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mercredi 30 juillet 2014

HISTOIRE et MEMOIRE - Il y a un siècle le 30 juillet 1914 : ma femme a raison !

HISTOIRE et MEMOIRE 

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Il y a un siècle

30 juillet 1914 : ma femme a raison !

« Et tu crois que cela me rassure ce que je lis dans la presse et de ne plus te voir rentrer de l’Elysée, épuisé et taciturne,  qu'après 11 heures du soir ? »
Ma femme Nathalie demande des comptes. C'est légitime. Je n'ai que trop tardé à tout lui dire, j'ai pris sur moi au-delà du raisonnable, à assumer mentalement, seul, cette charge de conseiller d’un Président de la République absent, en pleine crise internationale.
Cela me fait du bien de parler à mon épouse, de lui demander conseil pour la suite, de tester ses réactions, elle qui a encore un regard neuf sur ce que je vis...
Elle décide de me questionner avec précision : «  On va vers la guerre, n'est-ce pas ? »
Je réponds sans détour et dans un souffle : « Oui, sans aucun doute. » Et je lui raconte d'une traite l'enchaînement terrible que personne n’a pu éviter ces dernières semaines :
1 : cette Autriche décidée à en découdre avec la Serbie, l’Allemagne qui la soutient sans réserve pour ne pas être accusée de se dérober à ses devoirs vis à vis de son seul allié sûr en Europe ;
2 : la mobilisation en Autriche et sans doute parallèlement dans une Russie qui ne peut admettre cette menace de Vienne à ses portes ;
3 : la réaction agressive probable d’une Allemagne préférant se battre avec la Russie d’aujourd’hui plutôt que celle qui risque d’émerger dans deux ou trois ans quand les lignes de chemins de fer pouvant acheminer rapidement les troupes du tsar seront achevées. Le Reich engage dès lors son audacieux plan Schlieffen qui prévoit une mise hors de combat de la France en quelques semaines afin de tourner ensuite toutes ses forces vers l'Est.
Et en toile de fond, les états-majors de toutes les puissances européennes qui ne veulent pas être pris de cours et poussent à l'engagement sans délai de leurs troupes respectives.
Ma femme répète, le regard infiniment triste, tétanisée : «  La guerre, la guerre... Mais cela veut dire que tu pars demain au front ? » Je la rassure. À 46 ans, je serais tout au plus versé dans la « réserve de l’armée territoriale », loin à l'arrière des lignes. Et vu mes fonctions à l'Elysée, il y a peu de chances que cela se produise.
Revenant à la charge, Nathalie questionne à nouveau : « Et Nicolas ? » Là encore, je pense être rassurant. Notre fils aîné est de la classe en 16. Il ne partira donc, le jour de ses vingt ans, que dans deux ans. Et d'ici là, la guerre - si guerre il y a - sera finie. Nous l'aurons gagné ou, comme en 1870, perdu. J'ajoute : « Les états-majors sont tous formels, la guerre aura pour caractéristique d’être brève. L’offensive de l'un des belligérants se révèlera victorieuse rapidement. »
Je sens Nathalie peu convaincue. Elle lâche, en soupirant : « En 1870, nos généraux se sont déjà lamentablement trompés, persuadés d'avoir une armée capable de rivaliser avec la Prusse. En 1914, ils s'égarent encore, j'en suis certaine. Comment imaginer un instant qu'une guerre engageant, sur des territoires immenses, des millions d'hommes ainsi que des matériels énormes, produits de façon industrielle, comme des fusils modernes, mitrailleuses et canons, puisse être une guerre courte ? Au contraire, nous allons basculer dans une horreur totale et longue ! » Je sens que ma femme a raison.
Elle me prend la main – je crois distinguer une larme qui coule, dans la pénombre, sur sa joue - et me glisse à voix basse : « Olivier, tu te rends compte ? C’est tout notre monde qui va être englouti, cette belle époque que nous avons vécue… »
Ma femme, Nathalie.
Ma femme, Nathalie.

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