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samedi 28 avril 2018

L'OTAN en manque d'avions-cargos russes


28 avril 2018

L'OTAN en manque d'avions-cargos russes

Le transporteur aérien Ruslan Salis, prestataire de dix pays européens de l'Alliance atlantique, fait défection

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Les représentants de dix pays de l'OTAN se sont retrouvés jeudi 26  avril à Gdansk, en Pologne, pour une réunion de crise. En cause : la défection annoncée d'un prestataire russe du transport aérien militaire, Ruslan Salis GmbH. L'entreprise, basée en Allemagne, qui travaille depuis plus de dix ans dans le cadre d'un contrat de sous-traitance, a décidé de ne plus louer d'avions-cargos aux armées européennes à partir de 2019.
Allemagne, Belgique, France, Hongrie, Luxembourg, Norvège, Pologne, République tchèque, Slovaquie et Slovénie doivent trouver des alternatives. Les exercices et les opérations militaires de ces dix nations pourraient connaître des problèmes logistiques. L'Allemagne est le principal utilisateur du contrat, suivie par la France, très engagée à l'extérieur.
En France, cette difficulté s'ajoute à un dossier déjà lourd. Plusieurs investigations ont été lancées depuis 2017 sur des irrégularités entourant les marchés publics de l'affrètement aérien entre le territoire national et les troupes déployées à l'étranger : enquête pénale du Parquet national financier, enquête interne du Contrôle général des armées, enquête de commandement de l'état-major.
L'agence de soutien et d'approvisionnement de l'OTAN (NSPA) a conclu en  2006 un contrat, baptisé " Salis ", de sous-traitance d'avions-cargos, notamment d'Antonov 124, auprès de deux compagnies, l'une russe, l'autre ukrainienne. Les armées occidentales, à l'exception des Etats-Unis avec leurs Galaxy C5, ne possèdent pas de très gros porteurs de ce type.
Sur le marché mondial de la location, pour des raisons historiques, les avions disponibles et autorisés à transporter du fret d'armement sont très peu nombreux. Ils sont en outre propriété quasi exclusive de sociétés issues de l'ancien bloc soviétique. En  2010, six compagnies louaient trente Antonov  124 dans le monde. En  2018 ne subsistent que trois compagnies, disposant de vingt avions, une russe, une ukrainienne, une émiratie (qui n'a qu'un appareil).
Contrat scindé en deuxAprès l'annexion de la Crimée par la Russie en  2014, l'OTAN a dû scinder en deux son contrat pour des raisons politiques. D'un côté, le prestataire ukrainien, avec la compagnie d'Etat Antonov DB, qui a assuré 900  heures de vol en  2017 dans le cadre de Salis. De l'autre, le russe, avec la compagnie privée Volga-Dnepr Airlines, qui a fourni 1 400  heures – dont 630  heures achetées par la France, pour 40  millions d'euros.
Salis a couvert 80  % des besoins français du fret aérien en  2017. Le reste a été apporté par ICS, un affréteur français que le ministère a en partie suspendu en raison des enquêtes en cours. Les années précédentes, les proportions étaient inverses. Le ministère de la défense avait privilégié le prestataire français, qui faisait lui aussi voler, entre autres, des avions russes.
Volga-Dnepr possède douze Antonov 124 en très bon état. La compagnie a été un gros prestataire de l'armée américaine, notamment en Afghanistan. Selon la NSPA, elle veut se retirer du marché militaire, pour éviter que les nouvelles sanctions américaines prises contre des entreprises russes partenaires du secteur ne pénalisent ses activités civiles. " Le directeur général de Ruslan Salis assure qu'il honorera cependant les obligations du contrat en cours jusqu'au 31  décembre 2018, a écrit, le 12  avril, l'agence à ses dix clients. Comme leur décision va avoir un impact majeur sur les moyens de Salis, nous devons clarifier la marche à suivre pour les années qui viennent. "
Selon un représentant en France, Volga-Dnepr a arrêté il y a quelques mois de travailler pour l'agence russe Rosoboronexport, chargée des exportations d'armement. Elle a ensuite averti vouloir faire de même avec les industriels français clients, MBDA et Nexter. Avant de signifier à l'OTAN qu'elle ne renouvellerait pas son contrat.
Le fret aérien ne couvre qu'une petite partie de la logistique française vers les opérations extérieures : 80  % des 62 000  tonnes transportées l'ont été par voie maritime sur la dernière année. Mais en cas d'urgence, les avions-cargos sont irremplaçables. Des sources militaires conviennent que, sans eux, la France ne pourrait plus lancer une opération comme " Serval ", au Mali.
Début 2013, l'armée avait projeté 18 000  tonnes de fret en un mois, avait révélé un rapport du député (LR) de la commission des finances, François Cornut-Gentille. Cet effort tout à fait exceptionnel a mobilisé 115  vols d'Antonov, 47  Iliouchine, 110  C17 de pays alliés, et même sept vols du plus gros transporteur du monde, l'Antonov 225, dont il n'existe qu'un exemplaire. Les deux grandes opérations en cours, " Barkhane ", au Sahel, et " Chammal ", en Irak et Syrie, ont eu besoin des cargos pour transporter des hélicoptères et des munitions en nombre en  2017.
La nouvelle flotte d'Airbus A400M, en cours de livraison, ne couvrira pas tous les besoins. De plus, l'armée ne peut pas les consommer tous pour la logistique, au détriment de leurs missions tactiques (assauts aéroportés, forces spéciales, etc.).
" L'agence de soutien et d'approvisionnement de l'OTAN travaille avec les nations Salis pour trouver des options à partir de janvier  2019 et ne peut en dire plus à ce stade ", a indiqué une porte-parole au Monde. Jeudi, comme l'a souligné Le Journal de l'aviation, le constructeur ukrainien Antonov a déplacé opportunément son Antonov  225 au salon international aéronautique de Berlin. " L'industriel a réaffirmé sa volonté de contribuer de manière accrue au contrat otanien Salis. " Il ne dispose cependant que de sept An-124 et tous ne sont pas en état de vol.
Contrat bilatéral avec la compagnie russe, mutualisation de C-17 de l'OTAN, achat de Bœing  747, location de Galaxy  C5 américains… les armées ne resteront pas sans solution, mais quelle qu'elle soit, elle exigera du temps et de lourds aménagements logistiques. Pour la France, " la dépendance extérieure est très forte et annihile toute prétention à l'autonomie politique. Le transport aérien est assurément le talon d'Achille des forces françaises ", avait dénoncé, en octobre  2017, dans le rapport sur le budget de l'Etat, le député François Cornut-Gentille.
Nathalie Guibert
© Le Monde

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