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jeudi 31 mai 2018

Macron, Borloo et les banlieues : histoire d'un revirement


31 mai 2018

Macron, Borloo et les banlieues : histoire d'un revirement

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C'est une drôle de séquence politique qui s'est jouée ces dernières semaines entre Emmanuel Macron et Jean-Louis Borloo. Elle s'est soldée, mardi 22  mai, à l'Elysée, devant un parterre de 600  invités et la quasi-totalité du gouvernement, par une interminable séance d'" humiliation publique ", dénoncent certains observateurs, qui parlent d'un " camouflet "" Le président a -repris la main ",disent ses proches. Mais que s'est-il passé entre les deux hommes ? L'histoire semblait pourtant bien engagée. Elle avait débuté en novembre  2017 à Tourcoing (Nord). Lors d'un discours sur la politique de la ville, le président de la République avait remercié le " père " de la rénovation urbaine d'" avoir accepté de remettre les gants " pour " aider à la bataille ". Il y avait du " cher Jean-Louis " dans l'air.
Six mois plus tard, on a rangé les mandolines. " Quelque part, ça n'aurait aucun sens que deux mâles blancs - lui-même et Borloo - , ne -vivant pas dans ces quartiers, s'échangent l'un un rapport et l'autre disant : “On m'a remis un plan, je l'ai découvert.” C'est pas vrai, ça ne marche plus comme ça ", a lancé le président, lors d'un discours d'une heure trente, le 22  mai.
Avec ces quelques mots, M.  Macron a disqualifié l'auteur – qu'il avait pourtant choisi –, le contenu – qu'il avait pourtant réclamé – et la démarche – à laquelle il avait pourtant souscrit. Balayant au passage le travail de " co-construction " mené par plusieurs centaines d'élus et d'associatifs pendant six mois, à sa demande, pour faire émerger les meilleures idées du terrain et alimenter le rapport Borloo. Une position d'autant plus inattendue que la veille encore, M.  Borloo y croyait. Un coup de téléphone du président, " sympathique, amical et enthousiaste ", l'avait assuré de son soutien.
Motif officiel de ce revirement cinglant ? " Nouvelle méthode ", a invoqué le chef de l'Etat. " Je ne vais pas vous annoncer un plan villes, un plan banlieues ou je ne sais quoi parce que cette stratégie est aussi âgée que moi… On est au bout de ce que cette méthode a pu produire ", a-t-il expliqué. Exit Borloo et les 19  programmes de son plan de " réconciliation nationale ", place au nouveau monde. Motif officieux ? Celui qui " piaffait " pour obtenir un rôle aurait " trahi " son bienfaiteur en prenant " trop de place ", raconte-t-on en Macronie : " Macron n'aime pas les têtes qui dépassent, c'est comme ça. " En imposant son rapport dans le débat, M. Borloo a donné le tempo. " Or, c'est Macron le maître des horloges ", souffle une autre source.
L'ancien ministre, ajoute-t-on, aurait débordé du cadre de sa mission : " Personne ne lui avait demandé d'en faire autant ", poursuit cette source. Du côté des soutiens de M.  Borloo, le son de cloche est différent : le président, dénonce-t-on, a " instrumentalisé "l'ancien maire de Valenciennes (Nord) pour faire taire pendant quelques mois la colère des élus locaux et des associatifs, très remontés à la suite des coupes budgétaires et du gel des emplois aidés.
Une autre batailleContre toute attente, à la sortie de l'Elysée, M. Borloo a estimé que tous les " sujets du rapport avaient été cochés ". Pour l'instant, il n'étale pas en public sa déception – réelle – et préfère renvoyer son jugement définitif à l'annonce par le gouvernement, en juillet, du cadre budgétaire concret de ses quelques mesures pour la banlieue. Mais son entourage explique aussi que l'ancienne figure de la droite sociale, toujours populaire, rechigne à cibler bille en tête M.  Macron, de crainte d'être présenté aussitôt comme son nouvel opposant politique numéro  un. Un costume qu'il ne veut pas endosser.
En coulisses, une autre bataille oppose les maires et certaines associations – Bleu Blanc Zèbre en tête, mandatée par le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) pour organiser la réflexion sur le sujet et alimenter le rapport Borloo – à d'autres acteurs de terrain qui estiment n'avoir pas été consultés pendant le processus de " co-construction ". Les seconds accusent les premiers d'avoir voulu " préempter " le débat. Parmi eux, certains membres du " conseil présidentiel des villes ", installé le matin même de l'allocution du chef de l'Etat. En s'appuyant sur les vingt-cinq personnalités issues des quartiers populaires ou œuvrant dans les cités qui le composent, M.  Macron envoie un message clair : désormais, il s'adressera directement aux acteurs de la société civile en se passant des intermédiaires habituels. Comme les élus locaux, ces " vigies de la République ", qu'il a égratignés au passage, en leur accolant à plusieurs reprises l'adjectif " clientéliste ".
Au-delà de la bataille d'ego, reste l'essentiel : le fond. M. Macron ne voulait pas d'un " énième plan Marshall ", avait fait savoir l'Elysée, il voulait simplement être " inspiré "par le rapport Borloo. " Or, ses propositions n'étaient pas assez disruptives ", relaie-t-on dans l'entourage du présidentMais du rapport, il ne reste pas grand-chose. L'approche sociale de M.  Borloo est loin de répondre aux aspirations libérales du président, directement inspirées du modèle américain. Un modèle dans lequel l'Etat investit peu dans les politiques publiques et mise gros sur son rôle de " facilitateur ", selon ses mots : la puissance publique comme intermédiaire entre les différents acteurs, le tout sur fond d'" émancipation individuelle ", et non collective. Aide-toi et le ciel t'aidera, en somme.
Pas de " politiques spécifiques ", a-t-il également martelé, avant de se contredire cinq minutes plus tard. A la place, il veut " l'application de droits réels " sur tous les territoires. Un discours presque aussi âgé que lui et qui -nécessiterait un réel investissement. Pas seulement financier, politique, aussi.
Louise Couvelaire
© Le Monde

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