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jeudi 2 août 2018

En Bavière, l'irrésistible montée de l'AfD.....


1er août 2018

En Bavière, l'irrésistible montée de l'AfD

L'extrême droite gagne du terrain au détriment des conservateurs, à l'approche des régionales du 14 octobre

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Katrin Ebner-Steiner n'est pas seulement " confiante ". Elle est " très confiante ". Vice-présidente de la fédération bavaroise du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), cette experte-comptable qui fête cette année ses 40 ans et aime répéter dans la même conversation qu'elle est " catholique " et " mère de quatre enfants ", n'en revient pas : " Franchement, comment pouvions-nous espérer nous trouver aujourd'hui dans une situation aussi favorable ? Avec ce qui s'est passé ces derniers temps, nous pouvons faire un carton cet automne ! ", s'enthousiasme-t-elle depuis la terrasse d'un bistrot de Deggendorf, opulente cité des bords du Danube où elle défendra les couleurs de l'AfD lors des élections régionales bavaroises du 14 octobre.
Pourquoi un tel optimisme, outre la dynamique du parti depuis les élections de septembre 2017 qui lui ont permis de compter 92 députés au Bundestag ? Pour Mme Ebner-Steiner, la réponse tient en deux noms : " Merkel et Seehofer ".
" Que du bla-bla "A ses yeux, la chancelière fédérale, présidente de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), et son ministre de l'intérieur, patron de l'Union chrétienne-sociale (CSU) bavaroise, sont " les meilleurs alliés objectifs " de l'AfD. " Avec leurs gesticulations, ils ont fini par perdre le peu de crédibilité qu'il leur restait ", estime Mme  Ebner-Steiner, pour qui la fermeté affichée de M. Seehofer en matière de politique migratoire " n'est que du bla-bla ".
En décidant de rester au gouvernement après avoir menacé de le quitter, début juillet, le ministre de l'intérieur " a rendu le meilleur service possible à l'AfD ", pense-t-elle. " Sa démission lui aurait valu de la sympathie, il aurait pu se présenter comme une victime de Merkel, et cela nous aurait sans doute compliqué la tâche. Là, il a montré que la seule chose qui lui importe est de s'accrocher au pouvoir. Pour nous, c'est parfait ! L'AfD est le seul parti qui peut tenir les promesses de la CSU. "
A une trentaine de kilomètres à l'est de Deggendorf, le village de Tittling. C'est dans ce paysage vallonné de carte postale qu'habite Ralf Stadler, le secrétaire de la section AfD de Passau, ville frontalière avec l'Autriche dont il a été beaucoup question récemment puisque c'est là qu'a été installée, le 1er juillet, la " police des frontières " chère au ministre-président de Bavière, Markus Söder (CSU), qui compte s'appuyer sur cette réalisation pour convaincre les électeurs de le réélire en octobre. Pour M. Stadler, cette " police d'affichage ", forte pour l'heure de quelque 500 hommes, ne peut que faire le jeu de l'AfD. " Tout ça, c'est beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Ce ne sont pas les quelques contrôles routiers qu'ils vont faire en plus qui vont changer la situation ", indique cet artisan de 53 ans qui vota longtemps " soit pour les conservateurs soit pour les sociaux-démocrates ", avant d'entrer à l'AfD en 2015, " l'année où Merkel a ouvert les frontières aux réfugiés ".
Avec sa camionnette Volkswagen bardée du logo de l'AfD et du slogan " Notre pays. Nos règles ", M. Stadler s'apprête à sillonner lui aussi les routes de Basse-Bavière pour faire campagne, rêvant d'accueillir à cette occasion le leader de l'extrême droite autrichienne, Heinz-Christian Strache, vice-chancelier et président du Parti de la liberté (FPÖ) – " notre modèle ", comme il dit. Mais il en est convaincu : " Si ça continue, la campagne ne sera pas très difficile. Nous recevons tous les jours des cadeaux de la CDU et de la CSU. Pour le moment, c'est eux qui font le travail pour nous. Notre intérêt, c'est de rester très calmes. "
Même si elle peut sembler quelque peu surjouée, la sérénité affichée par les dirigeants de l'AfD bavaroise contraste avec la fébrilité que peinent à masquer les responsables de la CSU. A la tête de la section d'Hinterschmiding, un petit bourg tout proche de la frontière tchèque, Susanne Möhring le reconnaît : " Une partie de nos électeurs sont déçus parce qu'ils ont l'impression que beaucoup de promesses n'ont pas été tenues. "Mais elle veut y croire : " D'ici aux régionales, il faut que les premières mesures prises par Seehofer depuis son arrivée au ministère de l'intérieur - en mars - se fassent sentir. On devrait aussi voir les premiers effets de la nouvelle police des frontières… Nous devons rappeler aux électeurs que, depuis cinquante ans qu'elle dirige la Bavière, la CSU a fait de cette région rurale le Land le plus riche du pays. La CSU agit, l'AfD ne fait que protester ", dit-elle.
Professeur de science politique à l'université de Passau, Michael Weigl est beaucoup plus pessimiste. Pour lui, au contraire, " la CSU est dans une situation extrêmement grave ". Premier facteur, conjoncturel : le " comportement délétère " de M. Seehofer. " L'électeur lambda de la CSU veut du sérieux et de la stabilité, pas des rodomontades et des coups de tête comme on en a vu ces dernières semaines ", explique M. Weigl.
Accent sur les sujets sociauxDeuxième facteur, plus structurel : le positionnement du parti. " En ne parlant que d'islam, d'immigration et de sécurité, la CSU ne s'adresse plus aujourd'hui qu'à une certaine clientèle, au risque d'oublier ce qui a fait sa force dans le passé, à savoir sa capacité à embrasser un spectre très large, allant du centre modéré à la droite la plus conservatrice ", rappelle M. Weigl.
L'accent mis depuis la mi-juillet par M. Söder sur les sujets sociaux, comme l'éducation et la santé, lui permettra-t-il de reconquérir une partie de cet électorat modéré qui, rebuté par le discours très droitier de la CSU, semble de plus en plus attiré par l'abstention ou par les Verts ? Dans les derniers sondages, la CSU continue de baisser. Elle n'est plus créditée que de 38 %-39 %, trois à quatre points de moins qu'en début d'année, très loin de la majorité absolue qu'elle n'a perdue qu'en 2008, pour la seule fois en près de cinquante ans.
De son côté, l'AfD est donnée à environ 13 %-14 %, soit une progression d'environ deux points sur les six derniers mois. Mais ses dirigeants visent beaucoup plus : Katrin Ebner-Steiner, qui a obtenu 19 % dans sa circonscription de Deggendorf aux législatives de septembre 2017, le meilleur score enregistré par l'AfD à l'échelle de l'ex-Allemagne de l'Ouest, veut croire que l'histoire peut se répéter : " Un mois avant les législatives, l'AfD était donnée à 8 % en Bavière. On a fait finalement 12,4 %. Si on nous donne aujourd'hui 14 %, on peut viser 20  % en octobre ! "
Thomas Wieder
© Le Monde


1er août 2018

Le mouvement #metwo révèle les failles du modèle d'intégration

De nombreux Allemands d'origine turque revendiquent leur double appartenance et dénoncent le racisme dont ils sont victimes

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En moins d'une semaine, Ali Can est devenu une petite célébrité en Allemagne. La raison ? #metwo, le hashtag que ce militant antiraciste de 24 ans a lancé sur Twitter, le 25  juillet, et dont l'objectif est d'inciter les Allemands d'origine étrangère à dénoncer le racisme dont ils sont victimes au quotidien. En six jours, plus de 60 000 messages ont été postés sous ce hashtag inspiré du mouvement #metoo, suscité en octobre 2017 par l'affaire Weinstein pour libérer la parole des femmes victimes de harcèlement.
A l'origine, la décision du footballeur allemand d'origine turque Mesut Özil de quitter l'équipe nationale. " Je ne jouerai plus pour l'Allemagne des matchs internationaux, aussi longtemps que je ressentirai du racisme et du manque de respect à mon égard ", avait indiqué sur Twitter, le 22  juillet, le milieu de terrain de 29 ans. Trois jours plus tard, Ali Can, lui aussi de nationalité allemande et d'origine turque, lançait le hashtag #metwo, en référence aux deux cœurs – " un allemand et un turc " que Mesut Özil revendiquait avoir " dans la poitrine ".
Autant que la diversité des témoignages, qui portent pour la plupart sur des discriminations subies à l'école, au travail, à l'entrée des discothèques ou lors de la recherche d'un logement, c'est l'effet de masse qui donne à ce mouvement un relief particulier. Le fait, également, que plusieurs personnalités publiques aient choisi de mêler leur voix à celles des anonymes, que ce soit spontanément, sur les réseaux sociaux, ou à l'instigation de différents journaux qui, ces derniers jours, leur ont largement donné la parole. Un cas parmi d'autres : l'écologiste Omid Nouripour. Premier député d'origine iranienne à siéger au Bundestag, où il a succédé en  2006 à l'ancien ministre des affaires étrangères Joschka Fischer, cet élu de la Hesse a ainsi raconté au Spiegel comment il fut vivement pris à partie, lors d'une campagne, par un homme lui expliquant que " seuls nous, les Allemands, sommes en mesure de décider ce qui doit se passer avec les étrangers ". Ou encore qu'il avait reçu, un jour, un courrier lui disant : " Toi, Arabe de merde, retourne en Turquie ! "
Le " multimillionnaire " Mesut ÖzilAu sein du gouvernement allemand, l'ampleur prise par ce mouvement de libération de la parole semble susciter quelque embarras. Pour preuve, l'évolution des déclarations du ministre des affaires étrangères, Heiko Maas. Après que Mesut Özil eut annoncé son départ de l'équipe allemande de football, le dirigeant social-démocrate avait refusé de prendre au sérieux la justification avancée par le joueur d'Arsenal : " Je ne pense pas que le cas d'un multimillionnaire qui vit et travaille en Angleterre nous renseigne sur la situation de l'intégration en Allemagne ", avait-il déclaré.
Depuis, M. Maas, qui a notamment été critiqué par l'ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, a rectifié son discours. " A ceux qui pensent que le racisme n'est plus un problème en Allemagne, je recommande la lecture de l'ensemble des Tweet publiés sous le hashtag #metwo. Il est impressionnant et douloureux de constater combien de gens ont ici décidé d'élever la voix. Mêlons-y la nôtre : contre le racisme, tout le temps et partout ", a tweeté le ministre, vendredi 27 juillet, avant de développer ses propos dans un entretien au quotidien conservateur Bild, trois jours plus tard.
En vacances depuis le 25 juillet pour près de trois semaines, Angela Merkel ne s'est pas exprimée. Avec les élections régionales en Bavière, prévues le 14 octobre, comme avec le débat à venir autour du projet de loi du gouvernement sur l'immigration, qui devrait se tenir d'ici à la fin de l'année au Bundestag, il paraît difficile d'imaginer que la chancelière reste à l'écart d'un débat qui travaille en profondeur la société allemande. Car beaucoup d'observateurs en sont déjà persuadés : l'intérêt suscité par le mouvement #metwo, pour reprendre les mots du Spiegel, ressemble " au début de quelque chose " et montre que " le temps du silence est révolu ".
Th. W.
© Le Monde

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