La Chine est prise en étau. En tant que puissance ascendante, portée par un nationalisme nourri des humiliations passées aux mains des Etats étrangers, elle ne peut décemment rester muette face aux assauts du président américain, Donald Trump. Ainsi, elle a prévenu, vendredi 3 août, qu'elle répondrait par des taxes sur 60 milliards de dollars (52 milliards d'euros) de produits américains si les Etats-Unis instauraient de nouveaux droits de douane sur 200 milliards de dollars de produits chinois.
La Chine appliquerait alors des droits de 5 % à 25 % sur 5 207 produits américains allant du textile au café, en passant par les déodorants, le bœuf, le gaz naturel liquéfié et les préservatifs. En juillet, Washington, accusant la Chine de pratiques déloyales en matière de propriété intellectuelle et d'acquisition de technologies, a imposé à Pékin 34 milliards de dollars de droits de douane. Ce qui a provoqué une riposte équivalente de la part de la République populaire.
Pour le ministère du commerce, Pékin se doit de
" défendre la dignité du pays et les intérêts de son peuple, préserver le libre-échange et le système multilatéral, et protéger les intérêts de tous les pays du globe ". Les Etats-Unis feraient bien de
" garder la tête froide ", a prévenu, vendredi, le ministre des affaires étrangères, Wang Yi.
La Chine ne peut toutefois rivaliser avec la surenchère de M. Trump, puisqu'elle n'importe que 130 milliards de dollars de produits américains par an, -contre 505 milliards d'importations chinoises aux Etats-Unis. Devant cette réalité, le ministère chinois du commerce avait promis de répondre par des mesures à la fois
" quantitatives " et
" qualitatives ". De quoi faire craindre aux entreprises américaines faisant affaires en Chine d'être prises pour cible.
Rien n'indique que cela a été le cas, probablement parce que Pékin, qui se voit déjà reprocher son strict contrôle des entreprises étrangères présentes sur son territoire, veut se montrer prêt à se réformer pour éviter l'escalade.
" Pour l'instant, peu d'entreprises américaines ont constaté des difficultés qualitatives. Pour autant, presque toutes s'inquiètent des risques de futures représailles, ou simplement de perdre leur attrait aux yeux des consommateurs chinois ", constate Daniel Rosen, partenaire du cabinet de recherche Rhodium Group. La réception, mi-juillet, d'Elon Musk, le patron de Tesla, par le vice-président Wang Qishan, montre que Pékin cherche à faire passer le message inverse. Venu signer un contrat pour la construction d'une vaste usine à Shanghaï, le champion de l'automobile électrique a été accueilli à Zhongnanhai, le siège du pouvoir chinois.
" Passivité " chinoisePékin n'a jusqu'à présent pas trouvé comment amadouer M. Trump. Fin février, le président Xi Jinping avait dépêché à Washington son principal conseiller économique, Liu He, ancien étudiant à Harvard, qui allait être nommé vice-premier ministre peu après. Chargé d'un message d'ouverture, il ne sera pas reçu par Donald Trump. Il y retournera en mai, apportant alors une offre de rééquilibrage des échanges commerciaux. Pour acheter davantage de produits américains, Pékin lèverait certaines barrières à l'entrée sur son marché. Les commandes de Bœing et les livraisons de soja américain auraient grimpé.
Ces propositions n'ont pas porté. Alors que les élections de mi-mandat se tiendront le 6 novembre, Donald Trump veut montrer à son électorat qu'il n'hésite pas à sanctionner le plus gros concurrent stratégique des Etats-Unis.
" Depuis le début, la Chine a été passive. Elle ne voulait pas ce conflit, et a tout fait pour l'éviter, observe un universitaire chinois.
La Chine ne peut pas égaler les taxes américaines sur 200 ou 500 milliards de produits. A moyen terme, le conflit fera mal à son économie. "
En réaction, la Banque populaire de Chine a commencé à adapter sa politique monétaire pour apporter du souffle aux entreprises. Fin juin, elle a abaissé pour la troisième fois de l'année les ratios de réserves imposés aux banques, libérant 108 milliards de dollars de liquidités. Elle tente aussi de freiner la dépréciation du yuan face au billet vert. Car, si l'affaiblissement du renminbi (la " monnaie du peuple ") donne un coup de pouce à ses usines exportatrices visées par Washington, Pékin craint qu'il nourrisse une crise de confiance. La Chine est d'autant plus exposée qu'elle est seule.
Risque d'isolementMalgré les menaces de M. Trump contre eux, les Européens semblent avoir trouvé un compromis avec lui lors de la visite du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à Washington, le 25 juillet. Une semaine plus tôt, l'Union européenne (UE) signait un accord commercial ambitieux avec le Japon, tandis que la visite des représentants européens à Pékin, le 16 juillet, n'a abouti qu'à des déclarations d'intention.
L'UE partage une bonne partie des griefs américains contre le manque d'ouverture chinois.
" La Chine risque de se retrouver isolée ", prévient Hu Xingdou, professeur d'économie, qui y voit pourtant un aspect positif.
" La guerre économique pousse la Chine à accélérer ses réformes en faveur des entreprises étrangères ", estime-t-il.
Les médias chinois ont reçu l'ordre d'éviter de parler du conflit. Alors que la presse d'Etat dénonçait au printemps des
" attaques terroristes contre le libre-échange ", elle a désormais interdiction d'utiliser le terme de " guerre commerciale ". " Frictions commerciales "
reste acceptable. En juin, il a même fallu cesser de citer le plan " Made in China 2025 ", qui prévoit de généreuses subventions pour faire de la Chine un leader des hautes technologies. Ce programme est vivement critiqué par les Etats-Unis, qui dénoncent des pratiques anticoncurrentielles.
Simon Leplâtre et Harold Thibault (À paris)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire