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jeudi 9 août 2018

Les patrons sollicités en cas d'arrêt maladie


8 août 2018

Les patrons sollicités en cas d'arrêt maladie

Le gouvernement réfléchit à une modification du financement des indemnités journalières

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LE CONTEXTE
Bonus malus
Outre les arrêts-maladie dont il pourrait assumer le financement, un autre dossier chaud attend le patronat pour le mois de septembre : le " bonus malus ". Cette mesure, dont le but est de faire payer les entreprises qui coûtent cher à l'assurance chômage en multipliant les contrats très courts, était une promesse phare d'Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle. Conspuée par les trois organisations patronales, elle a pour but de réduire la précarité. Programmée dans le projet de loi " avenir professionnel " de Muriel Pénicaud, elle sera finalement évoquée lors de la renégociation de la convention d'assurance chômage prévue à la rentrée.
Le gouvernement veut tellement être " disruptif "qu'il donne l'im-pression de prendre le -contre-pied de sa politique pro-entreprise. Démonstration en est faite avec cette idée, très inattendue, qui émerge dans la perspective de la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2019 : transférer aux employeurs une partie du coût lié aux arrêts de travail. Il ne s'agit à ce stade que d'une piste, récemment révélée par Les Echos, mais elle inquiète au plus haut point les trois principales organisations patronales : le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l'Union des entreprises de proximité (U2P) ont d'ailleurs rédigé, le 31  juillet, un courrier commun au premier ministre pour exprimer leur désapprobation.
A l'heure actuelle, quand un salarié cesse de travailler pour une raison médicale, la " Sécu " lui verse des indemnités journalières (IJ) après un " délai de carence " de trois jours. Selon Les Echos, l'exécutif envisagerait de faire payer par les entreprises les IJ consécutives à des arrêts d'une semaine maximum (autrement dit, les -indemnités accordées pour la -période allant du quatrième au septième jour d'absence). Montant de la facture : environ 900  millions d'euros par an.
" Ce sont des chiffres que je ne confirme pas ", a déclaré, le 3  août, sur RTL, le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald -Darmanin. Mais il a reconnu que ses deux collègues chargés de la santé et du travail, Agnès Buzyn et Muriel Pénicaud, conduisaient une " concertation " sur cette -thématique avec le patronat et les syndicats : " Il n'y a pas de sujet -tabou ", a-t-il complété. " Je pense qu'il faut qu'on - en - discute avec les partenaires sociaux ", a confié, le même jour, Mme Pénicaud sur Franceinfo, en précisant que les IJ " explosent " : il faut " comprendre le pourquoi ".
" Responsabiliser " l'employeurEn  2017, les indemnités journalières ont représenté un peu plus de 10,3  milliards d'euros, en progression de 4,4 % en un an, d'après le dernier rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale. Depuis plusieurs années, ces dépenses sont " très dynamiques " (+ 4,2  % par an en moyenne sur 2014-2017). Une tendance " en partie "imputable à la réforme des retraites de 2010, qui a décalé à 62 ans l'âge à partir duquel la pension peut être versée : " La probabilité d'être en arrêt et la durée moyenne d'un arrêt croissent en effet avec l'âge ", explique la Commission des comptes de la Sécu.
L'exécutif considère aussi que les conditions dans lesquelles sont employés les salariés -peuvent avoir une incidence sur leur absentéisme, donc sur le montant des IJ octroyées. " La -pénibilité (…) augmente la probabilité de prescription d'arrêt maladie ", souligne un rapport sur les indemnités journalières remis en  2017 par les inspections générales des finances et des affaires sociales. Dès lors, il ne serait pas illégitime de réclamer une -contribution aux entreprises : si elles veulent s'exonérer de ce -fardeau, elles n'auront qu'à -améliorer la qualité de vie de leur main-d'œuvre. Autrement dit, il s'agit de les " responsabiliser ", comme l'explique une source au cœur du dossier. Le gouvernement y songe d'autant plus que la santé au travail figure parmi les thèmes qu'il veut -traiter avec les partenaires sociaux, à partir de la rentrée.
Le patronat est, bien évidemment, hostile à l'éventualité de devoir sortir son carnet de -chèques. Dans une lettre à Edouard Philippe, dévoilée par Les Echos et que Le Mondes'est procurée, les présidents du -Medef, de la CPME et de l'U2P -relèvent qu'une telle mesure reviendrait à supprimer la couverture d'un risque par la Sécurité sociale, ce qui serait " sans précédent ". Qui plus est, elle entraînerait une " charge nette nouvelle "pour les entreprises qui nuirait " nécessairement " à leur " compétitivité "" C'est une proposition de technocrate ", ronchonne un haut gradé d'une grosse fédération, en pointant du doigt l'entourage du premier ministre.
Président de l'U2P (artisanat, commerce, professions libérales), Alain Griset dénonce une " très mauvaise idée "," totalement contradictoire avec le discours du gouvernement sur la libération des énergies et les créations d'emploi ". Les chefs d'entreprise, selon lui, y verront le signal suivant : " N'embauchez plus. " " Nous aurons tendance à privilégier le recours ponctuel aux micro-entrepreneurs, au détriment du recrutement de salariés ", affirme-t-il. Et d'ajouter : " Nous, artisans, avons un lien -direct avec notre personnel. Imaginez la dégradation des rapports, lorsqu'il faudra nous passer d'un collaborateur, parti en arrêt-maladie, et lui payer des indemnités que nous n'aurons pas les moyens d'acquitter. "
Du côté des syndicats, les critiques fusent – pour d'autres raisons. Force ouvrière (FO) considère que le scénario qui s'esquisse revient à " privatiser le “petit risque” ", tandis que " le gros risque " incombera à une -Sécurité sociale " transformée en assistance publique ".
Renforcement des contrôlesChez certains parlementaires spécialistes du sujet, l'accueil est également très mitigé. Coprésident de la mission d'évaluation et de contrôle des LFSS, le député Gilles Lurton (LR, Ille-et-Vilaine) juge " surprenante " une telle proposition, " dans un contexte où notre objectif doit être de relancer l'économie en donnant aux entreprises les moyens d'investir et de créer des emplois ". " Je crains que faire payer la protection sociale des salariés par les employeurs conduise ces derniers à faire leurs choix de recrutement en fonction de l'état de santé des salariés, ce qui laisse peu de place au recrutement des personnes les plus en difficulté ou des personnes en situation de handicap. "
L'idée de faire endosser par les entreprises le coût des IJ induits par des arrêts de travail courts n'est pas nouvelle. " Elle m'avait été soumise lorsque j'étais ministre de la santé, affirme Marisol Touraine, qui exerça cette responsabilité durant le quinquennat Hollande. Je l'avais écartée, car je suis attachée à la logique de Sécurité sociale. De surcroît, le -dispositif envisagé me paraissait complexe et l'on ne pouvait pas exclure qu'il ait des incidences préjudiciables pour les assurés. " L'une des questions qui se posent est de savoir si une telle -mesure s'accompagnerait d'un renforcement des contrôles à l'initiative des employeurs – avec le risque que cela débouche sur une suspension plus fréquente du versement des IJ.
Ce dossier va, en tout cas, en télescoper un autre : la négociation d'une nouvelle convention Unédic sur les conditions d'indemnisation des chômeurs. Emmanuel Macron a demandé aux partenaires sociaux de trouver des solutions pour combattre la précarité sur le marché du travail. S'ils n'y parviennent pas, un bonus-malus sera mis en place, avec comme effet de majorer les charges des entreprises où le turnover de la main-d'œuvre est élevé. Deux projets susceptibles d'accroître les prélèvements sur les employeurs : voilà qui va mettre le patronat de fort mauvaise humeur, à l'approche de la rentrée.
Sarah Belouezzane et Bertrand Bissuel
© Le Monde

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