A Boston, une bombe à retardement sur le conflit nord-irlandais
Par par Ross Kerber et David IngramReuters/Reuters - Le placement en garde à vue du dirigeant nationaliste nord-irlandais Gerry Adams, entendu sur un meurtre remontant à 1972, pourrait trouver son origine dans une série d'interviews données
par Ross Kerber et David Ingram
BOSTON/NEW YORK (Reuters) - Le placement en garde à vue du dirigeant nationaliste nord-irlandais Gerry Adams, entendu sur un meurtre remontant à 1972, pourrait trouver son origine dans une série d'interviews données par d'anciens acteurs du conflit au Boston College.
Les historiens chargés de ce projet destiné au départ à rester secret pendant des décennies redoutent désormais que d'autres témoignages ne soient rendus publics bien avant et ne servent à mettre en cause d'autres personnalités.
L'an dernier, les autorités américaines et britanniques ont remporté une bataille en justice contre l'université du Massachusetts en faisant valoir que ces enregistrements devaient être divulgués aux enquêteurs chargé d'élucider le meurtre par l'Ira (Armée républicaine irlandaise) en 1972 de Jean McConville, l'un des plus célèbres épisodes des "troubles" qui ont secoué pendant trente ans la province britannique.
Des éléments obtenus via ces témoignages ont en effet établi un lien entre la mort de Jean McConville et Gerry Adams, qui a toujours démenti toute appartenance à l'Ira - il était le porte-parole de sa vitrine politique, le Sinn Féin - et toute implication dans ce meurtre en particulier.
Mais cette victoire judiciaire a aussi créé une bombe à retardement car d'autres interviews pourraient en théorie être obtenues par les enquêteurs.
Les chercheurs du Boston College ont interrogé 26 membres de l'Ira et 20 membres de l'Ulster Volunteer Force (UVF), le groupe paramilitaire unioniste protestant, en leur promettant de ne rien divulguer avant leur mort.
"Le gouvernement américain doit clairement souligner que ce n'est pas un entrepôt où la police nord-irlandaise peut aller puiser des preuves à sa guise", déclare Ed Moloney, un journaliste irlandais installé à New York qui a participé à ce projet d'histoire orale mené entre 2001 et 2006.
Ed Moloney estime, comme l'ancien membre de l'Ira devenu historien Anthony McIntyre, que le gouvernement américain s'est montré trop coopératif avec les autorités nord-irlandaises sans mesurer l'impact que pourraient avoir ces témoignages sur la fragile paix qui perdure dans la province depuis les accords de paix du Vendredi-Saint de 1998.
Depuis l'arrestation de Gerry Adams, Anthony McIntyre a reçu des menaces, a précisé son épouse Carrie Twomey. Il a été qualifié d'informateur sur Twitter, a-t-elle expliqué au téléphone d'Irlande. L'historien vit dans la circonscription que Gerry Adams représente au parlement irlandais.
VOIX D'OUTRE-TOMBE
Le Boston College conserve ces archives sous la forme d'enregistrements analogiques ou numériques et de leurs retranscriptions sur papier. A l'origine, le projet ne devait être rendu public qu'au terme de longues années, pour aider les historiens à documenter et comprendre le conflit.
Mais dès 2010, un livre de Moloney, "Voices from the Grave", a ouvert une brèche, en puisant dans les témoignages du commandant de l'Ira Brendan Hughes et d'un combattant de l'UVF devenu responsable politique, David Ervine. Les deux étaient décédés, autorisant la publication de leurs récits.
Dans l'ouvrage, Brendan Hughes cité par Moloney établit un lien entre Gerry Adams et la mort de McConville, soupçonnée par l'Ira d'être une informatrice pour le compte des Britanniques, ce que sa famille a toujours démenti.
Parallèlement, la presse irlandaise a publié en 2010 des articles à propos de Dolours Price, une militante de l'Ira emprisonnée pour un attentat commis à Londres en 1973, qui liait Gerry Adams à la mort de McConville et d'autres incidents.
Ces publications ont attiré l'attention de la police et conduit les enquêteurs à engager une action en justice aux Etats-Unis pour obtenir les documents du Boston College.
Les chercheurs "ont fait des promesses qu'ils ne pouvaient pas tenir en déclarant qu'ils garderaient secrètes des preuves de meurtre ou d'autres crimes jusqu'à ce que leurs auteurs soient dans leurs tombes", ont estimé les procureurs américains dans un dépôt de plainte en 2011.
Ils qualifiaient alors le Belfast Project de "louable" mais la promesse d'absolue confidentialité "faillible".
En 2012, une cour d'appel fédérale a validé la demande de la police nord-irlandaise en s'appuyant sur un jugement de la Cour suprême de 1972 selon lequel les journalistes ne peuvent pas se prévaloir d'un quelconque privilège pour refuser de témoigner dans une affaire criminelle.
La cour a ensuite réduit de 85 à 11 le nombre d'interviews que le Belfast College était tenu de divulguer.
(Jean-Stéphane Brosse pour le service français)
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