Translate

mardi 7 août 2018

Israël : les Druzes en colère contre la loi sur " l'Etat-nation "


7 août 2018

Israël : les Druzes en colère contre la loi sur " l'Etat-nation "

Le gouvernement est embarrassé par la mobilisation de la minorité, qui contribue à la sûreté de l'Etat

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
La colère druze a d'abord été discrète. Mais elle est désormais au centre de la polémique née de l'adoption, le 19  juillet, par le Parlement israélien, d'uneloi controversée définissant Israël comme " l'Etat-nation du peuple juif ". Dans le village de Beit Jann en Galilée, le sujet est devenu passionné. " C'est un coup de couteau dans le dos, s'emporte l'un de ses habitants, Salih Slalha, 43 ans. Mon père m'a appris à respecter les juifs et à servir Israël. Je contribue depuis plus de vingt ans à sa sécurité. Cette loi fait de nous des citoyens de seconde zone. "
Perché à 940 mètres d'altitude, Beit Jann est un des 22 villages du nord d'Israël dont les 140 000 Druzes porteurs de la nationalité israélienne sont originaires. Ses maisons basses s'accrochent sur les versants montagneux d'où, par temps clair, on aperçoit la mer Méditerranée à l'est, et le lac de Tibériade à l'ouest. Arabophones, pratiquant un islam -hétérodoxe, les Druzes sont une minorité bien intégrée en Israël. Ils se sont engagés à servir et à défendre l'Etat hébreu dès sa fondation, ce qui leur vaut les critiques régulières de leurs voisins palestiniens.
Salih Slalha est ainsi passé par les trois ans de service militaire obligatoire en Israël – chez les Druzes, seuls les hommes y sont soumis. Chaque année, " entre 800 et 900 jeunes font leur service. C'est un taux élevé de conscription : 80  % à 85  % de la population druze masculine âgée de 18 ans et plus ", affirme Eado Hecht, chercheur au centre d'études stratégiques Begin-Sadate. Certains choisissent de poursuivre dans l'armée ou dans les forces de l'ordre. A Beit Jann, c'est le cas de 70  % des hommes : Salih Slalha a ainsi embrassé une carrière de policier.
La loyauté des Druzes est précieuse pour l'Etat hébreu. La parole de ces " frères d'armes " est plus écoutée que celle des minorités qui ne défendent pas Israël, comme les Arabes israéliens. D'habitude discrets, les Druzes n'ont d'ailleurs pas tardé à exprimer leur désapprobation après le vote de la Loi fondamentale sur " l'Etat-nation ". Leurs dirigeants ont ouvert le bal en déposant, le 22  juillet, un recours devant la Cour suprême israélienne contre l'adoption de la loi, vue comme " un crachat au visage "pour ceux qui " donnent leurs enfants " à l'Etat.
" La loi divise les citoyens entre eux car elle ne mentionne pas les minorités non juives en Israël - Druzes, Circassiens, Bédouins ou Arabes israéliens - , explique Saleh Saad, député druze de l'Union sioniste et dépositaire du recours. Nous ne sommes pas contre un Etat juif, mais nous voulons que les autres minorités puissent y avoir leur place : or, aucun village arabe ou druze n'a été fondé en soixante-dix ans. "
Saturation du débat publicLe texte voté prévoit par ailleurs que la langue arabe n'aura plus qu'un " statut spécial "et attribue à " l'établissement de communautés juives " en Israël une " valeur nationale " : les minorités arabophones craignent une discrimination désormais institutionnalisée. Aussi, le recours déposé exige " que l'arabe reste une des langues officielles en Israël, davantage de planification dans le secteur arabe-druze et une égalité entre les citoyens ", poursuit Saleh Saad. Quitte à devoir amender, voire annuler, la loi.
La polémique sur la loi prend de l'ampleur. Le cas druze passionne et sature le débat public en Israël. Face aux appels à soutenir les frères druzes, et donc à s'opposer au texte voté, la droite dénonce une manipulation par la gauche de cette communauté, généralement à droite de l'échiquier politique, pour fragiliser la coalition au gouvernement. Dans une lettre ouverte publiée le 25  juillet, le ministre de l'éducation, Naftali Bennett (Le Foyer juif, parti de droite nationaliste) enjoint néanmoins au gouvernement de " panser les blessures " infligées par la loi aux " frères druzes ".
Afin de trouver une issue à la crise, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a décidé, le 1er  août, de mettre sur pied un comité de concertation, composé de membres du gouvernement ainsi que de dirigeants politiques et religieux druzes. L'idée est de faire voter une loi parallèle qui reconnaîtrait " la contribution de la communauté druze à la sûreté de l'Etat ", tout en élaborant un programme de développement pour les localités druzes.
Mais le projet ne fait pas l'unanimité parmi les leaders druzes. Certains y voient une stratégie politique de division de la part du premier ministre. Ils réclament l'annulation de la loi, ce que M. Nétanyahou exclut catégoriquement. Lors d'une réunion le 2  août, M.  Nétanyahou a claqué la porte, n'acceptant pas qu'un des représentants druzes présents, le brigadier-général Amal Assad, ait dénoncé une situation " d'apartheid " sur les réseaux sociaux. Cet épisode a convaincu les leaders druzes de maintenir la participation de la communauté à la manifestation qui s'est tenue samedi 4  août.
Près de 100 000 manifestants ont convergé ce soir-là vers la place Rabin à Tel Aviv pour dire leur opposition à ce texte. Arrivés par bus depuis le nord d'Israël, 50 000 Druzes ont rejoint leurs rangs, réclamant l'" égalité " pour les minorités en Israël. Des juifs israéliens sont venus les soutenir, ou seulement exprimer leur opposition au gouvernement. Les bannières druzes à bandes colorées flottaient à côté des drapeaux étoilés bleu et blanc d'Israël. Un bref moment d'émotion fraternelle qui ne présage pourtant pas d'une quelconque avancée.
Le lendemain, M.  Nétanyahou a défendu une nouvelle fois le texte voté, tout en évoquant le " lien étroit " entre Israël et la communauté druze. D'ailleurs, ni la mobilisation actuelle, ni la démission de deux officiers druzes de l'armée début août ne sauraient affecter la loyauté des Druzes envers l'Etat hébreu, promet Majalli Wahabi, un ancien député druze résidant à Beit Jann.
" Nous sommes pour le droit des minorités mais nous ne détruirons pas ce qui a été construit en soixante-dix ans, avise-t-il. Des Palestiniens seraient contents que la loi nous sépare des juifs, mais nous ne tomberons pas dans ce piège-là. On sait que les juifs nous soutiendront. En vivant dans la même maison, il y a toujours des malentendus : nous devons simplement les résoudre. "
Claire Bastier
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire