Jeu de bluff, poker menteur, voire simples rodomontades… Longtemps, les menaces du président américain Donald Trump n'ont été prises au sérieux qu'à moitié. Cette époque est révolue. Des investisseurs aux analystes en passant par les entreprises et les responsables politiques, ils sont toujours plus nombreux à s'inquiéter de tensions en passe de dégénérer en véritable guerre commerciale. Au risque d'affecter sérieusement la dynamique économique mondiale.
" La Chine et l'Union européenne s'opposent à l'unilatéralisme et au protectionnisme, et pensent que cela pourrait amener récession et turbulences dans l'économie mondiale ", a déclaré Liu He, principal conseiller économique du président chinois, Xi Jinping, lors d'une réunion, lundi 25 juin, avec le vice-président de la Commission européenne Jyrki Katainen. Rien d'étonnant à cette mise au point : selon des informations de presse, les Etats-Unis seraient sur le point de dévoiler un plan visant à bloquer les investissements chinois dans le secteur technologique américain.
De quoi crisper la relation déjà très tendue entre Washington et Pékin. Et pousser l'homme de confiance de M. Xi à volontairement dramatiser la situation. Mais si l'activité planétaire demeure robuste, de premiers signaux d'alerte commencent à s'allumer. Ces derniers mois, en Europe, la production industrielle a ralenti. Le premier trimestre a surpris par sa mollesse sur fond d'érosion de la confiance.
Du Vieux Continent jusqu'en Asie, les enquêtes font état d'une dégradation du climat des affaires depuis le mois de février. En Allemagne, dont le gigantesque excédent commercial alimente les critiques de la Maison Blanche, le baromètre IFO publié lundi signale une nouvelle baisse du moral des entrepreneurs en juin. Les marchés financiers se mettent aussi à prendre au sérieux le risque d'escalade : lundi, Wall Street comme les Bourses européennes et asiatiques ont terminé en baisse.
" Tout le monde est dans l'expectative sur l'ampleur des mesures à venir, résume Julien Marcilly, chef économiste de l'assureur-crédit Coface.
C'est l'inquiétude liée à cette incertitude qui peut avoir un effet sur l'économie, plus encore que les mesures protectionnistes déjà mises en œuvre. "
Jusqu'ici, les tarifs réellement imposés – sur le bois canadien, les lave-linge, les panneaux solaires, l'acier et l'aluminium – portent sur des montants peu significatifs. Ils seraient dix fois plus importants si M. Trump mettait à exécution l'ensemble de ses menaces, selon les calculs du cabinet d'analyses Oxford Economics.
Exemple, avec la Chine : à compter du 6 juillet, de nouveaux droits de douane américains devraient frapper des produits chinois pour une valeur de 32 milliards de dollars. Mais le président américain affirme, en cas de rétorsion, se réserver la possibilité de taxer 200 milliards supplémentaires, voire même 400 milliards, soit la quasi-totalité des importations chinoises des Etats-Unis. Pékin a déjà prévenu qu'il allait riposter.
Comme pour se préparer aux effets de cette bataille sur l'activité, la banque centrale chinoise a annoncé, dimanche, qu'elle abaisserait le niveau de réserves obligatoires de ses banques. La mesure vise à libérer des fonds pour soutenir les entreprises et l'activité. Elle prendra effet le 5 juillet… la veille de l'entrée en vigueur des droits de douane américains.
Au nom de la sécurité nationaleLe pire est-il à venir ? Les analystes peinent à y voir clair dans l'avalanche des commentaires postés quotidiennement par Donald Trump. Vendredi, sur Twitter, il réitérait ses menaces d'instaurer des droits de douane de 20 % sur la totalité des voitures assemblées en Europe et exportées aux Etats-Unis. Rien de tout à fait neuf : fin mai, le président américain a demandé à ses services d'enquêter sur les importations américaines d'automobiles, au nom de la sécurité nationale.
" Une telle mesure changerait vraiment la donne, l'automobile étant l'un des secteurs les plus intégrés mondialement, estime M. Marcilly.
Il y aurait des effets sur toute la chaîne de production : l'Allemagne serait affectée, mais aussi par ricochet de nombreux pays d'Europe centrale, la Turquie, le Maroc, l'Espagne… "
Déjà, le constructeur Daimler a prévenu qu'il lui fallait revoir à la baisse ses attentes de résultat pour 2018. Un
profit warning non pas lié au front Europe-Etats-Unis mais au conflit sino-américain. Pékin a prévu de taxer les véhicules importés des Etats-Unis. Or le fabricant des Mercedes est un groupe allemand, mais il est aussi le deuxième plus gros exportateur de voitures des Etats-Unis vers la Chine.
Reste à déterminer l'effet de tous ces bouleversements sur l'activité mondiale. L'optimisme qui prévalait en 2017 a-t-il déjà vécu ? Pas aux Etats-Unis où la croissance est au plus haut, dopée par la réforme fiscale et la relance budgétaire. L'administration Trump répète que l'économie est forte et peut résister. D'autant que les exportations n'y comptent que pour 12 % du produit intérieur brut (PIB), contre 20 % pour la Chine et 43 % pour l'Union européenne.
" Pour la plupart des entreprises américaines, le cadeau que leur fait Trump sur les impôts compense la hausse des taxes sur les imports ", souligne Ludovic Subran, directeur de la recherche macroéconomique du groupe Allianz. Selon diverses estimations, le cycle de sanctions et représailles risque d'ôter, en fonction de son ampleur, entre 0,1 et 0,3 point de pourcentage au PIB américain. Un dommage non négligeable, mais pas dramatique.
A moins que l'engrenage devienne incontrôlable et sape la confiance des opérateurs américains. Lundi, tous les indices de Wall Street ont basculé dans le rouge. Réunis le 20 juin à Sintra (Portugal), les grands banquiers centraux se sont inquiétés des effets négatifs sur la croissance mondiale de la multiplication des barrières douanières. Y compris Jerome Powell, le patron de la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale). Même si les statistiques n'en portent pas encore la trace,
" pour la première fois, nous entendons parler de décisions de reporter des investissements et de retarder des embauches ", a-t-il souligné.
Marie de Vergès
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