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samedi 28 avril 2018

Les enseignants s'irritent de la méthode Blanquer


28 avril 2018

Les enseignants s'irritent de la méthode Blanquer

Les recommandations du ministre ont donné le sentiment qu'il fallait recadrer le travail des professeurs

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Dictée quotidienne, un quart d'heure de calcul mental, une application systématique de la méthode syllabique et l'usage de cahiers à réglure Séyès… Ces quelques conseils -devaient être un simple " cadrage " pédagogique, promis en décembre  2017 par le ministre de l'éducation nationale.
Mais, pour beaucoup, ils ont été surtout perçus comme un véritable camouflet envoyé aux  enseignants  par Jean-Michel Blanquer, le 26  avril, sous la forme de quatre circulaires publiées au Bulletin -officiel et d'un livret de synthèse, Pour enseigner la lecture et l'écriture au CP, adressé aux écoles.
Des textes présentés comme des " recommandations au service de la maîtrise des savoirs -fondamentaux à l'école primaire ", sur la lecture, l'enseignement de la grammaire et du vocabulaire, le calcul et la résolution des problèmes, qui correspondent pourtant dans les faits à la pratique de la plupart des professionnels, d'après les principaux intéressés : faire des dictées chaque jour, apprendre la table des additions par cœur, écrire et faire de la grammaire quotidiennement, lire plusieurs livres (en entier) dans l'année…
" Particulièrement malvenu "Mais la méthode et le discours qui ont accompagné ces publications n'ont pas manqué de choquer dans la communauté enseignante. Au matin du 26  avril, M.  Blanquer a en effet partagé une vision pour le moins prononcée, en affirmant dans Le Parisien que " la liberté pédagogiquen'est pas l'anarchisme pédagogique ". Placée en titre de l'article, la formule a fait bondir.
Pour Stéphane Crochet, secrétaire général du syndicat SE-UNSA, il s'agit clairement  d'une " opération de communication " destinée à flatter une partie de l'opinion, en surfant sur la " nostalgie d'une école d'antan "" En rejouant par exemple la question de la méthode syllabique en lecture, Jean-Michel Blanquer est sûr que tout le monde sera d'accord, puisque c'est déjà la méthode majoritairement mise en œuvre, et il laisse penser qu'aujourd'hui ce serait la pagaille généralisée. "
Dans les textes distribués, il est en effet demandé de privilégier la méthode syllabique contre toute méthode " mixte " qui -permet par exemple aux enseignants de faire mémoriser aux  élèves des " mots outils " pour les aider à lire (la mémorisation des mots relevant de la -méthode globale, qui n'est plus en usage aujourd'hui). " Cette pratique ne correspond pas à une bonne méthode ", tranche le -ministre dans Le Parisien,ajoutant que " ce sujet ne relève pas de l'opinion, mais de faits démontrés par la recherche ".
Pour Francette Popineau, secrétaire générale du SNUipp-FSU (syndicat majoritaire du premier degré), cette parution vise à " donner l'impression que l'on met enfin les enseignants au -boulot alors qu'ils se tournaient les pouces, c'est particulièrement malvenu, voire totalement méprisant ", ajoute-t-elle. " Jeter les enseignants en pâture à l'opinion, c'est une façon de s'imposer comme ministre, mais pas de -sauver l'école et d'aider les élèves à mieux réussir. "
Quant à la liberté pédagogique des enseignants visée par le ministre, la porte-parole ne manque pas de souligner qu'elle est déjà " très cadrée ", dans le respect des programmes et du projet d'établissement, sous le contrôle du corps des inspecteurs. " Notre seule liberté, c'est d'adapter l'enseignement en fonction de nos élèves ", pointe-t-elle.
Et c'est précisément cela que les syndicats enseignants souhaitent revendiquer : adapter l'enseignement à chaque élève, à rebours de toute " formule magique " qui permettrait de faire réussir tous les élèves, uniformément. " C'est peut-être ce que tout le monde a envie d'entendre mais ce n'est pas la vraie vie ", martèle Francette Popineau.La réalité de la classe, avec une diversité de profils des enfants, le rythme et les difficultés de chacun, ne -serait pas suffisamment prise en compte. Sans oublier " les autres leviers dans la réussite des élèves ", absents du débat, selon Francette Popineau, qui cite " l'abaissement des effectifs des classes " ou encore " la présence d'enseignants spécialisés pour les élèves en difficulté ".
Espace à la caricatureFace à ces accusations, le ministère se défend néanmoins d'avoir voulu " donner des ordres ", en rappelant qu'il s'agit " d'offrir un cadrage " aux professeurs " dans un état d'esprit de confiance ". Il estime que ces outils mis à leur disposition répondent à une forte demande, dans les classes, d'obtenir des précisions sur les méthodes. " Il n'y a pas d'annonce mais la définition d'un cadre commun, dans lequel la liberté pédagogique a toujours son rôle pour s'adapter au profil des élèves ", plaide-t-on dans l'entourage de M. Blanquer.
Pour Alain Boissinot, ancien directeur du Conseil supérieur des programmes, le souci de proposer ce genre d'outils aux enseignants est une bonne chose. " Mais le présenter sous forme de textes officiels, de manière un peu impérative et injonctive, relève d'une communication verticale, qui n'était pas la meilleure -option. " Laisser penser qu'il y a" les bonnes méthodes et les -mauvaises " offre forcément un espace à  la caricature. Or," aucun -professeur ne revendique le droit de faire n'importe quoi ", fait remarquer l'ancien recteur.
Cette manière de procéder ne manque pas d'interroger aussi sur le rôle des autres instances de l'éducation nationale. " Est-ce que c'est bien au ministre de donner directement ces conseils ?, souligne Alain Boissinot.  A quoi sert, alors, le Conseil supérieur des programmes ? " Ce dernier a été chargé de clarifier les programmes dans l'enseignement primaire, mais ses propositions ne seront rendues que dans plusieurs mois.
Quoi qu'il en soit, " transformer les pratiques par des circulaires, je n'y crois pas beaucoup ", confie l'universitaire.
Violaine Morin, et Camille Stromboni
© Le Monde

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