Lettre ouverte d’une enseignante d’Albi
dimanche 6 juillet 2014
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La Fédération nationale de la Libre Pensée informe d’une lettre ouverte d’une enseignante d’Albi, collègue de celle qui a été assassinée par une mère d’élève. Cette lettre ouverte pose un certain nombre de questions qui sont au cœur de cette tragédie.
Monsieur le Président de la République
Monsieur le Ministre de l’Education Nationale
Madame la Rectrice de l’Académie de Toulouse
Madame la Directrice des Services Départementaux
de l’Education Nationale du Tarn
de l’Education Nationale du Tarn
Madame l’Inspectrice de l’Education Nationale d’Albi
Albi, le 5 juillet 2014
Mesdames, Messieurs,
Ce matin je me suis réveillée avec une sensation de vide au creux de l’estomac. Pas le vide
qui fait habituellement suite à l’agitation d’une fin d’année scolaire. Pas non plus le vide qui laisse
plus tard la place au repos bien mérité des vacances. Mais le vide de l’incompréhension d’un acte fou,
le vide de la douleur face à l’atroce, et le vide d’une question qui restera à jamais sans réponse :
« Pourquoi ? ».
Comment a-t-on pu laisser les violences faites aux enseignants s’installer au sein même de
nos écoles ? Qui a donné le droit aux parents d’élèves de nous demander, de façon condescendante
voire agressive, des comptes sur nos méthodes pédagogiques, sur le cadeau de la fête des mères ou
encore sur la sortie de fin d’année ? Qui les a autorisés à nous lancer des remarques assassines en
réponses aux commentaires que nous nous permettons de faire concernant le travail, le comportement
ou encore la santé de leurs enfants ? Qui a rendu possibles les insultes, les menaces ou les bousculades
supportées par les enseignants au détour d’un couloir ? Qu’est-ce qui a permis de rendre envisageable
dans l’esprit d’une mère le projet de poignarder la maîtresse de sa fille, en classe et en présence de
ses élèves, parce que celle-ci était préoccupée par les retards et donc la bonne scolarisation de son
enfant ?
Le fait que ce cas soit, fort heureusement, isolé ne diminue pour autant pas le degré surréaliste
d’horreur de ce drame ; et ce qui, ce matin, me donne envie de pleurer, c’est que la sonnette d’alarme
est tirée depuis bien longtemps. Les agressions d’enseignants deviennent monnaie courante tandis
que leurs remontées au sein de notre hiérarchie demeurent, quant à elles, sans suite, si ce n’est cet
éventuel et judicieux conseil : « Participez au mouvement et changez donc d’école ! ».
A quel moment un métier, une profession qui étaient sacralisés il y a encore moins d’un siècle
ont-ils pu devenir à ce point dénigrés depuis lors ? Qui a mis dans l’inconscient populaire l’idée que
le corps enseignant n’était constitué que de grévistes râleurs et fainéants toujours en vacances ?
Comment est-il possible que nous, enseignants, soyons à ce point détestés et ce malgré le temps que
nous donnons, les efforts que nous faisons et le travail que nous réalisons afin d’aider nos élèves,
leurs familles et la collectivité ? Pourquoi le lien social que nous nous appliquons à tisser entre l’école
et les familles n’est-il toujours pas reconnu à sa juste valeur ? Pourquoi les relations entre l’école, les
services sociaux, et les services de soins ne semblent pas toujours fonctionner, dans l’intérêt des
enfants, de façon optimale ? Ce sont d’ailleurs ces mêmes services qui, notamment pour des raisons
budgétaires, en fermant les yeux sur des faits très préoccupants ou encore en passant sous silence
certaines informations, créent par omission des situations dangereuses tant pour les enfants que pour
les enseignants. A partir de quand les pouvoirs publics vont-ils enfin se décider à prendre leurs
responsabilités et à faire ce que nous autres, enseignants, leur demandons simplement depuis tant
d’années : être non plus entendus mais écoutés !
Aujourd’hui, je pleure avant tout le décès d’une collègue dans l’exercice de ses fonctions. Je
pleure également ces deux petites filles et ce mari qui se sont réveillés ce matin, comme moi, avec ce
vide au creux de l’estomac ; ce vide qui, eux, les suivra toute leur vie. Je pleure enfin la société dans
laquelle nous vivons, et dans laquelle nos enfants vont grandir. Cette société française - berceau des
droits de l’Homme, de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité - qui a laissé, depuis trop
longtemps, monter en puissance les injustices, les inégalités sociales et les violences quotidiennes.
Cécile Monié-Carré
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