Translate

jeudi 3 mai 2018

Vincent Bolloré n'a plus la baraka..... En Afrique (aussi), la roue tourne pour le magnat.....





3 mai 2018

Vincent Bolloré n'a plus la baraka

Inquiété par la justice, contesté pour son mode de gouvernance, l'homme d'affaires accumule les déconvenues

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
VIVENDI RÉFLÉCHIT À L'AVENIR D'UNIVERSAL
Combien vaut Universal Music Group (UMG) ? Vivendi souhaite en avoir le cœur net. Le groupe de médias a annoncé mardi 1er  mai que son directoire présenterait le 17  mai prochain, lors de la réunion de son conseil de surveillance, les premiers travaux concernant les hypothèses d'évolution du capital de sa filiale de production et diffusion musicale. Il s'agit soit de ne pas toucher au capital d'UMG mais de mieux valoriser Vivendi, soit d'introduire en Bourse entre 10  % et 20  % du capital. Lors de l'assemblée générale du 19  avril, le président du directoire, Arnaud de Puyfontaine, avait émis cette hypothèse.
Sur son téléphone portable, l'industriel breton Vincent Bolloré a installé une application particulière : elle décompte les jours le séparant du 17  février 2022, date de sa retraite annoncée, avant son 70e anniversaire. Une grande fête marquera le bicentenaire du groupe familial fondé sur les bords de l'Odet, près de Quimper (Finistère).
Mais, dans un futur proche, le vendredi 4  mai 2018 pourrait marquer un tournant pour l'empire industriel qui compte près de 60 000  collaborateurs – il est présent dans les transports et la logistique, la communication et le stockage d'électricité – et qu'il a édifié à partir de l'entreprise de papeterie en difficulté héritée de son père dans les années 1980. A l'occasion de l'assemblée générale de Telecom Italia, à Milan, l'entrepreneur pourrait, ce jour-là, tomber sur un os : il risque de perdre la majorité au conseil d'administration d'une entreprise emblématique de la péninsule. Un affront pour cet homme d'affaires réputé pour sa méthode faite d'audace, de ténacité et, si nécessaire, de -rudesse. " Il a le sang froid d'un tonton flingueur de la Mafia sicilienne ", explique un proche.
Avec Telecom Italia, Vincent Bolloré aurait-il perdu la baraka ? Comme il l'a toujours fait, l'homme d'affaires avait réussi l'exploit de prendre le contrôle du premier opérateur télécoms italien avec seulement 23,9  % du capital. Las, le fonds activiste Elliott a commencé, le 16  mars, à brider cette belle ambition, en montant progressivement dans le capital de l'opérateur, avec l'objectif de réduire le pouvoir du Français.
Peu s'expliquent les raisons qui ont conduit Vincent Bolloré à se mettre dans un pareil pétrin en Italie. " Péché d'arrogance ", juge un proche. Dans la péninsule, l'homme d'affaires a multiplié les erreurs. " Nous avons été pénalisés par l'environnement autour de Fincantieri ", se défend-on dans l'entourage du groupe, rappelant le bras de fer entre la France et l'Italie au moment de la cession contestée des Chantiers de l'Atlantique, de Saint-Nazaire.
Et chez Mediaset, dont Vivendi souhaitait faire un partenaire, l'homme d'affaires n'a jamais pris la peine de régler le différend sur Mediaset Premium, le service de vidéo à la demande, en allant voir directement son vieux compère, Silvio Berlusconi. Au contraire, il a donné l'impression de profiter de sa mauvaise santé pour mettre la main sur son groupe.
Pouvoir sans partageLe sort du " Netflix latin " – une grande plate-forme de vidéos de l'Europe du Sud reposant sur -Telecom Italia, Mediaset et Canal+, promise il y a deux ans – semble scellé, même si, chez Vivendi, on explique que M.  Bolloré est un homme de long terme. " L'unité de compte, c'est cinq ans ", dit-on, avant de mettre en avant la volonté de bâtir un champion français de la culture européenne face aux Américains et aux Asiatiques. Oubliant au passage l'échec du rachat de l'éditeur de jeux vidéo Ubisoft, M. Bolloré ayant été contraint de battre en retraite.
L'aveuglement du Breton serait dû au pouvoir sans partage qu'il exerce. " Il n'y a plus personne pour lui dire non ", dit une connaissance. " Le problème, c'est que le directoire est tétanisé par Vincent Bolloré qui manage par la peur. Mais ses cadres ne lui rendent pas service en ne lui parlant pas des problèmes ", analyse un proche. Pour ce dernier, le système de gouvernance – reposant sur un directoire présidé par Arnaud de Puyfontaine, censé diriger le groupe, et mandaté par un conseil de surveillance, dirigé jusque-là par -Vincent Bolloré – n'est pas opérant : " Le directoire, qui devait être indépendant, ne l'est pas. "
Aux ennuis italiens s'ajoutent ses démêlés judiciaires liés aux affaires africaines. Deux juges français ont mis en examen Vincent Bolloré, mercredi 25  avril, le soupçonnant d'avoir soutenu au Togo et en Guinée des dirigeants politiques lors de campagnes présidentielles pour obtenir, en retour, des concessions portuaires. Des accusations rejetées par le principal intéressé, qui, dans Le Journal du dimanche du 29 avril, dénonce " des procès en sorcellerie ". Ses partisans plaident pour le nationalisme économique : " Si ce n'est pas lui, ce seront les Chinois et les Russes, qui sont à l'affût pour prendre nos positions ", affirme l'ex-maire de Quimper, Bernard Poignant, son ami de près de quarante ans.
Cette accumulation de déboires expliquerait, selon certains, sa décision, dix jours après avoir annoncé qu'il quittait la présidence du conseil de surveillance de -Canal+, de se retirer de celle de Vivendi au profit de son fils Yannick, 38  ans, jusque-là à la tête de Havas. Même si le père reste très présent, la septième génération Bolloré s'apprête à prendre le pouvoir : Cyrille, 32 ans, s'occupe des affaires africaines, Marie, 29 ans, des activités électriques. La famille, encore et toujours. " Vous ne pouvez pas comprendre Vincent Bolloré sans cette filiation dynastique de près de deux siècles. Il est très attaché à la continuité familiale du groupe ", souligne M.  Poignant.
C'est d'ailleurs ce que lui reprochent ses détracteurs : Vincent Bolloré pense plus à préserver ses intérêts familiaux qu'à construire un empire industriel. En témoigne la physionomie du groupe, coté à la Bourse de Paris, et présent aussi bien dans les médias, par l'intermédiaire de Vivendi, que dans les batteries automobiles, ou dans des activités diverses et variées en Afrique. " C'est un inventaire à la Prévert réuni par la seule personnalité d'un homme, une brocante où tout est à vendre, sauf l'usine de Bretagne ", plaisante un connaisseur de la vie des affaires.
Dossier emblématique du fonctionnement sauce Bolloré, le rachat d'Havas en mai  2017 par Vivendi. Au nom de " la convergence entre les contenus, distribution et communication ", le groupe de médias français a versé 2,3 milliards d'euros en cash au groupe Bolloré, en échange de ses 60  % de participation. Peu de voix se sont élevées contre une opération potentiellement créatrice de conflits d'intérêts pour Vivendi, qui place le groupe du côté de l'annonceur et des médias. " Il a eu l'intelligence de demander une prime pas trop élevée ", note un observateur. D'autres remarquent que Vivendi a racheté Havas au plus haut : entre le printemps et la fin de l'année, la valeur des concurrents, WPP et Publicis a respectivement dégringolé de 23 % et 17  %.
Les conflits d'intérêts et une conception toute personnelle de la gestion d'un groupe coté, telles sont les principales critiques formulées à l'égard de Vincent Bolloré. " Il n'a que 20,5  % du capital de Vivendi, et il nomme son fils, qui est aussi président de la filiale Havas ! ", tempête Charles Pinel, associé chez Proxinvest, un cabinet de conseil aux actionnaires. M.  Bolloré préfère placer ses hommes, quitte à s'asseoir sur les règles de bonne gouvernance.
Comme le prouve la nomination en septembre  2017 de deux cadres du groupe Bolloré à des fonctions opérationnelles chez Vivendi : Gilles Alix, son directeur général, désormais mis en examen, et -Cédric de Bailliencourt, directeur financier, mais aussi neveu de Vincent Bolloré. " Avoir des représentants de l'actionnaire minoritaire au sein du groupe - Vivendi - est une importante source de conflit d'intérêts, et peut être aussi le -signe d'une prise de contrôle rampante ", a d'ailleurs jugé ISS, influente société anglo-saxonne concurrente de Proxinvest.
En dépit des apparences, le groupe Bolloré, enchevêtrement de sociétés dans lesquelles il peut être minoritaire ou majoritaire, ne serait pas si puissant qu'il le prétend. " Ce qui est montré aux investisseurs masque à certains égards la véritable position financière de Bolloré SA ", expliquent les analystes d'AlphaValue.
Fragilité du modèleIllustration de la créativité financière de cet as de la finance : en  2017, il a intégré, dans les comptes de son groupe, la totalité de Vivendi alors qu'il ne détient qu'un cinquième du capital. Pour donner de la lisibilité aux investisseurs, l'Autorité des marchés financiers oblige le groupe à publier dans son rapport annuel une version des comptes de Bolloré Omnium, la holding de tête de Vincent Bolloré. Les fonds propres, autrement dit les véritables ressources de cette structure, n'atteignent en  2017 que 500  millions d'euros, loin des 10,5  milliards d'euros affichés par le groupe.
Jusque-là, la Bourse ne s'inquiétait pas. " Elle croit en l'homme ", dit le même analyste. Signe de la fragilité du modèle, depuis la garde à vue de Vincent Bolloré, le titre du groupe qui porte son nom a perdu 7 % de sa valeur. " Le groupe ressemble à un château de cartes, il faut que la confiance dans le génie de la finance, celui qui sait acheter et vendre au bon moment, soit là ", affirme le même expert. Les enfants de M.  Bolloré auront-ils le même talent que le père ?
Il y a une autre bataille que Vincent Bolloré est en passe de perdre : celle de l'image, à la fois en raison de la gestion des médias qu'il contrôle, qu'il est accusé d'utiliser pour promouvoir ses activités, mais aussi des procès à répétition intentés aux journalistes et ONG qui s'intéressent de trop près à ses affaires africaines.
François Bougon et Sandrine Cassini
© Le Monde


3 mai 2018

En Afrique (aussi), la roue tourne pour le magnat

Mise en examen pour corruption, chantier ferroviaire au point mort, concurrence accrue des Chinois… sa sphère d'influence se réduit

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Le milliardaire français a fait de l'Afrique francophone sa terre de prédilection. Ainsi, il y a enregistré environ 2,5  milliards d'euros de chiffre d'affaires en  2017. Avant que les ennuis judiciaires s'abattent sur lui, Vincent Bolloré prévoyait d'y investir 300  millions d'euros cette année. Sur ce qu'il qualifie de " continent d'avenir ", il exploite 18 terminaux à conteneurs, règne sur le marché très rentable du transport et de la logistique du fret, reste majoritaire dans les concessions ferroviaires en Côte d'Ivoire et au Burkina Faso (Sitarail), mais aussi au Cameroun et au Bénin.
Le bras armé du groupe français en Afrique est la filiale Bolloré Transport &  Logistics, dont la -direction a été confiée à l'un de ses quatre enfants, Cyrille, en janvier  2016. Le frère de ce dernier Yannick s'est hissé en ce mois d'avril  2018 à la tête de -Vivendi, qui développe sur le continent des salles de cinéma, des événements musicaux et la -connexion Internet à haut débit, donnant la priorité, pour l'heure, à des pays dirigés par des proches de son père.
Le système Bolloré en Afrique francophone est plutôt bien huilé, mais il arrive que des dysfonctionnements fâcheux surviennent. Comme à l'occasion de l'élection présidentielle de 2016 au Bénin, l'un des quatre pays que devaient traverser les 3 000 kilomètres de la boucle ferroviaire reliant Cotonou à Abidjan, projet phare du groupe. Sans en informer Vincent Bolloré, le responsable du pôle international d'Havas, Jean-Philippe Dorent, loue ses services à l'homme d'affaires – et candidat malheureux – Sébastien Ajavon. Selon un cadre du groupe, le communicant a rédigé une lettre d'excuse à M. Bolloré, irrité par cette initiative.
Mélange des genresLe président élu, Patrice Talon, -riche entrepreneur décomplexé et méfiant à l'égard du magnat français, a d'abord privilégié le projet concurrent d'un compatriote, au détriment du groupe français, pour la construction du chemin de fer, estimé à 4  milliards de dollars (3,3  milliards d'euros). En mars  2018, il a finalement confié le marché au chinois China Railway Construction Corporation (CRCC). Conséquence : la boucle ferroviaire de Bolloré est au point mort, à l'image de ces rails déliquescents en plein cœur de Niamey, inaugurés en janvier  2016, deux mois avant la réélection du président du Niger, en pleine campagne.
Si le groupe Bolloré conserve la concession du port de Cotonou (Bénin), obtenue en  2009, il est peu à peu asphyxié dans ce pays de l'ouest du continent. Dans l'Afrique de Bolloré, l'articulation entre l'aide à la campagne électorale et l'obtention de marchés n'est plus la martingale, comme ce fut le cas en Guinée et au Togo, selon la justice française, qui a mis en examen, le 25  avril, Vincent Bolloré – pour " corruption d'agent public étranger ", " complicité d'abus de confiance ", " faux et usage de faux " –, le directeur général du groupe, Gilles Alix, ainsi que le communicant Jean-Philippe Dorent.
Outre la Guinée et le Togo, dont il tutoie les présidents et recrute parfois des membres de leur famille, Vincent Bolloré a noué des relations étroites avec certains chefs d'Etats où les marchés sont stratégiques pour son groupe. Il en est ainsi de la Côte d'Ivoire, où il est habilement passé de son ami, Laurent Gbagbo (incarcéré à la prison de la Cour pénale internationale), à l'ennemi et tombeur de ce dernier, Alassane Ouattara. Du port d'Abidjan, la capitale économique, le groupe Bolloré orchestre une partie des flux de marchandises vers l'" hinterland " (Mali, Burkina Faso, Niger) et entend construire un deuxième terminal portuaire en  2019.
Le Cameroun de son ami Paul Biya, président depuis plus de trente-cinq ans, est l'autre marché d'ampleur dans la sous-région. Là aussi, le communicant d'Havas, Jean-Philippe Dorent, s'efforce de rendre l'image du pays plus attrayante. Autre signe de ce mélange des genres, le président du conseil d'administration de Douala International Terminal (DIT) et de Camrail, deux filiales du groupe Bolloré, n'est autre qu'un influent député du parti présidentiel. Il officie pendant une dizaine d'années, avant qu'en  2016 la responsabilité du groupe soit engagée dans l'accident de train géré par Camrail ayant causé la mort de 79 personnes et fait plus de 600 blessés.
Un système d'influenceCette tragédie nationale n'empêche pas le groupe Bolloré d'obtenir en  2017 la concession du terminal à conteneurs du port en eaux profondes de Kribi dans le cadre d'un consortium formé avec le groupe français CMA CGM et le chinois CHEC. De fait, l'industriel n'a plus vraiment la capacité d'agir seul sur de grands projets continentaux au-delà d'un marché captif pour la France, où il a su exploiter un système d'influence mis en place au lendemain des indépendances. Ni de rivaliser avec les géants portuaires de Chine, de Singapour et des Emirats arabes unis, y compris sur ses terres de choix comme le Togo, présidé par son ami Faure Gnassingbé.
Depuis l'arrivée du magnat français sur le continent, dans les années 1980, l'Afrique et les pratiques commerciales ont changé. La puissance africaine de Vincent Bolloré a été, volontairement ou non, renforcée par ses alliés politiques et par ses détracteurs, focalisés sur la zone francophone. Mais loin de sa sphère d'influence traditionnelle, comme en Afrique de l'Est, le groupe Bolloré a échoué, ces dernières années, à obtenir la gestion de ports stratégiques tels que Mombasa au Kenya et Berbera au Somaliland, tous deux attribués à DP World, le géant portuaire de Dubaï. Dans cette région d'Afrique tournée vers l'Asie et le Moyen-Orient, Vincent Bolloré n'a pas su pour l'instant se tailler une place parmi les plus grands opérateurs portuaires de la planète.
Simon Piel, et Joan Tilouine
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire