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jeudi 1 novembre 2018

La fabrique des programmes scolaires sous tension - le 16.10.2018


16 octobre 2018

La fabrique des programmes scolaires sous tension

D'ex-membres du Conseil supérieur des programmes dénoncent l'examen au pas de charge de la réforme du lycée

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Coup d'accélérateur pour la réforme du lycée. -Depuis le 11  octobre, le Conseil supérieur des programmes se réunit pour discuter, amender et voter les 81 programmes de 2de et 1re. Ces réunions au pas de charge – tout doit être bouclé le 2  novembre – commencent avec un conseil en partie renouvelé -puisque quatre mandats viennent d'arriver à échéance. Parmi ceux-ci, celui de Marie-Aleth Grard, la vice-présidente d'ATD-Quart Monde, qui avait annoncé sa démission à quelques jours de la fin de son mandat.
Les réunions se tiennent dans un contexte tendu. Des projets de textes ayant été mis en ligne par des syndicats et des associations, la présidente du CSP, Souâd Ayada, a décidé de ne plus communiquer les projets de programmes en amont à ses membres. Les textes qui n'ont pas fuité pourront être -consultés dans une salle et devront être remis avant le départ des votants. Alors que le déroulé détaillé des réunions, que Le Monde s'est procuré, prévoit entre quatre et sept programmes votés par jour, et que certains textes n'auront pas pu être consultés à l'avance, le CSP " à l'ère Blanquer " peut-il encore tenir son rôle ?
Imaginée par Vincent Peillon en  2013, cette instance réunit six parlementaires, deux membres du Conseil économique, -social et environnemental et dix " personnalités qualifiées " – des universitaires ou des inspecteurs généraux – autour d'une conviction : ce qui doit être enseigné aux enfants n'est pas seulement l'affaire de spécialistes des disciplines. Pour Roger-François Gauthier, membre " historique " du CSP et professeur associé à l'université Paris-Descartes dont le mandat s'est achevé le 10  octobrel'idée initiale était que " la -société devait pouvoir s'en mêler et contribuer à définir le projet -politique de l'école ".
Sauf que cela coince dès les premières saisines. Le premier président de l'instance, Alain Bois-sinot, claque la porte en juin  2014. Dans sa lettre de démission adressée aux membres du conseil, il -affirme : " C'est peut-être une -erreur d'avoir donné à une instance de réflexion et de délibé-ration des responsabilités opérationnelles aussi lourdes. " Un deuxième, le géographe Michel Lussault, mène la refonte des -programmes de primaire et du collège, puis démissionne en -septembre  2017, peu après l'arrivée du nouveau ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. " Le ministre n'est pas prêt à confier au CSP des missions correspondant aux chantiers à -venir ", estime-t-il, évoquant la -réforme du lycée et du bac.
" Mascarade "Une inspectrice générale de philosophie, Souâd Ayada, prend alors la direction du conseil. Dès l'arrivée de cette dernière, un -clivage se forme entre ceux qui ont connu l'ancienne école et ceux – dont la majorité des parlementaires – arrivés avec le changement politique de 2017. Mme Ayada prend position dans des magazines comme Le Point  et Causeur contre les décisions de son prédécesseur, déclenchant de vives réactions des " anciens ". La vice-présidente du CSP nommée par la gauche, la linguiste Sylvie Plane, démissionne en février. Au sein du -conseil, " on ne peut plus débattre ", regrette enfin Marie-Aleth Grard lors de sa démission.
Denis Paget, professeur de lettres et ancien syndicaliste, ainsi que Roger-François Gauthier,deux anciens membres dont le mandat s'est achevé le 10  octobre, regrettent eux aussi l'absence de débats. Un membre actuel du conseil qui ne souhaite pas être cité affirme que le CSP n'est plus une " instance qui étudie " les textes. Chez les nouveaux arrivants, on s'étonne au contraire que les " anciens " soient en constante opposition avec tout ce que dit la présidente. Pour Agnès Thill, députée LRM de l'Oise et ancienne directrice d'école, certains membres sont parfois " contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est -contre ". " Le CSP répond à une saisine, on est obligés d'avancer ", ajoute-t-elle. Si elle reconnaît que les réunions sont toujours trop courtes – en général trois heures, parfois toute la journée –, Agnès Thill se souvient d'avoir passé " des heures à discuter d'un mot " lors de la saisine pour la clarification des programmes de primaire et du collège au printemps.
Pour d'autres, au contraire, c'était là l'essence même du CSP : la discussion, même longue, même minutieuse. " Du temps de Michel Lussault, on projetait les pages sur un écran et on en discutait ligne à ligne ", souligne Denis Paget. " Entre la première version des programmes de collège au début de l'année 2015 et la version définitive, il y a eu six mois de -travail intense, marqué par des discussions, et même des polémiques ", se souvient l'intéressé. Aujourd'hui sur le lycée, le -conseil dispose de seize jours de réunion. Une " mascarade ", pour une source proche du conseil qui souhaite garder l'anonymat. Pour d'autres, une simple contrainte extérieure avec laquelle le CSP compose comme il peut. C'est bien le problème, répondent en chœur les " anciens ". Sollicitée par Le Monde, Souâd Ayada a déclaré ne pas pouvoir se rendre disponible en raison de cet agenda chargé.
" Reprise en main "Il y a enfin une ambiguïté de départ sur l'indépendance du CSP. Saisi par le ministre – même s'il peut s'autosaisir – le conseil n'a pas de pouvoir décisionnaire. Pour certains membres, la nomination d'une inspectrice générale à la présidence en novembre  2017 – comme l'était, du reste, le premier président, Alain Boissinot – est le signe d'une " reprise en main " par le ministère, à un moment où, selon des sources au sein du conseil, le ministre semble hésiter à maintenir le CSP. Le sénateur (Les Républicains) Max Brisson, lui-même ancien inspecteur général, relève une méprise sur la nature même du CSP, qui n'a " pas vocation à fonctionner comme un contre-pouvoir ". L'indépendance du CSP devait en outre être garantie par l'éclectisme de sa composition. Aujourd'hui, selon Denis Paget, " la composition du conseil s'est appauvrie ", avec des universitaires qui représentent une discipline définie et des groupes de travail présidés systématiquement par un universitaire et un inspecteur général. " Le retour en force des inspecteurs n'est pas un signe d'indépendance ", note-t-il.
Contraint à la fabrication immédiate des programmes, le CSP peinerait à remplir son rôle de réflexion de long terme. Mais la difficulté n'est pas nouvelle, selon Alain Boissinot. Y compris parce qu'il ne s'est jamais saisi de nombreux sujets qui tombaient dans son escarcelle,comme la formation des enseignants et les examens. Le CSP est-il devenu une simple " chambre d'enregistrement ", comme le dénoncent certains de ses membres passés et actuels ? " Tant qu'on voudra tout refaire en trois mois, le CSP ne sera pas un lieu de débats ", conclut M. Boissinot, dans un monde où le maître des horloges est souvent bien loin du " temps long "des questions d'éducation.
Violaine Morin
© Le Monde



16 octobre 2018

Des enseignants préoccupés par la refonte du lycée

La Révolution enseignée en 1re, des ouvrages imposés en français… Voici les changements qui attendent les élèves

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Les nouveaux programmes du lycée arrivent en discussion au Conseil supérieur des programmes. Saisis à la fin du printemps, pas moins de 400 experts ont planché tout l'été. Au total, 81 textes couvrant les enseignements des classes de 2de et de 1re des voies générale et technologique doivent être discutés et votés d'ici au 2  novembre. Le SNES, syndicat majoritaire dans le second degré, a d'ores et déjà fait fuiter sur son site de nombreux projets de -programmes, suivis par certaines -associations disciplinaires, indiquant qu'il souhaitait " permettre le début de la réflexion dans les délais contraints imposéspar le ministre ".
Sur le programme d'histoire de 2de et de 1re, l'historienne Laurence De Cock a ouvert la discussion dans les colonnes de Libération, le 11  octobre. Contactée, elle confirme sa position et celle du collectif d'historiens Aggiornamento : les programmes d'histoire consacrent une approche" fixiste " de la discipline, sans tenir compte des avancées de la recherche récente quiconsacre des approches plus variées, sur la place de la France dans le monde ou sur l'histoire populaire, portées par des historiens comme Gérard Noiriel. " C'est au pire un mépris des élèves et au mieux une indifférence aux avancées de la recherche ", conclut-elle. " Refuser la mise en débat de l'histoire est une manière de refuser aux lycéens une formation critique et politique au sens le plus noble, par la formation aux sciences humaines et sociales. "
Christine Guimonnet, membre de l'Association des professeurs d'histoire-géographie, regrette aussi la faible part de " l'histoire sociale " et de " l'histoire des femmes " dans les projets. Enfin, le projet prévoit désormais l'étude de la Révolution française au -début de l'année de 1re, alors qu'elle était jusqu'ici abordée en 2de. Comme le rappelle -Laurence De Cock, 25  % des élèves ne -verront donc pas la -Révolution, car ils sont orientés en 1re tech-nologique où les programmes d'histoire ne sont pas réécrits. Christine Guimonnet souligne pour sa part que les -enseignants n'avaient " jamais le temps " de traiter la Révolution en seconde.
Une autre discipline s'inquiète, à sa manière, de ce que Laurence De Cock appelle une " défiance envers les sciences humaines et sociales " : les sciences économiques et sociales (SES), dont l'association Apses représente une partie des enseignants. Selon son président, Erwan Le Nader, s'il y a " des avancées " dans les projets de programmes, " les approches englobantes reculent ", au profit de la micro-économie, qui gênera les enseignants soucieux d'approcher les SES de manière critique. En sociologie, la notion de groupes sociaux disparaît des programmes. L'Association des sociologues enseignants (ASES) a fait part de son inquiétude dans un communiqué intitulé " Qui a peur des classes sociales ? " mis en ligne le 11  octobre. " Il n'est nul -besoin d'être marxiste orthodoxe pour raisonner en termes de -classes sociales et (…) ces catégorisations du monde social, en -constante évolution, font partie intégrante de la réflexion sociologique depuis des décennies ", rappelle l'association.
Programme très " classique "L'Association française des enseignants de français (AFEF) critique, elle, un programme jugé très " classique ", même si l'effort sur l'étude de la langue est plutôt salutaire, juge sa présidente, -Viviane Youx. Plus inquiétante est l'approche des œuvres littéraires au travers de grandes sections chronologiques et de genre, comme " La poésie du Moyen Age au XVIIIe  siècle " en 2de, ou bien " Le théâtre du XVIIe  siècle au XXIe  siècle " en 1re. Selon l'enseignante, ces choix dépossèdent l'enseignant de la possibilité de faire des " va-et-vient "entre les œuvres, essentiels pour intéresser les lycéens à la permanence d'un motif esthétique, d'un thème ou d'une forme littéraire à travers le temps. Mais le plus inquiétant reste le projet d'imposer aux enseignants une liste de livres à lire : sept œuvres en seconde (quatre en classe et trois à la maison) et huit en 1re dont -quatre en classe. " Il y a clairement la volonté d'imposer une culture commune ", regrette-t-elle. Mais l'orientation générale des programmes, veut croire -Viviane Youx, laisse penser à une vision plutôt traditionnelle de l'histoire littéraire, même si l'AFEF a plaidé la cause de la littérature contemporaine et de la littérature francophone lors de sa réunion avec le CSP.
En mathématiques et en SVT, quelques petites craintes émergent aussi. L'Association des professeurs de mathématiques de l'enseignement public pointe en effet, dans un compte rendu de sa rencontre avec le CSP, la difficulté du programme. En clair, celui de 2de n'est pas conçu pour des élèves ayant " peu d'appétence " pour la matière. Le programme de spécialité, à partir de la 1re, est jugé " plus ambitieux " que l'actuel programme de 1re ES, ce qui peut faire craindre une " fuite " de certains élèves en SES.
En SVT, quelques lecteurs avertis se sont émus sur les réseaux sociaux de voir deux chapitres des programmes basculer de la 1re générale à la 2de : l'étude de la reproduction et de la sexualité, et le chapitre " nourrir la planète ". Il s'agit en fait d'une demande des enseignants, qui souhaitaient que les élèves aient tous – avant l'orientation de 25  % d'entre eux en série technologique, où la SVT disparaît – une piqûre de rappel sur ces deux thèmes. Serge Lacassie, président de l'Association des professeurs de biologie et de géologie, se veut rassurant : les concepts scientifiques abordés ont été " adaptés " à ce changement de niveau.
V. M.
© Le Monde



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