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jeudi 1 novembre 2018

Emploi : des dispositifs " coûteux pour une efficacité modérée " - le 16.10.2018


16 octobre 2018

Emploi : des dispositifs " coûteux pour une efficacité modérée "

Le bilan controversé des réductions de charges conduit à s'interroger sur l'opportunité de continuer à y injecter des milliards d'euros

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Instaurées à partir du début des années 1990, les politiques visant à diminuer le coût du travail n'ont cessé d'être mises en doute à mesure qu'elles gagnaient de l'ampleur. Au moment où une nouvelle étude vient, une fois de plus, d'émettre de fortes réserves sur l'efficacité du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), le bilan controversé des réductions globales de charges conduit à poser la question suivante : faut-il continuer à y injecter des milliards d'euros alors que le chômage reflue à petits pas, tout en se maintenant à des seuils élevés, comparé à bien d'autre pays de l'Union européenne ?
L'effort financier consacré à ces dispositifs est, en effet, loin d'être négligeable. Selon une étude de la Dares, la direction de la recherche du ministère du travail, " les mesures générales d'exonérations " de charges en faveur de l'emploi ont atteint 45,4  milliards d'euros en  2015, " soit 16,4  % de plus " que l'année précédente. Une progression " largement " imputable à la mise en œuvre du pacte de responsabilité : lancé sous le quinquennat de François Hollande, celui-ci prévoit divers allégements de cotisations qui permettent, in fine, aux entreprises de ne plus payer aucune contribution pour la Sécurité sociale lorsque leurs salariés sont " au niveau du smic ".
Si elles sont centrées sur les rémunérations basses, les exonérations de cotisations permettent de créer des postes pour les personnes peu ou pas qualifiées, affirme l'économiste Bertrand Martinot, par ailleurs ex-patron de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle. Elles peuvent, à ce titre, être vues comme un exemple d'une " politique de redistribution juste et efficace ", ajoute-t-il.
Les allégements décidés par les gouvernements Balladur (1993-1995) et Raffarin (2002-2005), qui portaient initialement sur des salaires allant de 1,1 à 1,2 smic dans le premier cas, et jusqu'à 1,3 smic dans le second, ont soutenu les embauches, renchérit Clément Carbonnier, maître de conférences à Cergy-Pontoise.
Plusieurs bémolsMinistre du travail durant le mandat de Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand en est convaincu : " Le nombre de demandeurs d'emploi a progressé moins vite qu'il ne l'aurait fait si aucune politique de ce genre n'avait été mise en place. Sans ces mesures, les statistiques du chômage seraient pires. "
Mais de tels constats sont assortis de plusieurs bémols. Primo : comme ces dispositifs sont pour une grande part ciblés sur les bas salaires, " est-ce que l'on ne favorise pas la création de postes de moindre qualité, avec des perspectives de carrière relativement étroites ? ", s'interroge Christine Erhel, professeure d'économie au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Cette question est d'autant plus délicate, poursuit-elle, que " nous nous trouvons dans une économie dont la main-d'œuvre doit monter en qualification pour pouvoir produire des biens innovants ", face à la concurrence internationale.
En outre, les allégements généraux de cotisations ont vu leur incidence sur l'emploi s'étioler quand ils ont été graduellement appliqués à des niveaux de rémunération plus élevés : cette extension s'est davantage traduite par des augmentations salariales que par une progression des effectifs dans les entreprises, rapporte Clément Carbonnier.
Pour Eric Heyer, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), ces politiques ne sont efficaces que si elles sont coordonnées avec d'autres actions plus globales, de nature à soutenir " l'activité ". Or, l'expérience montre, selon lui, qu'on en est loin. " Limités par des contraintes budgétaires ", les gouvernements veulent " contrôler le coût " des politiques d'exonération en les compensant par d'autres dispositions : par exemple, en augmentant les impôts ou en réduisant le nombre d'agents publics, ce qui, au final, a des conséquences préjudiciables sur la consommation des ménages donc sur la croissance.
Conclusion : " il faut faire des choix ", souligne Eric Heyer, qui rappelle que l'Allemagne s'était, provisoirement, exonérée des règles d'orthodoxie budgétaire et avait laissé filer les déficits quand elle avait décidé d'engager, au début des années 2000, des réformes destinées à remédier au chômage de masse qui sévissait à l'époque.
Doit-on pour autant renoncer aux dispositifs d'exonérations générales de charges ? Ils sont certes " coûteux pour une efficacité modérée ", résume une étude publiée en  2015 par le laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences Po (Liepp). Cependant, nuance-t-elle, " ils ont un résultat globalement positif en termes d'emploi. " Surtout, insiste cette étude, supprimer ce type de dépenses " n'est pas considéré comme une option tenable sur le plan politique car elle augmenterait le chômage ". Dans le même temps, le Liepp plaide pour une utilisation " alternative " d'une partie des moyens dévolus à la baisse des charges : priorité devrait être donnée à " l'investissement social " – par le biais, entre autres, de la formation, initiale et continue.
Sarah Belouezzane, et Bertrand Bissuel
© Le Monde


16 octobre 2018

L'évaluation du CICE continue de faire débat chez les économistes

Le résultat de ce dispositif, qui coûtera 40 milliards d'euros en 2019, reste toujours aussi flou

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45,38 MILLIARDS
C'est le montant, en euros, des " mesures générales d'exonération " en 2015, selon le ministère du travail. Un an plus tôt, elles se situaient à un niveau inférieur (39  milliards d'euros) et étaient encore plus faibles en  2010 (26,88  milliards). L'essentiel de ces dépenses provient des allégements généraux sur les bas salaires (21,7  milliards en 2015) et du CICE (18,6  milliards).
C'est l'emblème de la politique économique de François Hollande, reprise et pérennisée sous le mandat d'Emmanuel Macron. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), un dispositif à 20  milliards d'euros par an, continue, près de six ans après sa mise en place, d'alimenter les polémiques sur son efficacité.
" Les évaluations du CICE ont toujours conclu à des effets mitigés ", ont résumé, jeudi 11  octobre, les économistes de l'Institut des politiques publiques (IPP), un -organisme indépendant mandaté au printemps par l'Assemblée nationale pour tenter, une fois de plus, d'estimer les effets de ce crédit d'impôt de 6  % sur la masse salariale, qui s'applique aux salaires jusqu'à 2,5 smic.
" Jusqu'ici, les évaluations du CICE n'ont pas trouvé d'effet sur l'investissement - des entreprises - , la R&D - recherche et développement - et les exportations. Elles ont conclu à un effet probablement positif sur les marges, mais faible et incertain sur l'emploi. Enfin, -elles ont noté une hausse du -salaire moyen au sein des entreprises les plus concernées ",notent les chercheurs de l'IPP.
Un peu court, pour une mesure qui a peu ou prou coûté 20  milliards d'euros par an aux finances publiques depuis 2014… et en coûtera le double en  2019. En effet, le CICE sera l'an prochain transformé en baisse de cotisations pérenne pour les entreprises. A sa naissance, en  2013, le mécanisme de crédit d'impôt avait été choisi afin de ne pas avoir à verser les sommes dues avant l'année suivante, pour ne pas peser sur le budget. Conséquence : l'an prochain, les 20  milliards seront dus aux entreprises à la fois au titre du crédit de 2018, et de la réduction de cotisations de 2019. De quoi creuser le déficit tricolore de 0,9 point de PIB, et le faire frôler la barre fatidique des 3  % (2,8  % prévus).
Casse-têteA sa décharge, le dispositif a pâti dès le début du pire défaut qui soit pour une politique publique : courir plusieurs lièvres à la fois. Pour le rapport Gallois qui l'inspira en  2012, il s'agissait de doper la compétitivité des entreprises, notamment industrielles, en abaissant le coût du travail. D'où un ciblage large : avec un plafond à 2,5 smic, le CICE touche près de 80  % des salariés français. Mais plusieurs grands groupes de services (Carrefour, La Poste) en ont largement bénéficié. Dans le même temps, le gouvernement l'a vendu comme un instrument de réduction du chômage.
Surtout, le dispositif n'a été -conditionné à aucune fin précise. Il semble acquis que les milliards injectés aient constitué une bouffée d'oxygène pour l'économie française, notamment les PME, et qu'ils aient contribué à redresser les marges au sortir de la crise -financière. Mais la question -centrale – combien d'emplois ont été créés grâce au CICE ? – demeure un casse-tête.
Dernier bilan en date, celui du comité de suivi du CICE, publié début octobre par France Stratégie, l'organisme de réflexion rattaché à Matignon, chargé d'en coordonner l'évaluation. " Le comité maintient les conclusions avancées dans les précédents -rapports et retient un effet net qui serait proche de 100 000 emplois créés ou sauvegardés (…) sur 2014 et 2015 ",peut-on lire. Il y a un an, les experts avançaient ce même chiffre, mais dans une fourchette très large (10 000  à 200 000 emplois).
Et les débats ne sont pas près de s'arrêter avec la " bascule " du CICE en baisse de cotisations." Dans le scénario central de la direction générale du Trésor, les -effets de la bascule vers le nouveau dispositif seraient positifs sur l'activité et l'emploi à court-moyen terme, avec + 0,2  point de PIB et + 100 000 emplois à l'horizon 2020-2021. Toutefois (…) l'effet résultant est par -nature entouré d'une incertitude plus forte que la simple mise en place d'un nouvel allégement ", précise France Stratégie.
Selon l'étude de l'IPP, la bascule du CICE pourrait avoir un " effet significatif sur l'emploi ",avec cependant des différences notables en fonction des secteurs d'activité. Les secteurs qui emploient une part importante de main-d'œuvre peu qualifiée (hôtellerie, restauration) étant susceptibles d'en être les principaux bénéficiaires.
Pour l'économiste Daniel Cohen, l'Etat aurait pu s'éviter ce cadeau fait aux entreprises sous forme d'un afflux de trésorerie. " Pourquoi ne pas avoir payé, en  2018, le CICE au titre de 2017, et fait voter une baisse de charge qui aurait pris effet en  2019 ? Il n'y aurait eu aucune rupture pour les entreprises, et on aurait économisé 20  milliards d'euros. Vous savez tout ce qu'on peut faire, avec 20  milliards d'euros ? "
Audrey Tonnelier
© Le Monde

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