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mardi 7 août 2018

Les dilemmes de la Chine face à la menace de guerre commerciale

7 août 2018

Les dilemmes de la Chine face à la menace de guerre commerciale

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 Le bras de fer qu'a engagé le président américain, Donald Trump, sur les échanges commerciaux place Pékin dans une position délicate
 La Chine a prévenu qu'elle taxerait pour 60 milliards de dollars de produits américains, si Washington imposait de nouveaux droits
 Elle ne peut toutefois rivaliser avec la surenchère de M. Trump et s'est efforcée, sans grand résultat, d'amadouer la Maison Blanche
 L'offensive américaine pourrait avoir pour effet l'intensification des échanges entre pays d'Asie
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© Le Monde


7 août 2018

Commerce : la Chine hésite à monter au front

Face aux nouvelles menaces de Trump, Pékin annonce des taxes, mais redoute une surenchère dangereuse

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La Chine est prise en étau. En tant que puissance ascendante, portée par un nationalisme nourri des humiliations passées aux mains des Etats étrangers, elle ne peut décemment rester muette face aux assauts du président américain, Donald Trump. Ainsi, elle a prévenu, vendredi 3 août, qu'elle répondrait par des taxes sur 60 milliards de dollars (52 milliards d'euros) de produits américains si les Etats-Unis instauraient de nouveaux droits de douane sur 200 milliards de dollars de produits chinois.
La Chine appliquerait alors des droits de 5  % à 25  % sur 5 207 produits américains allant du textile au café, en passant par les déodorants, le bœuf, le gaz naturel liquéfié et les préservatifs. En juillet, Washington, accusant la Chine de pratiques déloyales en matière de propriété intellectuelle et d'acquisition de technologies, a imposé à Pékin 34 milliards de dollars de droits de douane. Ce qui a provoqué une riposte équivalente de la part de la République populaire.
Pour le ministère du commerce, Pékin se doit de " défendre la dignité du pays et les intérêts de son peuple, préserver le libre-échange et le système multilatéral, et protéger les intérêts de tous les pays du globe ". Les Etats-Unis feraient bien de " garder la tête froide ", a prévenu, vendredi, le ministre des affaires étrangères, Wang Yi.
La Chine ne peut toutefois rivaliser avec la surenchère de M. Trump, puisqu'elle n'importe que 130 milliards de dollars de produits américains par an, -contre 505 milliards d'importations chinoises aux Etats-Unis. Devant cette réalité, le ministère chinois du commerce avait promis de répondre par des mesures à la fois " quantitatives " et " qualitatives ". De quoi faire craindre aux entreprises américaines faisant affaires en Chine d'être prises pour cible.
Rien n'indique que cela a été le cas, probablement parce que Pékin, qui se voit déjà reprocher son strict contrôle des entreprises étrangères présentes sur son territoire, veut se montrer prêt à se réformer pour éviter l'escalade. " Pour l'instant, peu d'entreprises américaines ont constaté des difficultés qualitatives. Pour autant, presque toutes s'inquiètent des risques de futures représailles, ou simplement de perdre leur attrait aux yeux des consommateurs chinois ", constate Daniel Rosen, partenaire du cabinet de recherche Rhodium Group. La réception, mi-juillet, d'Elon Musk, le patron de Tesla, par le vice-président Wang Qishan, montre que Pékin cherche à faire passer le message inverse. Venu signer un contrat pour la construction d'une vaste usine à Shanghaï, le champion de l'automobile électrique a été accueilli à Zhongnanhai, le siège du pouvoir chinois.
" Passivité " chinoisePékin n'a jusqu'à présent pas trouvé comment amadouer M. Trump. Fin février, le président Xi Jinping avait dépêché à Washington son principal conseiller économique, Liu He, ancien étudiant à Harvard, qui allait être nommé vice-premier ministre peu après. Chargé d'un message d'ouverture, il ne sera pas reçu par Donald Trump. Il y retournera en mai, apportant alors une offre de rééquilibrage des échanges commerciaux. Pour acheter davantage de produits américains, Pékin lèverait certaines barrières à l'entrée sur son marché. Les commandes de Bœing et les livraisons de soja américain auraient grimpé.
Ces propositions n'ont pas porté. Alors que les élections de mi-mandat se tiendront le 6 novembre, Donald Trump veut montrer à son électorat qu'il n'hésite pas à sanctionner le plus gros concurrent stratégique des Etats-Unis. " Depuis le début, la Chine a été passive. Elle ne voulait pas ce conflit, et a tout fait pour l'éviter, observe un universitaire chinois. La Chine ne peut pas égaler les taxes américaines sur 200 ou 500 milliards de produits. A moyen terme, le conflit fera mal à son économie. "
En réaction, la Banque populaire de Chine a commencé à adapter sa politique monétaire pour apporter du souffle aux entreprises. Fin juin, elle a abaissé pour la troisième fois de l'année les ratios de réserves imposés aux banques, libérant 108  milliards de dollars de liquidités. Elle tente aussi de freiner la dépréciation du yuan face au billet vert. Car, si l'affaiblissement du renminbi (la " monnaie du peuple ") donne un coup de pouce à ses usines exportatrices visées par Washington, Pékin craint qu'il nourrisse une crise de confiance. La Chine est d'autant plus exposée qu'elle est seule.
Risque d'isolementMalgré les menaces de M. Trump contre eux, les Européens semblent avoir trouvé un compromis avec lui lors de la visite du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à Washington, le 25 juillet. Une semaine plus tôt, l'Union européenne (UE) signait un accord commercial ambitieux avec le Japon, tandis que la visite des représentants européens à Pékin, le 16  juillet, n'a abouti qu'à des déclarations d'intention.
L'UE partage une bonne partie des griefs américains contre le manque d'ouverture chinois. " La Chine risque de se retrouver isolée ", prévient Hu Xingdou, professeur d'économie, qui y voit pourtant un aspect positif. " La guerre économique pousse la Chine à accélérer ses réformes en faveur des entreprises étrangères ", estime-t-il.
Les médias chinois ont reçu l'ordre d'éviter de parler du conflit. Alors que la presse d'Etat dénonçait au printemps des " attaques terroristes contre le libre-échange ", elle a désormais interdiction d'utiliser le terme de " guerre commerciale ". " Frictions commerciales "reste acceptable. En juin, il a même fallu cesser de citer le plan " Made in China 2025 ", qui prévoit de généreuses subventions pour faire de la Chine un leader des hautes technologies. Ce programme est vivement critiqué par les Etats-Unis, qui dénoncent des pratiques anticoncurrentielles.
Simon Leplâtre et Harold Thibault (À paris)
© Le Monde


7 août 2018

L'offensive américaine pourrait redessiner les flux mondiaux

Les droits de douane fixés par Washington sont susceptibles d'accélérer l'intensification des échanges entre les pays d'Asie

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Donald Trump va-t-il faire un pas de plus vers la guerre commerciale avec la Chine ? Mercredi 1er août, les autorités américaines ont révélé qu'elles envisageaient d'imposer des droits de douane de 25 % sur 200 milliards de dollars (environ 171 milliards d'euros) de produits chinois importés, et non de 10 %, comme évoqué jusqu'ici.
Si la mesure ne sera probablement pas confirmée avant début septembre, une chose est sûre : l'escalade des tensions commerciales, avec une réponse déjà programmée de Pékin portant sur 60 milliards de dollars d'importations américaines en Chine, n'aura pas seulement des conséquences financières directes sur les secteurs ciblés. " Elle pourrait aussi aboutir à une reconfiguration des flux des échanges mondiaux en faveur du commerce intra-Asie ", explique Mathilde Lemoine, chef économiste du groupe Edmond de Rothschild, qui vient de publier une note sur le sujet (" A qui profite l'offensive commerciale américaine ? ").
Pour le comprendre, il faut rappeler qu'au-delà des coups d'éclat, le fondement de la politique agressive de Donald Trump est de réduire le déficit commercial du pays en regagnant des parts de marché. En effet, celles-ci ont fondu ces dernières décennies.
Aujourd'hui, les exportations américaines pèsent 9,4 % des exportations mondiales, contre 12  % dans les années 1970. Dans le même temps, celles de l'Asie sont passées de 15 % à 34 %, tandis que celles de l'Union européenne (UE) représentent 38,4 %. " L'Asie capte une part toujours plus grande du commerce mondial, au détriment de l'Europe et des Etats-Unis ",résume Mme Lemoine.
Depuis 2009, cette montée en puissance s'accompagne d'une intensification des échanges entre l'empire du Milieu et ses partenaires asiatiques. La part de l'Asie émergente est ainsi passée de 10 % à 16 % dans les exportations chinoises entre 2009 et 2017.
La bataille commerciale avec les Etats-Unis pourrait encore accentuer cette régionalisation. " Si la Chine a riposté aux attaques américaines en augmentant les droits de douane à 25 % sur 50  milliards de dollars de produits importés des Etats-Unis, elle a parallèlement abaissé ses taxes sur des produits agroalimentaires venant de Corée du Sud, d'Inde, du Laos, du Sri Lanka et du Bangladesh afin de soutenir l'activité économique de la région ", rappelle Mme  Lemoine.
Cet aggiornamento pourrait également avoir un impact sectoriel, avec une recomposition des échanges, en particulier dans l'électronique et l'automobile. D'un côté, la Chine a ainsi réduit de 25 % à 15  % les droits de douane sur les importations de voitures le 1er  juillet. De l'autre, l'accord de libre-échange entre le Japon et l'UE signé le 17  juillet prévoit de réduire les taxes sur les importations européennes de voitures japonaises. Résultat : les producteurs du Vieux Continent pourraient être soumis à une concurrence plus rude sur leur sol comme en Asie.
" Stimulus budgétaire "Afin d'accompagner la montée en gamme de son économie et de ses exportations, la Chine, qui a déjà assoupli sa politique monétaire, a annoncé mi-juillet qu'elle s'apprêtait à adopter une politique budgétaire " plus vigoureuse " pour " stimuler la demande interne ". Et ce, en investissant dans les infrastructures, en soutenant l'innovation et en baissant les impôts pour les entreprises.
Pour sa part, Donald Trump envisage également de nouvelles mesures de soutien, notamment aux exportateurs, en plus de la relance fiscale déjà adoptée. " Dit autrement, la course aux parts de marché entre Pékin et Washington pourrait aboutir à un nouveau stimulus budgétaire pour l'économie mondiale ", relève Mme  Lemoine.
Paradoxalement, l'effet sur le déficit commercial américain devrait rester limité. " Dans le cas d'une escalade des mesures, le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine pourrait baisser de 25 %, calcule Adam Slater, chez Oxford Economics. Mais comme dans le même temps les importations venues d'autres pays d'Asie devraient augmenter, le déficit commercial total de Washington ne diminuerait que de 5 %. "
Dans le scénario que son équipe a bâti, les échanges entre la Chine et les Etats-Unis plongeraient de 30 %, mais les trois quarts de la chute des exportations chinoises vers Washington seraient compensés par la hausse des ventes vers d'autres pays. Les économistes appellent cela les effets de" détournement de trafic ".
Au sein de ce maelström, l'Europe pourrait être la grande perdante. Dans la zone euro, la seule arme commune dont disposent ses membres, incapables de s'accorder sur une relance budgétaire coordonnée, est la Banque centrale européenne. Or elle dispose de peu de marges de manœuvre, si ce n'est de retarder le relèvement de ses taux directeurs.
Dans tous les cas, la mutation des échanges liée au protectionnisme est susceptible de laisser des traces durables sur le commerce mondial. " Ces effets peuvent être considérables et se mesurer des décennies encore après l'instauration des droits de douane, conclut M. Slater. C'est l'une des grandes leçons que l'épisode protectionniste des années 1930 nous a enseigné. "
Marie Charrel
© Le Monde

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