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jeudi 31 mai 2018

Comptes de Mélenchon : ce que vont "vérifier" les enquêteurs

Comptes de Mélenchon : ce que vont "vérifier" les enquêteurs

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Décryptage

Comptes de Mélenchon : ce que vont "vérifier" les enquêteurs

Jean-Luc Mélenchon est dans le viseur des enquêteurs de la police, à la suite d'un signalement de la commission des comptes de campagne concernant certaines factures de la présidentielle. La police devrait s'intéresser aux liens entretenus entre la France Insoumise et l'association l'Ere du peuple. L'ex-candidat réfute toute malversation.
Les factures de Jean-Luc Mélenchon sur le bureau de la justice. Depuis le mois d’avril, les policiers de l'office central de la lutte contre les infractions fiscales et financières (Oclciff) enquêtent sur les comptes de la campagne présidentielle de la France insoumise, a-t-on appris ce mardi 29 mai. Selon une source judiciaire, ils procèdent actuellement à des « vérifications ». Que cherchent-ils au juste ? D’après un proche du dossier, interrogé par l’AFP, la commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), qui a adressé le signalement au parquet de Paris - quand bien même elle a validé les comptes -, pointe notamment les dépenses facturées par deux associations, L'Ere du peuple - dirigée par Laurent Mafféis, collaborateur historique de Jean-Luc Mélenchon, ainsi par que les députés Mathilde Panot et Bastien Lachaud - et Mediascop, présidée par Sophia Chikirou, aujourd'hui patronne du Média.
Concernant l’entreprise de la patronne de presse, la CNCCFP n’a pointé qu’une irrégularité, qui figure donc probablement dans son signalement : la surfacturation de onze prestations par rapport à la grille tarifaire de Mediascop, pour un montant total de 35.250 euros. Ce comportement n’est pas, en lui-même, particulièrement répréhensible. Pour que l’affaire aille plus loin, les policiers doivent donc trouver des indices permettant de laisser penser que ces factures ont été volontairement gonflées. 

Prestations techniques ou salariat déguisé ?

Le cas de l’Ere du peuple est plus épineux. Les enquêteurs vont notamment chercher à découvrir si cette association s’est rendue coupable du délit de prêt de main d’œuvre illicite. Si elle était constituée, cette infraction pourrait coûter cher au candidat Insoumis : elle est passible de 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende maximum.
Le délit de prêt de main d’œuvre illicite est une infraction particulièrement technique. Elle est reconnue lorsque une entreprise - ou une association - a pour seul objet de fournir de la main d’œuvre à une autre entreprise ou association. Il s’agit alors d’un salariat déguisé, qui permet au client de s’extraire des obligations des employeurs, comme le versement de cotisations patronales. Dans le cas de l’association l’Ere du peuple, les enquêteurs vont chercher à déterminer la réalité des services qu’elle a fournis à l’association de financement de la campagne de Jean-Luc Mélenchon et si le recours à un prestataire de cette nature n’a pas constitué un simple artifice comptable permettant de faire rentrer de l’argent remboursé par le contribuable dans les caisses de l’association.

Quatre salariés... dont trois proches

Pendant la campagne, l’Ere du peuple a salarié quatre personnes au service de Jean-Luc Mélenchon. Pour quelles prestations ? Les policiers devront déterminer si l’association engageait réellement des frais - hors salaires - pouvant justifier un statut de sous-traitant ou si les salariés - notamment Mathilde Panot et Bastien Lachaud, ainsi qu'un autre membre de l'équipe du candidat - auraient tout aussi bien pu réaliser leur travail en étant directement salariés de l’association de financement de la campagne. 
Concrètement, les enquêteurs vont s’intéresser aux « locations de salles » et «locations de matériels informatiques et audiovisuels » facturées par l’Ere du peuple. Les policiers chercheront à déterminer si ces tâches n’auraient pas pu être effectuées par l’association de financement elle-même. Dans sa décision du 21 décembre, la CNCCFP a relevé que les bureaux de l’Ere du peuple étaient « situés à la même adresse que l'association de financement électorale » de Jean-Luc Mélenchon.
Les enquêteurs chercheront probablement à dénouer un aspect particulier de cette affaire : la marge effectuée par l’Ere du peuple entre le versement des salaires à ses employées et la somme facturée à la campagne Mélenchon. Elle s’élève, selon la CNCCFP à 152.688 euros au total, qui sont allés dans les caisses de l'association. Comment justifier cette différence ? Auprès deMarianne, l’entourage du député de Marseille expliquait, en février dernier, s’être aligné sur les tarifs des agences d’intérim - qui prennent une marge commerciale pour chaque salarié « prêté ». Et ce, sur les conseils d'un expert-comptable, afin de ne pas se voir au contraire accuser de sous-facturation, et donc d’aide illicite au candidat Insoumis.

Marges et bonne foi

L'Ere du peuple devra convaincre de sa bonne foi, et notamment de la compatibilité entre ce raisonnement - qui assimile l'association à une entreprise lambda - et ses statuts, qui en font une organisation à but non lucratif. Dans un courrier adressé à la CNCCFP, Bernard Pignerol, devenu président de l’Ere du peuple après la présidentielle, concède une possible erreur dans le choix des statuts de l'association : « Nous [nous sommes]considérés sans doute à tort selon les observations émises par la CNCCFP, comme une association sans but lucratif ». Dans ses statuts, l’Ere du peuple n’évoque en effet aucune activité commerciale. Or, cette mention est en principe obligatoire pour prétendre exercer une activité lucrative « habituelle », selon l’article L.442-7 du Code du commerce. Les prestations commerciales de l'Ere du peuple constituaient-elles l'activité habituelle de l'association ? La police cherchera à l'établir.
En revanche, les policiers ne peuvent pas enquêter sur la TVA que l’Ere du peuple n’a pas versée à l’Etat, quand bien même il s’agit d’une obligation pour toute association avec une activité commerciale, ce qui n'avait pas manqué de faire tiquer le président de la CNCCFP François Logerot, en févrierdernier. En effet, aucune poursuite pénale n’est possible en matière fiscale en l’absence d’une autorisation du fisc. Il s’agit là du principe du fameux « verrou de Bercy ».
A l'annonce de cette enquête, Jean-Luc Mélenchon a affirmé avoir agi «honnêtement et scrupuleusement ». « Je ne comprends pas comment la Commission nationale des comptes de campagne a pu à la fois valider mes comptes et faire un signalement », a réagi le chef de file de la France insoumise (LFI), assurant ne pas être « dupe de l'intention de nuire à (son) honorabilité ». La validation de ses comptes par la CNCCFP lui fournit, il est vrai, un argument de poids.

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