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vendredi 30 novembre 2018

Agonie d’une ligne ferroviaire - le 5.11.2018


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L’AIR DU TEMPS |CHRONIQUE
Agonie d’une ligne ferroviaire
Ubu travaille à la SNCF, il est chef de gare à Ruelle-sur-Touvre, en Charente, près d’Angoulême. Cette petite ville de 7 500 habitants a connu une heure de gloire inattendue dans les médias, il y a dix jours, après la publication d’un article de La Charente libre, largement repris, faisant état de travaux de rénovation sur la façade de sa gare. Sa gare où, paradoxe absolu, plus aucun train ne circule depuis mars et la fermeture de la ligne Angoulême-Limoges.
Symptomatique des décalages décisionnels dont peut être capable la SNCF, cette histoire de « gare fantôme réhabilitée » a beaucoup fait rire sur les réseaux sociaux. Et accablé un peu plus les Charentais pour qui la fermeture en question – annoncée initialement comme « temporaire » par l’entreprise ferroviaire avant que celle-ci ne la prolonge sine die – est d’ores et déjà entérinée.
Tout laisse à penser en effet que plus aucun TER n’empruntera le tronçon entre Angoulême et Saillat-sur-Vienne (Haute-Vienne), une ville située à mi-distance, où le service a été suspendu pour être remplacé par des cars. Une lente mais inexorable agonie s’est dessinée au fil des années sur cette ligne aux airs de cas d’école. En cause : la dégradation des voies.
Pour des « raisons de sécurité », les trains ont d’abord diminué leur vitesse de pointe de 120 km/h à 100 km/h, avant de rouler à 80 km/h un peu plus tard, puis à 60 km/h et même à 40 km/h – la vitesse d’un scooter. Des « problèmes de géométrie » ont finalement conduit à un arrêt du service. C’était le 14 mars. Une réouverture avait été envisagée pour la fin avril. Vœu pieux. Le chiendent n’en finit pas de proliférer, depuis, au milieu du ballast.
La faute à qui ? A l’Etat d’abord, qui a confirmé, en 2017, son désengagement financier dans la rénovation de la moitié des petites lignes comme celle-ci, dites « UIC 7-9 ». Mais à la SNCF également, qui n’a rien fait pour entretenir l’axe Angoulême-Limoges, supprimant dès 2006 l’équipe de sept agents affectés à cette tâche. La détérioration du service s’est alors accompagnée d’une diminution du nombre des usagers. Celle-ci fait aujourd’hui peser une menace plus que sérieuse sur son avenir.
« La stratégie de la SNCF est simple : on arrête d’investir pendant vingt ans sur une ligne qu’on laisse aller à vau-l’eau ; la vitesse diminue progressivement au nom de la sécurité ; la fréquentation s’effondre ; la baisse d’attractivité de la ligne permet alors de justifier sa fermeture », dénonce Jean-François Dauré (PS), le président du Grand Angoulême. D’autres facteurs ont participé au mouvement. Comme l’incapacité des collectivités locales à maintenir la pression collectivement sur la SNCF. Ou l’amélioration des routes du département, qui a poussé certains usagers du train à préférer la voiture. « Ajouté à la dégradation du réseau ferroviaire, tout ceci a conduit à un abandon de la ligne », déplore William Jacquillard (Génération. s), conseiller régional délégué aux gares et à l’intermodalité.
Les (quelques) éléments envoyés au Monde par la SNCF sur le dossier ne permettent pas d’aboutir à une conclusion aussi catégorique. « SNCF Réseau, en tant que gestionnaire de l’infrastructure, apporte son expertise et établit des projets qui permettraient de rétablir les circulations ferroviaires sur l’ensemble de la ligne », indique-t-on ainsi au siège du groupe, en prenant soin de manier le conditionnel et non sans rappeler que ce type de ligne est financé dans le cadre des contrats de plan Etat-Région (CPER). Confrontée à une demi-douzaine de cas similaires sur son territoire, la région Nouvelle-Aquitaine ne participera aux travaux entre Angoulême et Limoges – d’un montant total de 140 millions – que si l’Etat y va aussi de sa poche, à titre exceptionnel. En supposant que le tour de table soit finalisé d’ici à la fin de l’année, la ligne ne rouvrirait pas avant 2022.
En attendant, les usagers se débrouillent. Autrefois d’1 h 40, le temps de parcours entre Angoulême et Limoges (113 km) nécessite désormais une heure de plus. Estimée à 450 voyageurs par jour en 2016, la fréquentation de la ligne a chuté à 365 personnes en 2017 avec les réductions de vitesse. Depuis l’apparition des cars de substitution, il y a huit mois, elle aurait de nouveau diminué de « 50 % pour les voyageurs occasionnels et de 40 % pour ceux qui font le trajet domicile-travail », évalue William Jacquillard.

« C’est aberrant »

Le point névralgique, sur le parcours, est la commune de Chasseneuil-sur-Bonnieure (3 000 habitants) où un lycée professionnel et un CFA accueillent 800 élèves et apprentis originaires de toute la Charente et des départements limitrophes. Face aux difficultés d’acheminement, des parents se sont regroupés pour louer les services d’un transporteur privé afin de conduire leurs enfants. D’autres ont inscrit les leurs à l’internat afin qu’ils ne se retrouvent pas dans l’incapacité de rentrer chez eux en raison d’un défaut de correspondance à Angoulême.
Une certaine résignation s’est installée tout au long du parcours, comme en témoignent les élus locaux. « On a beau répéter autour de nous qu’il faut se battre pour cette ligne, la population est persuadée qu’on ne reverra plus jamais de train par ici », constate Fabrice Point (PS), conseiller départemental, habitant Chasseneuil-sur-Bonnieure. « Les gens ne comprennent pas pourquoi Paris et Bordeaux ont été rapprochées avec le prolongement de la LGV alors que Limoges et Angoulême, qui appartiennent à la même région désormais, ont été éloignées dans le même temps. C’est aberrant », se désole Marie-Claude Poinet (DVD), maire de Chabanais (1 700 habitants).
Le seul, finalement, à afficher un semblant d’optimisme est Michel Tricoche (DVG), le maire de Ruelle-sur-Touvre dont la gare sans train, et bientôt refaite à neuf, a tant amusé sur Internet. « Généralement, la SNCF démolit les gares qui ne lui servent plus, dit-il. Si elle ne l’a pas fait ici, c’est qu’il y a peut-être de l’espoir de voir la ligne réouvrir… »

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