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samedi 28 avril 2018

Les identitaires font la guerre de la com aux migrants


28 avril 2018

Les identitaires font la guerre de la com aux migrants

Le groupuscule Génération identitaire mène dans les Alpes une opération minutieuse, qui embarrasse la police

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Cinq parkas bleu criard sautent d'un pick-up blanc affublé de trois autocollants " Defend Europe Mission Alpes ". Depuis lundi 23  avril, une petite milice " patrouille " à la frontière franco-italienne des Hautes-Alpes, " collecte " des informations sur les points de passage, " relève " les lieux d'aide aux migrants. " Vous n'avez pas de caméra ? " Les cinq blousons bleus ont pris l'habitude de poser pour les médias. Ici, " on s'assume ", lâche Aymeric Courtet, étudiant toulousain de 21 ans. " Pourquoi on devrait avoir honte de ce qu'on pense ? ", enchérit un autre toulousain de 28 ans, Romain Lechant. Ce qu'ils pensent, c'est être les " défenseurs " de " l'identité européenne " contre " l'islamisation " et " l'africanisation ". Pour cela, ils paradent fièrement, comme un écho à l'appel de Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump, invité vedette du congrès du FN en mars : " Laissez-les vous appeler racistes, xénophobes, islamophobes… Portez-le comme un badge d'honneur. "
Les cinq patrouilleurs croisés sur la route de Montgenèvre sont membres de Génération identitaire (GI), branche jeunesse de la mouvance identitaire fondée à Lyon en  2012. Avec le conglomérat d'Européens radicaux Defend Europe, GI a mené, samedi  21 et dimanche 22  avril, l'" opération " du col de l'Echelle. Là où, depuis l'été 2017, des migrants sont nombreux à tenter de gagner la France, entre 80 et 100 militants d'extrême droite ont déroulé un filet de chantier censé " symboliser une frontière physique " et des banderoles géantes sur lesquelles est écrit en anglais " pas de passage, rentrez dans votre pays ". Le tout survolé par deux hélicoptères afin d'ajouter quelques vidéos théâtrales à une opération très orchestrée.
Parmi les militants présents sur le col alpin, nombreux sont déjà connus des services de police. On retrouve par exemple les Lyonnais Romain Espino et Clément Gandelin alias Clément Galant, respectivement porte-parole et fondateur de GI, ou encore le Toulousain Romain Carrière, responsable sportif du mouvement. Nés dans les années 1980 ou 1990, ils dénoncent l'immigration par des actions " coup de poing " à Calais, contre un local du Parti socialiste à Nice, sur le toit de la gare de Cannes ou celui d'un bâtiment censé accueillir des Roms à Saint-Genis-les-Ollières (Rhône)… Un " Greenpeace " de droite, disait Philippe Vardon, ex-responsable du Bloc identitaire, l'aîné de GI, désormais au bureau national du FN.
Au printemps 2017, c'est en Méditerranée que l'on retrouve les jeunes identitaires, qui affrètent un bateau " antimigrants ", le C-Star, avec pour but de repousser ceux qui tentent de rejoindre l'Europe par la mer. L'opération rate, mais la communication reste.
Inimitiés avec la justiceCertains de ces faits d'armes valent à leurs auteurs des inimitiés avec la justice. Présents dans les Alpes samedi, Damien Lefevre alias Damien Rieu – directeur de la communication de la ville de Beaucaire, tenue par le FN – et Arnaud Martin alias Arnaud Delrieux ont été condamnés en première instance pour avoir organisé en  2012 l'action fondatrice de GI, l'occupation durant quelques heures du toit de la mosquée en construction de la commune de Buxerolles, près de Poitiers, avec le slogan " Gaulois, réveille-toi, pas de mosquée chez toi ".
Selon des éléments des services de renseignement, le noyau dur de GI agrège en France 150 à 200 personnes. " Ce socle est assez constant ", analyse un cadre du ministère de l'intérieur. " Ils ont des actions répétées mais qui ne basculent pas pour le moment dans la radicalisation violente, ajoute une source au sein du renseignement. Et il n'y a pas de mouvements transfrontaliers qui se caractérisent par des actions violentes. "
Une petite internationale identitaire tente toutefois d'exister. Martin Sellner, chef de file des identitaires autrichiens, s'est ainsi distingué dans les Alpes. Devenu une petite star sur les réseaux sociaux d'extrême droite – le " Justin Bieber de la droite radicale "titrait le Zeit, en mai  2017 –, cet ancien néonazi a multiplié les mises en scène. Posant ici à bord d'un hélicoptère, là aux côtés de l'Américaine Brittany Pettibone, autre figure de la droite radicale à l'audience ravageuse. Sans compter les selfies de cette dernière avec la Canadienne Lauren Southern, également présente au col de l'Echelle et qui comptabilise 366 000 abonnés sur Twitter.
Pour Samuel Bouron, maître de conférences à Paris-Dauphine qui a effectué une immersion sociologique en  2010 au sein des Jeunesses identitaires, " rendre le discours d'extrême droite sexy " fait partie de leur stratégie. Tout comme leur utilisation des réseaux sociaux. " L'arrivée du Web dans la communication de l'extrême droite lui a donné l'énorme opportunité de pouvoir diffuser son discours, sans l'intermédiaire des journalistes qui lui opposaient un sens critique et la vérification des faits. Ou étaient censés le faire ", poursuit l'universitaire. En plus de chercher à recruter des sympathisants et à récolter des dons, la mise en scène permanente, depuis samedi, sur le compte de Defend Europe vise à " respectabiliser " le mouvement.
Car en dépit de la radicalité de ses positions, il s'est cette fois attaché à rester dans les clous de la loi. La préfecture des Hautes-Alpes a ainsi évoqué une " opération de communication uniquement ", qui s'est déroulée " dans le calme ". Et alors que, à l'Assemblée, Jean-Luc Mélenchon réclamait à Gérard Collomb d'intervenir, le procureur de la République de Gap, Raphaël Balland, devait reconnaître qu'" aucune plainte, ni aucun fait susceptible de qualifications délictuelles n'ont été porté à - sa - connaissance "" Ce sont des gens qui se sont extrêmement bien préparés, confirme-t-il. Si une quelconque violence ou menace est portée à ma connaissance, je n'aurai aucune hésitation à poursuivre. "
La photo tant reprise, où l'on aperçoit un migrant qui semble faire demi-tour devant les doudounes bleues ? " Juridiquement, rien ne permet de caractériser un éventuel délit en l'absence d'éléments permettant de soupçonner par exemple la commission de violences, de menaces, des propos racistes, voire un port d'armes prohibé ", selon le procureur.
Au Royaume-Uni, Brittany Pettibone, Martin Sellner et Lauren Southern s'étaient vu refuser l'entrée sur le sol britannique, selon un article de la BBC, compte tenu des risques de tensions que leur présence entraînait. Interrogé sur l'existence de mesures équivalentes en France, le ministère de l'intérieur n'a pas donné suite. Une source au sein du renseignement affirme vouloir examiner les possibilités existantes en matière de police administrative.
Sur place, la contre-attaque s'organise difficilement. L'opposition à GI s'est surtout traduite, dimanche, par " une marche ", selon ses participants, un " passage en force "de la frontière selon les autorités. Quelque 120 militants entourant une vingtaine de migrants ont franchi le col de Montgenèvre. Trois personnes ont depuis été placées en détention provisoire. " Contre-productif ", juge un militant tout en dénonçant un " deux poids deux mesures " de la part de l'Etat. Cet épisode a poussé le ministre de l'intérieur à annoncer des " renforts " à la frontière. Une réaction que les identitaires portent à leur crédit. " C'est une victoire politique ", pour Jérémie Piano, militant GI de 23 ans. L'action du groupe a reçu le soutien de nombreux élus du FN, mais aussi à demi-mot de Thierry Mariani, chez Les Républicains.
De quoi pousser les identitaires à passer à l'étape supérieure. Dans la nuit de jeudi à vendredi, ils s'enorgueillissaient d'avoir orienté vers le poste de police trois migrants, repérés durant leur " surveillance " nocturne. Sollicitée, la préfecture rappelait que seule la police était habilitée à procéder à des interpellations et dénonçait un énième " coup de communication ".
Julia Pascual, et Lucie Soullier (Hautes- Alpes, envoyée spéciale)
© Le Monde


28 avril 2018

" On peut prêcher la haine, mais pas la solidarité "

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Ils sont venus organiser la riposte. Rendez-vous avait été donné dans un parc de Briançon, jeudi 26 avril, où une trentaine de militants étaient présents pour " discuter de la suite ". Tous dénoncent le placement en détention provisoire, mardi, de deux Suisses et d'une Italienne, poursuivis pour avoir, " par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée irrégulière en France de plus d'une vingtaine d'étrangers, avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée ".  Les trois prévenus avaient traversé la frontière franco-italienne, dimanche, avec 120 personnes et une vingtaine de migrants, en réaction à l'opération hostile aux migrants " Defend Europe " lancée samedi par des militants d'extrême droite sur le col voisin. Un passage en force de la frontière, aux yeux des autorités.
" Si tu fais partie d'une asso et que tu files un sandwich à un migrant, tu entres dans leur qualification. Alors pourquoi trois et pas 500 ? ", lance l'un des militants du parc. " La loi fait la différence entre ceux qui font du maraudage et portent secours aux migrants et ceux qui forcent des barrages de gendarmerie ", rétorque au Monde le procureur de la République de Gap, Raphaël Balland, répétant sa volonté de mettre " un coup d'arrêt à la montée en puissance des délits commis au nom de la lutte en faveur des migrants ". Des investigations sont toujours en cours pour identifier les auteurs de dégradations et de violences commises contre un agent pénitentiaire dans le cadre d'une manifestation à Gap, le 21  avril. Ainsi que les auteurs de violences contre des policiers, à Briançon le 22  avril, là encore en marge d'une manifestation.
" Laisser-faire total "" La marche, c'était un truc spontané, pas -calculé. Et on nous fait passer pour des passeurs ", soupire un Briançonnais, requérant l'anonymat par crainte de se faire interpeller. La présence des migrants avec eux ? Le départ avait été donné au refuge côté italien, précise-t-il, " ils se sont simplement joints ".
Colère et malaise chez les " solidaires " de la vallée qui dénoncent un " laisser-faire total " de la part des policiers au cours de l'opération des identitaires. A l'image de Michel Rousseau,membre de l'association Tous migrants, qui ne comprend pas que les identitaires ne soient pas poursuivis : " Alors on peut prêcher la haine en haut du col de l'Echelle, mais pas la solidarité. "
J. Pa. et L. So.
© Le Monde


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