqués le visage, ils restent identifiables grâce à leurs uniformes. Ce rapport coïncide avec un document relevant les cas de violences réalisé par l'organisation We the People of Zimbabwe, qui regroupe des membres de la société civile. On y découvre que les agressions se sont étendues au-delà de la capitale, dans des zones rurales où la ZANU-PF dispose d'un maillage serré d'agents, vêtus en civil et armés. Leurs attaques s'apparentent à des passages à tabac. Les blessés vont jusqu'aux hôpitaux proches de Harare pour se faire soigner. Aucun décès n'a été relevé.
Piers Pigou, spécialiste du Zimbabwe pour le think tank International Crisis Groupe (ICG), en conclut qu'il est désormais " peu vraisemblable de voir s'organiser de grandes manifestations de l'opposition ". Certaines missions d'observateurs avaient conclu, très vite après le scrutin, à sa bonne tenue. " C'est en train de leur exploser au visage, la situation est très volatile ", s'inquiète Piers Pigou. Nul ne sait, en effet, si les violences continueront de s'étendre dans le temps et dans le pays, comme cela avait été le cas lors des élections de 2008.
Plusieurs conjectures se concurrencent pour attribuer la responsabilité de ce châtiment post-électoral. Selon la première hypothèse, le président Mnangagwa aurait été tenu à l'écart de la décision d'avoir recours à l'armée pour exercer ces violences, dépassé par les ultras de son pouvoir, à commencer par le vice-président, le général à la retraite Constantino Chiwenga. Cela implique qu'un écart croissant se ferait jour entre un groupe de généraux décidés à ne rien céder à l'opposition, et le pouvoir civil animé par des réformateurs. Cette tension serait telle qu'elle pourrait menacer la stabilité du pays.
Cette explication circule dans les milieux diplomatiques et dans les cercles bien informés de Harare, mais rien n'est encore venu l'étayer. Peut-être s'agit-il d'une construction narrative destinée à dédouaner le pouvoir d'Emmerson Mnangagwa. Ces divisions affecteraient aussi des unités de l'armée, en plus de celles qui séparent, depuis le coup d'Etat anti-Mugabe de novembre  2017, l'armée et la police.
Le risque de cette dérive apparaît désormais plus clairement à l'ensemble des observateurs. Les délégations de l'UE, celles de pays européens et des Etats-Unis, dans un communiqué rendu public mardi 7  août, disent " noter avec une inquiétude des plus graves l'éruption de violence et les cas de violations des droits de l'homme qui ont suivi les élections pacifiques du 30  juillet ". Selon le même texte, " les chefs de missions condamnent les violences, les attaques et les actes d'intimidation qui visent des responsables de l'opposition et leurs sympathisants ".
Jean-Philippe Rémy
© Le Monde

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