Cinquante ans après Mai 68, la parole est donnée aux oubliés de ces journées qui ébranlèrent la France : policiers, gendarmes, pompiers… Dans deux documentaires diffusés cette semaine, des anciens flics racontent les barricades, les insultes, les jets de pavés, mais aussi les arrestations, les charges, les grenades de gaz lacrymogène et les coups de matraque donnés aux étudiants, parfois au sol. Il en ressort que les forces de l'ordre furent souvent désemparées, sinon dépassées, face à des manifestants déterminés.
68 : sous les pavés… les flics, de Laurent Chabrun et David Korn-Brzoza, se concentre sur des témoignages d'anciens CRS, gendarmes mobiles, commissaires et policiers infiltrés. S'appuyant sur des archives filmiques en couleurs, souvent inédites, ce film restitue les différents ressentis : un ex-flic reconnaît avoir eu la
" trouille " ; un de ses anciens collègues admet n'avoir rien compris aux revendications des jeunes.
Les témoins interrogés insistent surtout sur le fait que leurs équipements étaient sommaires et inadaptés : les CRS, en chemise cravate, étaient flanqués de lourds boucliers rarement transparents ; les gendarmes, coiffés de casque datant de la seconde guerre mondiale, portaient des lunettes d'aviateur peu efficaces pour se protéger des projectiles.
Eviter l'irréparableCe film se distingue également par son récit méticuleux des événements, au jour le jour. Il montre ici que l'action des policiers est suspendue aux ordres du pouvoir. On perçoit les tensions au plus haut niveau, entre le président, de Gaulle, le premier ministre, Georges Pompidou, et le ministre de l'intérieur, Christian Fouchet. Sans oublier le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, auquel le documentaire confère une centralité. Marqué par les manifestations sanglantes du 6 février 1934, place de la Concorde, il se fixe pour objectif de maintenir l'ordre sans avoir à ramasser de cadavres. Si les journées de Mai-Juin 68 font cinq morts, dont deux parmi les forces de l'ordre, le préfet a réussi son pari. Jamais la ligne rouge n'a été franchie : ni les flics ni les manifestants n'ont commis intentionnellement l'irréparable.
Mai 68, dans l'œil de la police, de François Pomès, en arrive à la même conclusion. Beaucoup moins riche d'un point de vue filmique, son documentaire est néanmoins plus analytique. La multiplicité des points de vue, ceux des policiers, des pompiers, mais aussi des historiens, des photojournalistes, ainsi que des meneurs du mouvement étudiant tel Alain Geismar, permet d'élargir les problématiques. Ne se cantonnant pas au Quartier latin, le film aborde la question des affiches représentant la brutalité policière à Toulouse et à Lyon. Il rappelle aussi que l'histoire des affrontements en Mai 68 se décline au masculin.
Ce documentaire propose également une lecture différente de la disparition du général de Gaulle, le 29 mai, à Baden-Baden. S'ils reconnaissent s'être sentis abandonnés, les policiers interrogés ne louent pas moins
" l'idée magistrale " du général. En créant un sentiment de vide, le président de la République aurait réussi à renverser la vapeur. Sur cette question, le film de Chabrun et Korn-Brzoza se montre plus rigoureux, rappelant à quel point cette fuite fut désespérée : -de Gaulle était à ce moment-là prêt à renoncer au pouvoir.
Antoine Flandrin
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