L'agenda de Donald Trump en politique intérieure a-t-il motivé l'amorce d'une volte-face des Etats-Unis en Afghanistan ? L'histoire ne le dit pas encore, mais les rencontres organisées, en juillet, à Doha, au Qatar, entre une délégation américaine de haut rang et des émissaires de la direction du mouvement taliban afghan marquent une inflexion sensible de la stratégie de Washington dans ce pays. D'autres rendez-vous doivent avoir lieu avant le 24 août. Si la tendance se confirme, la question du maintien des dernières forces américaines dans ce pays sera posée pour la première fois dans le cadre de négociations formelles.
Les Etats-Unis avaient pour ligne, depuis 2013, de laisser le gouvernement de Kaboul en première position pour conduire les pourparlers et défendaient, depuis un an, une option essentiellement militaire qui s'est révélée vaine. Le département d'Etat américain, qui se refuse à confirmer ou à démentir officiellement les discussions en cours, assure toujours qu'il ne peut y avoir de retour à la paix sans dialogue direct entre les talibans et les autorités afghanes. Il concède néanmoins qu'Alice Wells, sous-secrétaire d'Etat adjointe, chargée de l'Asie du Sud, s'est bien rendue au Qatar… afin de
" féliciter " les autorités locales pour leur contribution à la paix afghane.
Pourtant, Mme Wells, entourée de plusieurs diplomates, a bien lancé de véritables négociations bilatérales, encore jugées inenvisageables en avril, avec quatre représentants talibans, selon une source diplomatique. Le groupe était dirigé par le maulvi (dignitaire religieux) Abbas Stanikzaï et comprenait, notamment, Agha Jan Motasim, ex-ministre des finances du gouvernement taliban à l'époque où ceux-ci dirigeaient le pays, entre 1996 et 2001.
Les premiers échanges ont porté sur trois types de mesures dites " de confiance " qui ont permis de fixer les bases d'un plan plus ambitieux : le sort des derniers prisonniers talibans détenus par les Etats-Unis ou les autorités afghanes ; le retrait des noms de responsables talibans de la liste de sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU visant les groupes terroristes et la reconnaissance officielle du bureau de représentation talibane à Doha, que bloque Kaboul.
Nombreux écueilsSelon nos informations, les protagonistes de ces rencontres sont convenus de se revoir avant le 24 août, pour, cette fois-ci, aborder un point bien plus sensible, la présence des troupes américaines sur le sol afghan.
" Cette question, posée depuis toujours par les talibans comme préalable à tout réel processus de paix, est désormais sur la table ", a confirmé au
Monde un diplomate occidental joint à Kaboul. En signe de bonne volonté du côté taliban, un nouveau cessez-le-feu de plusieurs jours pourrait intervenir autour des mêmes dates.
Un premier cessez-le-feu, mi-juin, assumé par le président afghan, Ashraf Ghani, mais surtout voulu par le commandement américain, a montré que les combattants talibans avaient également hâte de cesser de combattre. Le bureau du porte-parole de la présidence afghane s'est refusé, mardi 31 juillet, à tout commentaire hormis sur le fait que
" la seule solution viable passe par un règlement afghano-afghan ".
Nombre d'écueils émaillent toutefois la route de cette nouvelle tentative de conciliation. La concurrence diplomatique entre les grandes puissances pourrait affaiblir l'option américaine. Une réunion trilatérale entre des émissaires afghans, pakistanais et chinois, sur divers sujets, dont le processus de paix, s'est tenue, lundi, à Pékin. Les Russes, quant à eux, ont invité des responsables talibans à se rendre, fin août, à Moscou et disent souhaiter que les Américains se joignent aux discussions.
L'autre inconnue porte sur la réaction du Pakistan où réside, même si les autorités le démentent, le commandement taliban depuis 2002. Les autorités militaires du pays, qui pèsent lourdement sur sa politique étrangère, ont systématiquement sanctionné, ces dernières années, les chefs talibans voulant soutenir la réconciliation directe avec Kaboul. Laissant ainsi croire qu'Islamabad préférait une ligne dure et militaire afin de maintenir son voisin dans un état de relative faiblesse. L'élection, fin juillet, d'un nouveau premier ministre pakistanais, Imran Khan, a sans doute donné de l'air aux discussions de juillet, mais les semaines à venir diront si le Pakistan donnera sa chance à cette tentative de conciliation.
Enfin, l'autre écueil induit par un leadership américain dans le dialogue de paix est la possible dislocation du déjà très fragile équilibre institutionnel afghan. Car le retour des talibans comme acteur central dans le jeu politique national risque d'accentuer plus encore les fractures ethniques structurant une société afghane encore tribale. Les insurgés renforceraient le poids de l'ethnie pachtoune, déjà favorisée par le président Ghani, au détriment des partisans de l'ex-Alliance du Nord, d'origine tadjike. De quoi faire planer de nouveau le spectre de la guerre civile.
Jacques Follorou
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