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samedi 17 novembre 2018

Péril en la dernière demeure - le 28.10.2018

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sOS CONSO CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
Péril en la dernière demeure
A l’occasion de la fête des défunts, le 2 novembre, nombre de familles iront fleurir la sépulture d’un parent. Certaines d’entre elles auront la surprise de ne pas retrouver, sur la pierre tombale, le nom de la personne qu’elles y avaient fait graver. Le corps du défunt peut en effet avoir été chassé de sa dernière demeure, comme dans l’affaire suivante.
En janvier 2013, Evelyne (tous les prénoms sont modifiés) fait inhumer son parrain, Guy, dans le caveau où repose l’épouse de celui-ci, Edith. Evelyne respecte ainsi les dernières volontés du défunt, dont elle était non seulement la filleule, mais aussi, depuis quelques années, la tutrice. Le caveau, qui accueille déjà les parents d’Edith, étant toutefois trop petit pour recevoir la dépouille de Guy, l’opérateur des pompes funèbres réunit les restes mortels d’Edith et les dépose dans une boîte à ossements, près du cercueil de celui-ci.
Lorsque Josiane, nièce d’Edith et héritière de la concession familiale, en est informée par le notaire, elle se met en colère : elle n’aimait pas Guy, l’ignorait même, et ne comprend pas qu’il ait été inhumé dans la sépulture acquise par le père d’Edith. Elle fait exhumer son cercueil, et obtient son transfert dans… la fosse commune. Elle envoie la facture (1 500 euros) à Evelyne, afin qu’elle la rembourse.

« Liens d’affection »

C’est avec stupeur qu’Evelyne apprend que son parrain se trouve dans le carré des indigents, et qu’elle est assignée en justice, alors qu’elle a respecté ses dernières volontés. Elle fait valoir que Guy, en sa qualité de conjoint de l’héritière du fondateur de la sépulture, était en droit d’y être inhumé, sans l’accord exprès d’un autre héritier. En effet, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, « une concession de famille a vocation à recevoir, outre le corps du concessionnaire, ceux de son conjoint, de ses successeurs, de ses ascendants, de ses alliés [membres de la famille du conjoint] et de ses enfants adoptifs, voire même ceux des personnes unies au concessionnaire par des liens particuliers d’affection ». La cour d’appel d’Aix-en-Provence lui donne raison, le 17 mai. Elle condamne Josiane à réparer le préjudice moral ainsi subi.
Ce jugement vaut également pour les familles recomposées : les enfants d’un premier mariage n’ont pas le droit de s’opposer à l’inhumation, au côté de leur mère, d’une nouvelle épouse. Seul le fondateur d’une sépulture est en droit d’en exclure certains parents, dans l’acte de concession ou dans un écrit ultérieur, comme le rappelle l’affaire suivante. Etienne achète une concession familiale, dans laquelle il fait inhumer son épouse, Margaretha, au décès de celle-ci. Anna, la mère de Margaretha, lui demande le droit de reposer auprès de sa fille, le jour venu. Il le lui refuse, ne voulant pas de sa belle-mère dans l’au-delà. Anna l’assigne, en lui opposant la jurisprudence du Conseil d’Etat, et perd : la Cour de cassation juge, le 17 décembre 2008, que « le titulaire de la concession demeure le régulateur du droit à l’inhumation dans la concession » ; il est donc « libre de décider quels membres de la famille y [seront] inhumés ».
Si les héritiers d’une concession peuvent librement faire inhumer leurs conjoints et leurs descendants, ils doivent en revanche obtenir l’accord de tous pour faire entrer une personne étrangère à la famille. Et le partenaire de pacs ou le concubin sont, à l’heure actuelle, encore des personnes étrangères ! Même chose pour le légataire universel : la commune de Balma (Haute-Garonne) a ainsi été condamnée, en décembre 2011, à dédommager l’héritier par le sang d’une concession pour avoir autorisé l’inhumation dans celle-ci, en 2009, d’un homme dépourvu de tout lien avec la famille. L’homme était l’ami et le légataire universel de la titulaire de la concession, morte avant lui, sans descendants directs.
Il ne faut pas confondre concession familiale et concession « collective », cette dernière ne devant accueillir que les personnes nommément désignées dans l’acte d’acquisition, comme le montre l’exemple suivant : lorsque Patrick décède, en 2014, sa femme et sa fille souhaitent le faire inhumer dans la concession perpétuelle qu’ont acquise, en 1972, M. et Mme H., les beaux-parents du défunt, qui y reposent. Le maire leur en refuse l’autorisation : la concession a été accordée à M. H. dans le but d’« y fonder la sépulture particulière de lui-même et de son épouse » – et de personne d’autre. La fille saisit la justice. Elle explique que Patrick et son beau-père« entretenaient les meilleures relations », et que si M. H. a acheté un large caveau, de 5 m², « c’est pour accueillir plus que deux cercueils ». La cour administrative d’appel de Nantes rejette sa requête, le 22 septembre 2017.

Pas de cession

De même, une concession « individuelle » ne doit accueillir qu’une seule personne. Pour ne pas avoir respecté ce principe, la commune de Montainville (Yvelines) a été condamnée à payer 1 000 euros à chacune des deux filles de Jules E., le 8 juillet 2010 : elle avait autorisé l’inhumation, dans la concession de Jules, du père et de la mère de celui-ci, ainsi que de l’épouse d’un de ses petits-fils.
Une concession ayant déjà reçu des inhumations se voit, de fait, affectée à la famille de son titulaire. Elle ne peut donc être cédée à un tiers, ni par donation ni par legs, comme le rappelait, en 2012, le Défenseur des droits, souvent saisi de demandes d’intervention auprès des mairies. Qu’elle soit occupée ou vide, elle ne doit pas être cédée à une personne morale. Une vieille dame qui avait légué le caveau dans lequel elle devait être inhumée à une association, afin que celle-ci l’entretienne, n’a pu obtenir que ses dernières volontés soient respectées.

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