Pascal Pavageau veut ancrer FO dans l'opposition
Le nouveau patron de la centrale a promis de combattre " très fortement la politique d'Emmanuel Macron "
|
Pascal Pavageau aurait sûrement rêvé d'un autre scénario pour son accession à la tête de Force ouvrière. Las. Vendredi 27 avril à Lille, il devait être élu secrétaire général de la confédération mais, au terme du 24e congrès de FO, il hérite d'un syndicat profondément divisé. Son prédécesseur, Jean-Claude Mailly, ne croyait pas si bien dire quand il a déclaré jeudi à la tribunequ'" une succession à FO n'est jamais simple ". Y compris quand on est l'unique candidat.
Tout semblait pourtant si bien parti. A 49 ans, Pascal Pavageau était seul en lice pour s'installer dans le fauteuil de numéro un. Un temps évoquée, la candidature de Stéphane Lardy, ex-secrétaire confédéral chargé de l'emploi et de la formation parti ensuite au cabinet de la ministre du travail Muriel Pénicaud, n'avait jamais vu le jour. Lui se prépare depuis longtemps à devenir secrétaire général de la centrale de l'avenue du Maine, à Paris. Au moins depuis 2011, date à laquelle cet ingénieur de formation fait part à Jean-Claude Mailly de sa volonté de lui succéder, deux ans seulement après être entré au bureau confédéral.
Les ordonnances réformant le code du travail sont venues contrarier ses plans bien huilés. Pascal Pavageau est resté discret quand la tempête s'est déchaînée en interne à l'automne 2017 contre Jean-Claude Mailly, dont le positionnement était jugé trop complaisant par une partie de ses troupes. Mais à l'approche du congrès, il a commencé à faire entendre sa petite musique. " In fine, les ordonnances sont à jeter, on a évité beaucoup de choses mais on n'a rien obtenu, confiait-il il y a peu. J'étais partisan d'appeler à la mobilisation et c'était une position ultramajoritaire. J'en ai fait part à Jean-Claude mais les relations sont compliquées depuis l'élection de Macron. "
Réponse de l'intéressé : " Pavageau n'a jamais dit, ni à moi, ni en bureau confédéral, qu'il n'était pas d'accord. Toute la gestion des ordonnances a été décidée à l'unanimité du bureau confédéral, lui compris. "" Il y a eu une cassure entre les deux ces derniers mois ", euphémise un membre du bureau confédéral sortant.
Inconnu du grand public, le nouveau secrétaire général a choisi de hausser le ton ces dernières semaines envers Emmanuel Macron, qu'il surnomme désormais " Jupiter ". Une façon de se démarquer de son prédécesseur. Viscéralement attaché au service public, ce fonctionnaire d'Etat se dit " frontalement opposé " à la vision de la société du président de la République, dénonçant une " logique d'individualisation des droits et du chacun pour soi ". " Je combattrai très fortement sa politique sur le plan syndical ", assure-t-il, refusant pour autant de parler d'un changement de cap de FO. " Il paraît que je suis trop dur, contestataire, mais je suis réformiste, je vais juste remettre la ligne où elle aurait toujours dû être. "
Fan de hard rockUn petit pin's où s'affichent les deux lettres rouges de son syndicat sur fond blanc ne quitte jamais le revers de sa veste. Comme le résume un dirigeant de fédération, " il a biberonné FO ". Enfant adopté, originaire d'Orléans, -Pascal Pavageau a grandi dans une famille sans engagement politique ou syndical. C'est lors de ses études, à l'Ecole nationale des travaux publics de l'Etat, qu'il croise la route de Force ouvrière. Il y adhère en 1991 et crée la première section syndicale FO de l'école avant de commencer en 1994 sa carrière professionnelle comme chef de la police de l'eau au sein des préfectures du Nord et du Pas-de-Calais.
" Rapidement, je sais que je suis bien où je suis. A FO, on demande à négocier et on y va. On obtient ce qu'on obtient puis on signe ou non. Si ce n'est pas le cas, je n'ai aucun état d'âme comme la CFDT à mobiliser. Le mot revendication me va très bien, je trouve ça noble. " Méthodiquement, le militant gravit les échelons du syndicat et fait son entrée au bureau confédéral en 2009. Repéré par Jean-Claude Mailly, ce fan de hard rock, divorcé et père de trois enfants, est chargé de l'économie, de la fiscalité, des services publics, de la politique industrielle, de l'environnement et du développement durable.
Dans une maison qui se montre peu regardante sur le vote des " camarades ", Pascal Pavageau met en avant ce qu'il considère comme sa marque de fabrique : n'être encarté dans aucun parti politique. " Une rupture ", reconnaît-il quand ses prédécesseurs étaient à la SFIO puis au PS. " Depuis 2015, tous les militants que je rencontrais me demandaient si j'avais une carte politique, raconte-t-il. La seule chose qui les intéressait, c'est l'indépendance. Il y a un rejet assez fort et une volonté de renouer avec les fondements du positionnement uniquement syndical. " " Il était le seul candidat et il s'est pourtant senti obligé de faire des promesses populistes à tout le monde ", déplore un haut gradé de l'organisation. Pour la présidentielle de 2017, on saura juste qu'il s'est déplacé mais pas la couleur de son bulletin électoral. Il précise cependant qu'il " vote régulièrement blanc ". Au passage, il glisse que " les extrêmes, ce n'est pas - s - on truc ".
Contexte social troubléLe voilà désormais aux manettes du troisième syndicat français. Alors que se profilent les élections professionnelles dans la fonction publique en décembre, sa première tâche sera de tenter d'apaiser une organisation qui sort fracturée du congrès entre réformistes et contestataires.
" Pascal crée un sentiment d'adhésion, il sait rassembler et fédérer ", assure Cécile Potters, sa future directrice de cabinet. Les trotskistes et anarchistes, notamment, pourraient lui mener la vie dure, d'autant que son élection intervient dans un contexte social troublé. " Pavageau est plus radical que Mailly, mais il se méfie comme de la peste de la CGT, analyse un bon connaisseur du social. Avec Martinez, ils sont tous les deux sur le créneau protestataire, ça en fait un de trop. " Une ligne de crête sur laquelle il devra réussir à tenir.
Raphaëlle Besse Desmoulières
© Le Monde
Après quatorze ans, Jean-Claude Mailly quitte la direction du syndicat sur un gros désaveu
Le rapport d'activité de l'équipe dirigeante sortante a été approuvé de justesse à 50,54 %
|
C'est un terrible désaveu qu'a subi Jean-Claude Mailly, jeudi 26 avril à Lille, lors du 24e congrès de Force ouvrière. Son rapport d'activité qui faisait le bilan de son mandat a été voté de justesse, à 50,54 % des suffrages exprimés. Le pire a été évité de peu pour le secrétaire général sortant mais, en prenant en compte les abstentions (12,63 %), le " pour " n'a recueilli que 44,16 % des voix. Une première dans l'histoire de la centrale. En 2015, son rapport d'activité avait été adopté à 97,07 % et quatre ans plus tôt à 97,27 %. Ces résultats devaient être officiellement annoncés vendredi matin.
Après quatorze ans à la tête de la centrale, celui qui avait succédé à Marc Blondel en 2004 quitte le premier plan syndical par la petite porte. " Comme je l'ai affirmé ce matin - jeudi - devant le congrès, je n'ai aucun regret sur la manière dont le bureau confédéral sortant a géré la situation sociale et économique depuis un an et, en tant qu'individu, je peux me regarder dans la glace, a réagi peu après le vote M. Mailly auprès des Echos. Je salue les militantes et militants de FO ; pour moi, une deuxième vie commence ; vive la liberté et l'indépendance ! " L'un de ses proches indiquait jeudi soir que M. Mailly ne se rendrait pas vendredi à la dernière journée du congrès au cours de laquelle Pascal Pavageau, seul candidat en lice, devait être élu.
Au cœur des critiques : la gestion par M. Mailly des ordonnances réformant le code du travail, jugée trop complaisante par une partie de ses " camarades ". Une année de mandat qui balaye ses treize autres à la tête du syndicat. Dans son entourage, on s'attendait à ce que la partie soit compliquée mais personne n'imaginait un score aussi serré. Un membre du bureau confédéral sortant espérait que le rapport d'activité serait approuvé " à 60 % " des voix – ce qui aurait déjà été un coup rude. Ces résultats sont une réelle surprise, même si l'ambiance du congrès était délétère depuis l'ouverture lundi. Ils témoignent aussi du fait que la colère envers M. Mailly a débordé les seuls trotskistes et anarchistes qui l'ont violemment pris à partie ces derniers jours.
Depuis le début de la semaine, la fracture était béante entre réformistes et contestataires qui se sont succédé à la tribune. Les premiers pour défendre le bilan du secrétaire général sortant, les seconds pour le conspuer. Les mots de " vendu ", " traître ", et même " macroniste ", sont revenus dans les propos de militants d'extrême gauche. Les déchirements internes ont atteint un tel degré que l'on pouvait finir par croire que M. Pavageau était candidat contre M. Mailly. Le numéro un sortant a martelé tout au long de ces quatre jours que, lors des discussions sur les ordonnances, les décisions avaient été prises " à l'unanimité " du bureau confédéral, dont M. Pavageau est membre. Ce dernier a affirmé le contraire à plusieurs reprises par médias interposés.
" Se friser les moustaches "Jeudi matin, le soufflé semblait pourtant être retombé. Et c'est dans une ambiance plutôt apaisée que M. Mailly a pris la parole pour la dernière fois devant ses troupes. " Avec le discours de Jean-Claude, les choses se sont détendues ", voulait même croire un haut gradé de l'organisation. Cette fois, pas de sifflets mais des applaudissements et une ovation de la part d'une grosse moitié des 3 500 délégués présents. Considérant que " certains ont mordu le trait de la fraternité et de la camaraderie ", M. Mailly a tenu à répondre à ceux qui l'avaient attaqué tout en appelant à l'unité de l'organisation, rappelant que " c'est comme dans le bâtiment, c'est plus long à construire qu'a détruire ".
Celui qui s'apprête à siéger au Comité économique et social européen a mis en garde ses troupes sur les dangers mortifères de la division. Pour lui, il y en a " un qui doit se friser les moustaches aujourd'hui, il s'appelle Martinez ", le secrétaire général de la CGT, et un autre qui se dit qu'il a " peut-être un boulevard si FO se déchire comme ça, il s'appelle Laurent Berger ", le numéro un de la CFDT. " Vous voulez que demain Pascal et les membres du bureau confédéral nouveau passent leur temps à recoller les morceaux ? Vous ne pensez pas qu'on a autre chose à faire ? ", a-t-il lancé.
Il n'aura pas été entendu et -Pascal Pavageau hérite d'une organisation coupée en deux. Jeudi, ce fin connaisseur du syndicat semblait pourtant confiant sur l'issue du vote. " Evidemment que le rapport d'activité sera voté, confiait-il au Monde. D'habitude, c'est assez binaire. Là, il y aura beaucoup d'abstention de camarades qui ne veulent pas en rajouter. " Et de conclure : " Le résultat du rapport d'activité sera annoncé demain - vendredi - mais c'est déjà du passé. "
Les traces de cet épisode risquent pourtant de se faire sentir pendant un moment.
R. B. D.
© Le Monde
|
|
|
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire