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vendredi 10 août 2018

Le Laos face au bilan du désastre d'Attapeu


9 août 2018

Le Laos face au bilan du désastre d'Attapeu

La rupture d'un barrage qui a causé de nombreuses victimes aurait pu être évitée

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Plus de deux semaines après la rupture d'un barrage dans le sud du Laos, le bilan humain de la catastrophe reste difficile à évaluer : mardi 7  août, le gouverneur adjoint de la province d'Attapeu, où le désastre a eu lieu, a indiqué que 31 corps avaient été retrouvés et que " 130  personnes étaient portées disparues ".
Ce bilan est vraisemblablement très en deçà de la réalité : les experts indépendants parlent, au minimum, de plusieurs centaines de disparus, et certains médias régionaux évoquent le chiffre d'un millier de villageois dont on est sans nouvelles. Environ 6 000 personnes ont dû fuir lors de ce désastre consécutif à la rupture, lundi 23  juillet, d'un barrage encore en construction sur l'un des affluents du Mékong : un flot de 5  milliards de mètres cubes d'eau s'est alors déversé dans la rivière Sékong, noyant de nombreux villages.
Dans ce pays " postcommuniste " au régime à parti unique, l'un des plus autoritaires de la région, l'information reste sévèrement contrôlée, ce qui rend encore plus difficile de se faire une idée précise de la situation dans les zones désormais inondées, situées aux frontières du Vietnam et du Cambodge. La province cambodgienne de Stung Treng a d'ailleurs, elle aussi, subi les conséquences de la catastrophe, et plusieurs milliers de personnes ont dû être évacuées fin juillet.
Le fait que le premier ministre laotien, Thongloun Sisoulith, ait tenu, au lendemain du désastre, une conférence de presse télévisée – dans un pays sans liberté d'expression pour les médias – donne une idée de l'importance de l'événement. L'accident est un sérieux revers pour la politique énergétique choisie par le régime.
ProliférationS'appuyant sur les perspectives de développement offertes par le potentiel hydroélectrique de ce pays montagneux sillonné de rivières, le gouvernement s'est fixé pour objectif de devenir " la batterie du Sud-Est asiatique " : 51 barrages ont déjà été bâtis, 46 autres sont en construction.
Une telle prolifération de retenues, dont la majorité sont le fruit de collaborations avec des firmes chinoises, n'a de cesse d'inquiéter les spécialistes. La catastrophe du 23  juillet est la première d'importance mais d'autres désastres avaient été évités par le passé, comme en septembre  2017, quand une retenue d'eau sur la rivière Nam Ao, au centre du pays, avait cédé sans faire de victime.
Les experts s'accordent à dire que la catastrophe de la province d'Attapeu n'était pas inévitable, et s'interrogent sur de possibles défauts de construction dans le complexe de barrages réunis sous l'appellation " Xe-Pian Xe Namnoy ". La retenue qui a cédé faisait partie d'un ensemble composé de deux barrages principaux et de cinq auxiliaires, destiné à produire 410 mégawatts. Il aurait dû entrer en fonction en  2019 et fournir son énergie – à 90  % – à la Thaïlande. Pour une fois, ce projet n'était pas chinois mais le fruit d'une collaboration entre une compagnie d'Etat laotienne, une entreprise thaïlandaise et deux groupes sud-coréens.
La première réaction du gouvernement laotien a été de mettre l'accident sur le compte des fortes pluies qui se déversaient depuis plusieurs jours dans la région. Cette explication est balayée par les spécialistes : selon Ian Baird, le directeur des études du Sud-Est asiatique de l'université de Wisconsin-Madison, cité par le site The Diplomat, le barrage " n'a pas cédé en raison des fortes pluies : les pluies sont un phénomène normal à cette saison et étaient donc prévisibles. L'accident s'explique par la combinaison de deux facteurs : une gestion inadéquate du niveau de l'eau et une construction de -piètre qualité. Ce désastre est la conséquence d'une erreur humaine et aurait pu être évité ".
" Le réservoir du barrage n'était même pas plein quand il a cédé, renchérit Chainarong Setthachua, professeur à l'université thaïlandaise de Maha Sarakham, ce qui montre bien qu'il y avait un défaut de construction et que les compagnies impliquées dans celle-ci sont pleinement responsables de la catastrophe. "
CompensationsSelon Tom Fawthrop, spécialiste des questions environnementales dans la région, " ni le gouvernement - laotien - ni les compagnies de fourniture d'énergie hydroélectrique ne consultent les populations locales au sujet des projets de barrages. Aucun système d'alerte aux villageois n'a été prévu en cas de danger potentiel ou de rupture imminente ".
Pourquoi les habitants n'ont-ils pas été prévenus à temps ? Alors que des fissures étaient apparues le dimanche, la veille du drame, dans le mur de la retenue, des ingénieurs avaient été dépêchés sur place afin de colmater les brèches, affirme le siteAsia Times. Mais ils avaient dû renoncer : il pleuvait trop. Un message fut ensuite envoyé aux responsables locaux, mais il ne permettait pas que l'évacuation soit assez rapide pour de nombreux villageois.
Les médias laotiens ont beau n'avoir pas eu la liberté de pointer du doigt les responsables, le désastre a suscité de nombreux débats et de la colère sur les réseaux sociaux. La question brûlante est celle des compensations qui -seront accordées aux victimes. Le premier ministre adjoint, Sonexay Siphandone, a déjà promis qu'elles seraient substantiellement plus importantes que d'habitude dans la mesure où le désastre n'est pas la conséquence d'une catastrophe naturelle – affirmation qui indique une évolution du discours officiel…
En attendant, le ministre des mines et de l'énergie, Khammany Inthirath, a annoncé un train de mesures, notamment l'obligation, pour les compagnies d'hydroélectricité, d'envoyer un rapport hebdomadaire d'évaluation de la montée des eaux. Cette promesse un peu vague passe à côté de l'interrogation cruciale : est-il raisonnable pour le Laos de devenir la " batterie " régionale ?
Bruno Philip
© Le Monde

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