Coup d'accélérateur pour la réforme du lycée. -Depuis le 11 octobre, le Conseil supérieur des programmes se réunit pour discuter, amender et voter les 81 programmes de 2de et 1re. Ces réunions au pas de charge – tout doit être bouclé le 2 novembre – commencent avec un conseil en partie renouvelé -puisque quatre mandats viennent d'arriver à échéance. Parmi ceux-ci, celui de Marie-Aleth Grard, la vice-présidente d'ATD-Quart Monde, qui avait annoncé sa démission à quelques jours de la fin de son mandat.
Les réunions se tiennent dans un contexte tendu. Des projets de textes ayant été mis en ligne par des syndicats et des associations, la présidente du CSP, Souâd Ayada, a décidé de ne plus communiquer les projets de programmes en amont à ses membres. Les textes qui n'ont pas fuité pourront être -consultés dans une salle et devront être remis avant le départ des votants. Alors que le déroulé détaillé des réunions, que
Le Monde s'est procuré, prévoit entre quatre et sept programmes votés par jour, et que certains textes n'auront pas pu être consultés à l'avance, le CSP " à l'ère Blanquer " peut-il encore tenir son rôle ?
Imaginée par Vincent Peillon en 2013, cette instance réunit six parlementaires, deux membres du Conseil économique, -social et environnemental et dix " personnalités qualifiées " – des universitaires ou des inspecteurs généraux – autour d'une conviction : ce qui doit être enseigné aux enfants n'est pas seulement l'affaire de spécialistes des disciplines. Pour Roger-François Gauthier, membre " historique " du CSP et professeur associé à l'université Paris-Descartes dont le mandat s'est achevé le 10 octobre
, l'idée initiale était que "
la -société devait pouvoir s'en mêler et contribuer à définir le projet -politique de l'école ".
Sauf que cela coince dès les premières saisines. Le premier président de l'instance, Alain Bois-sinot, claque la porte en juin 2014. Dans sa lettre de démission adressée aux membres du conseil, il -affirme :
" C'est peut-être une -erreur d'avoir donné à une instance de réflexion et de délibé-ration des responsabilités opérationnelles aussi lourdes. " Un deuxième, le géographe Michel Lussault, mène la refonte des -programmes de primaire et du collège, puis démissionne en -septembre 2017, peu après l'arrivée du nouveau ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.
" Le ministre n'est pas prêt à confier au CSP des missions correspondant aux chantiers à -venir ", estime-t-il, évoquant la -réforme du lycée et du bac.
" Mascarade "Une inspectrice générale de philosophie, Souâd Ayada, prend alors la direction du conseil. Dès l'arrivée de cette dernière, un -clivage se forme entre ceux qui ont connu l'ancienne école et ceux – dont la majorité des parlementaires – arrivés avec le changement politique de 2017. Mme Ayada prend position dans des magazines comme
Le Point et
Causeur contre les décisions de son prédécesseur, déclenchant de vives réactions des " anciens ". La vice-présidente du CSP nommée par la gauche, la linguiste Sylvie Plane, démissionne en février. Au sein du -conseil,
" on ne peut plus débattre ", regrette enfin Marie-Aleth Grard lors de sa démission.
Denis Paget, professeur de lettres et ancien syndicaliste, ainsi que Roger-François Gauthier,
deux anciens membres dont le mandat s'est achevé le 10 octobre, regrettent eux aussi l'absence de débats. Un membre actuel du conseil qui ne souhaite pas être cité affirme que le CSP n'est plus une
" instance qui étudie " les textes. Chez les nouveaux arrivants, on s'étonne au contraire que les " anciens " soient en constante opposition avec tout ce que dit la présidente. Pour Agnès Thill, députée LRM de l'Oise et ancienne directrice d'école, certains membres sont parfois
" contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est -contre ". " Le CSP répond à une saisine, on est obligés d'avancer ", ajoute-t-elle. Si elle reconnaît que les réunions sont toujours trop courtes – en général trois heures, parfois toute la journée –, Agnès Thill se souvient d'avoir passé
" des heures à discuter d'un mot " lors de la saisine pour la clarification des programmes de primaire et du collège au printemps.
Pour d'autres, au contraire, c'était là l'essence même du CSP : la discussion, même longue, même minutieuse
. " Du temps de Michel Lussault, on projetait les pages sur un écran et on en discutait ligne à ligne ", souligne Denis Paget.
" Entre la première version des programmes de collège au début de l'année 2015 et la version définitive, il y a eu six mois de -travail intense, marqué par des discussions, et même des polémiques ", se souvient l'intéressé. Aujourd'hui sur le lycée, le -conseil dispose de seize jours de réunion. Une
" mascarade ", pour une source proche du conseil qui souhaite garder l'anonymat. Pour d'autres, une simple contrainte extérieure avec laquelle le CSP compose comme il peut. C'est bien le problème, répondent en chœur les " anciens ". Sollicitée par
Le Monde, Souâd Ayada a déclaré ne pas pouvoir se rendre disponible en raison de cet agenda chargé.
" Reprise en main "Il y a enfin une ambiguïté de départ sur l'indépendance du CSP. Saisi par le ministre – même s'il peut s'autosaisir – le conseil n'a pas de pouvoir décisionnaire. Pour certains membres, la nomination d'une inspectrice générale à la présidence en novembre 2017 – comme l'était, du reste, le premier président, Alain Boissinot – est le signe d'une
" reprise en main " par le ministère, à un moment où, selon des sources au sein du conseil, le ministre semble hésiter à maintenir le CSP. Le sénateur (Les Républicains) Max Brisson, lui-même ancien inspecteur général, relève une méprise sur la nature même du CSP, qui n'a
" pas vocation à fonctionner comme un contre-pouvoir ". L'indépendance du CSP devait en outre être garantie par l'éclectisme de sa composition. Aujourd'hui, selon Denis Paget,
" la composition du conseil s'est appauvrie ", avec des universitaires qui représentent une discipline définie et des groupes de travail présidés systématiquement par un universitaire et un inspecteur général.
" Le retour en force des inspecteurs n'est pas un signe d'indépendance ", note-t-il.
Contraint à la fabrication immédiate des programmes, le CSP peinerait à remplir son rôle de réflexion de long terme. Mais la difficulté n'est pas nouvelle, selon Alain Boissinot. Y compris parce qu'il ne s'est jamais saisi de nombreux sujets qui tombaient dans son escarcelle,
comme la formation des enseignants et les examens. Le CSP est-il devenu une simple
" chambre d'enregistrement ", comme le dénoncent certains de ses membres passés et actuels ?
" Tant qu'on voudra tout refaire en trois mois, le CSP ne sera pas un lieu de débats ", conclut M. Boissinot, dans un monde où le maître des horloges est souvent bien loin du
" temps long "des questions d'éducation.
Violaine Morin
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