Instaurées à partir du début des années 1990, les politiques visant à diminuer le coût du travail n'ont cessé d'être mises en doute à mesure qu'elles gagnaient de l'ampleur. Au moment où une nouvelle étude vient, une fois de plus, d'émettre de fortes réserves sur l'efficacité du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), le bilan controversé des réductions globales de charges conduit à poser la question suivante : faut-il continuer à y injecter des milliards d'euros alors que le chômage reflue à petits pas, tout en se maintenant à des seuils élevés, comparé à bien d'autre pays de l'Union européenne ?
L'effort financier consacré à ces dispositifs est, en effet, loin d'être négligeable. Selon une étude de la Dares, la direction de la recherche du ministère du travail,
" les mesures générales d'exonérations " de charges en faveur de l'emploi ont atteint 45,4 milliards d'euros en 2015,
" soit 16,4 % de plus " que l'année précédente. Une progression
" largement " imputable à la mise en œuvre du pacte de responsabilité : lancé sous le quinquennat de François Hollande, celui-ci prévoit divers allégements de cotisations qui permettent, in fine, aux entreprises de ne plus payer aucune contribution pour la Sécurité sociale lorsque leurs salariés sont
" au niveau du smic ".
Si elles sont centrées sur les rémunérations basses, les exonérations de cotisations permettent de créer des postes pour les personnes peu ou pas qualifiées, affirme l'économiste Bertrand Martinot, par ailleurs ex-patron de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle. Elles peuvent, à ce titre, être vues comme un exemple d'une
" politique de redistribution juste et efficace ", ajoute-t-il.
Les allégements décidés par les gouvernements Balladur (1993-1995) et Raffarin (2002-2005), qui portaient initialement sur des salaires allant de 1,1 à 1,2 smic dans le premier cas, et jusqu'à 1,3 smic dans le second, ont soutenu les embauches, renchérit Clément Carbonnier, maître de conférences à Cergy-Pontoise.
Plusieurs bémolsMinistre du travail durant le mandat de Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand en est convaincu :
" Le nombre de demandeurs d'emploi a progressé moins vite qu'il ne l'aurait fait si aucune politique de ce genre n'avait été mise en place. Sans ces mesures, les statistiques du chômage seraient pires. "
Mais de tels constats sont assortis de plusieurs bémols. Primo : comme ces dispositifs sont pour une grande part ciblés sur les bas salaires,
" est-ce que l'on ne favorise pas la création de postes de moindre qualité, avec des perspectives de carrière relativement étroites ? ", s'interroge Christine Erhel, professeure d'économie au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Cette question est d'autant plus délicate, poursuit-elle, que
" nous nous trouvons dans une économie dont la main-d'œuvre doit monter en qualification pour pouvoir produire des biens innovants ", face à la concurrence internationale.
En outre, les allégements généraux de cotisations ont vu leur incidence sur l'emploi s'étioler quand ils ont été graduellement appliqués à des niveaux de rémunération plus élevés : cette extension s'est davantage traduite par des augmentations salariales que par une progression des effectifs dans les entreprises, rapporte Clément Carbonnier.
Pour Eric Heyer, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), ces politiques ne sont efficaces que si elles sont coordonnées avec d'autres actions plus globales, de nature à soutenir
" l'activité ". Or, l'expérience montre, selon lui, qu'on en est loin.
" Limités par des contraintes budgétaires ", les gouvernements veulent
" contrôler le coût " des politiques d'exonération en les compensant par d'autres dispositions : par exemple, en augmentant les impôts ou en réduisant le nombre d'agents publics, ce qui, au final, a des conséquences préjudiciables sur la consommation des ménages donc sur la croissance.
Conclusion :
" il faut faire des choix ", souligne Eric Heyer, qui rappelle que l'Allemagne s'était, provisoirement, exonérée des règles d'orthodoxie budgétaire et avait laissé filer les déficits quand elle avait décidé d'engager, au début des années 2000, des réformes destinées à remédier au chômage de masse qui sévissait à l'époque.
Doit-on pour autant renoncer aux dispositifs d'exonérations générales de charges ? Ils sont certes
" coûteux pour une efficacité modérée ", résume une étude publiée en 2015 par le laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences Po (Liepp). Cependant, nuance-t-elle,
" ils ont un résultat globalement positif en termes d'emploi. " Surtout, insiste cette étude, supprimer ce type de dépenses
" n'est pas considéré comme une option tenable sur le plan politique car elle augmenterait le chômage ". Dans le même temps, le Liepp plaide pour une utilisation
" alternative " d'une partie des moyens dévolus à la baisse des charges : priorité devrait être donnée à
" l'investissement social " – par le biais, entre autres, de la formation, initiale et continue.
Sarah Belouezzane, et Bertrand Bissuel
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