L'annonce a été accueillie avec soulagement. La rentrée scolaire dans les établissements de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) aura lieu en temps voulu. Jeudi 16 août, son directeur, Pierre Krähenbühl, a promis que les 526 000 écoliers concernés retrouveront, le 29 août, les bancs des 711 écoles affiliées à l'agence en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, dans la bande de Gaza, en Jordanie, au Liban et en Syrie.
L'UNRWA traverse une crise financière jamais connue depuis sa création, en 1949, après la réduction drastique de la contribution américaine décidée en janvier. En 2018, les Etats-Unis ont jusqu'ici versé 60 millions de dollars (52 millions d'euros) au lieu des 300 millions de dollars annuels (soit 30 % du budget de l'agence). Depuis, l'appel aux dons continue.
" L'UNRWA a toujours besoin de 217 millions de dollars pour résorber son déficit budgétaire,a rappelé M. Krähenbühl.
Nous ouvrons donc les écoles, mais sans garantie de les garder ouvertes jusqu'à la fin de l'année. "
Dans la bande de Gaza, un possible report de la rentrée scolaire -inquiétait. La veille de l'annonce de M. Krähenbühl, des écoliers s'étaient rassemblés devant le complexe de l'UNRWA à Gaza-Ville pour réclamer leur droit à étudier. Dans l'enclave, 262 000 élèves et 9 000 enseignants fréquentent les 267 établissements affiliés à l'agence onusienne.
La décision américaine a particulièrement affecté les programmes de l'UNRWA à Gaza, qui représentent 40 % de l'activité de l'agence. En juin, le programme d'urgence, mis en place dès 2016 pour soutenir les plus vulnérables, n'avait déjà plus de budget. L'aide alimentaire, dont bénéficient 1 million de personnes, a été maintenue, mais d'autres missions du programme seront sacrifiées.
Colère et incompréhensionLe 22 juillet, Matthias Schmale, le directeur de l'agence à Gaza, annonçait que, parmi les contrats -locaux du programme d'urgence, 584 passeraient à mi-temps et 113 ne seraient pas renouvelés fin août. Enfin, 280 resteraient à temps plein.
L'annonce de la mesure a provoqué la colère et l'incompréhension des salariés concernés.
" Après des années à l'UNRWA,
on nous dit du jour au lendemain que notre contrat se termine à la fin du mois ", regrette Amel Zumlot, qui travaille depuis quinze ans dans l'agence. Depuis le 23 juillet, les employés se mobilisent dans le complexe de l'agence, tandis qu'une dizaine ont entamé une grève de la faim.
" Les licenciements ne résoudront rien à la crise financière. La raison est politique : Israël et les Etats-Unis veulent faire mourir l'agence à petit feu ", avance Amal Al-Batch,
représentante du syndicat.
Sous la pression des salariés en colère, M. Schmale a dû quitter son bureau dans l'enceinte de l'UNRWA le 25 juillet. Depuis son retour, le 15 août, les négociations ont repris pour trouver une alternative aux licenciements prévus.
En pleine crise financière et existentielle, l'UNRWA doit cependant maintenir ses services, compte tenu de l'augmentation du nombre de réfugiés palestiniens, dont le statut est transmis de génération en génération. Alors que 750 000 d'entre eux étaient enregistrés en 1948, ils sont aujourd'hui 5 millions.
A Gaza, 1,3 million de personnes, sur 2 millions d'habitants, dépendent de l'agence au quotidien.
" C'est moins qu'ailleurs, mais ici, il n'y a aucune alternative à l'UNRWA ",signale M. Schmale. La mission de l'agence est d'autant plus cruciale que la crise sociale et humanitaire s'aggrave. Israël en a d'ailleurs conscience : le 13 août, le quotidien
Israel Hayom révélait que l'Etat hébreu avait demandé aux Etats-Unis, il y a quelques mois, de ne pas couper davantage sa contribution à l'UNRWA, pour maintenir un calme relatif à Gaza.
A l'ONU, les diplomates qui suivent le dossier israélo-palestinien apprennent par voie de presse des bribes de la stratégie américaine. Selon le magazine
Foreign Policy, qui s'est procuré une série de courriels internes de l'administration Trump, Jared Kushner, le gendre du président et son principal conseiller sur ce dossier, a partagé avec ses équipes son désir
" honnête et sincère " de liquider l'UNRWA,
" une agence qui perpétue le statu quo, qui est corrompue, inefficace et qui n'aide pas à la paix ", écrit-il. La question n'est
" pas financière mais idéologique ", résume un diplomate, qui y voit surtout un moyen
" de se débarrasser du statut de réfugiés palestiniens ".
Alors qu'elle prépare depuis plusieurs mois et dans le plus grand secret un plan de paix pour la région, l'administration Trump semble décidée à faire table rase de paramètres fondamentaux de la résolution du conflit israélo-palestinien, agréés par la résolution 194 de l'ONU adoptée en 1948.
" Problème politique "En mai, lors du déménagement de l'ambassade américaine à Jérusalem entérinant la reconnaissance de la Ville sainte comme capitale d'Israël, M. Trump avait déjà donné un aperçu de la méthode américaine pour négocier un accord de paix. En enlevant du statut final la question des réfugiés palestiniens, Washington traiterait à nouveau un dossier en s'en débarrassant : celui du droit au retour.
" Les Américains veulent en faire un problème strictement humanitaire et qui devra être pris en charge par les pays d'accueil de ces 5 millions de réfugiés. Mais c'est un problème politique pour ces pays, qui ne veulent pas les intégrer ", estime un proche du dossier. Washington devra, selon lui, obtenir le soutien des grands pays arabes de la région, Arabie saoudite et Egypte en tête. Ces Etats seront chargés
" de tordre le bras des Palestiniens qui devront renoncer à leur droit au retour avant même d'avoir commencé à le négocier ". Si la cause palestinienne n'est plus une
" question politique prioritaire " pour elles, les grandes capitales arabes pourraient toutefois ne pas
" cautionner un accord fait complètement sur le dos des Palestiniens ".
Claire Bastier et Marie Bourreau
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