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vendredi 28 septembre 2018

HISTOIRE et MÉMOIRE - Guerre d'Algérie Des Maurice Audin par milliers


HISTOIRE et MÉMOIRE




28 septembre 2018

Guerre d'Algérie Des Maurice Audin par milliers

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La reconnaissance, le 13 septembre, de la responsabilité de l'Etat dans l'assassinat de Maurice Audin en Algérie et la promesse d'ouvrir les archives ont suscité un grand espoir parmi les victimes de l'histoire coloniale.
Le collectif des parties civiles pour le Rwanda espère qu'Emmanuel Macron reconnaîtra le rôle de la France auprès des génocidaires ; la veuve du juge Borrel, tué à Djibouti, réclame justice, tout comme les descendants des tirailleurs exécutés dans le camp de Thiaroye, au Sénégal, en 1944. Les familles des milliers d'Algériens disparus souhaitent elles aussi que lumière soit faite.
page 6
© Le Monde


28 septembre 2018

Les dossiers mémoriels ressurgissent en Afrique

Après le geste de l'Elysée envers Maurice Audin, des proches des victimes attendent une reconnaissance

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LE CONTEXTE
L'affaire Audin
Le 13 septembre, Emmanuel Macron a franchi un nouveau pas dans le travail de mémoire sur la guerre d'Algérie (1954-1962) en demandant pardon à la veuve de Maurice Audin, mathématicien et militant communiste, arrêté en 1957 et dont le corps n'a jamais été retrouvé. Le chef de l'Etat s'est déplacé au domicile de Josette Audin pour lui remettre une déclaration reconnaissant que son époux " a été torturé puis exécuté, ou torturé à mort (...) et que si sa mort est, en dernier ressort, le fait de quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système légalement institué : le système “arrestation-détention”, mis en place à la faveur des pouvoirs spéciaux (...) confiés par voie légale aux forces armées à cette période ".
Alain et Dafroza Gauthier nourrissent un secret espoir. Ce couple qui consacre sa vie à faire juger les auteurs présumés du génocide des Tutsi au Rwanda a suivi avec un intérêt particulier la reconnaissance, le 13  septembre, par Emmanuel Macron de la responsabilité de l'Etat français dans la disparition de Maurice Audin en pleine guerre d'Algérie.
" J'espère que lors des 25es commémorations du génocide- en avril  2019 - , le président Macron reconnaîtra quel a été le vrai rôle de la France. Pas seulement des excuses mais la reconnaissance que le gouvernement français a choisi le mauvais camp : celui des génocidaires ", dit Alain Gauthier.
A l'image des fondateurs du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, nombreux sont les militants, chercheurs ou familles qui ont vu dans l'acte posé par M. Macron l'opportunité de faire avancer leur exigence de vérité. Qu'il s'agisse d'épisodes sanglants de l'histoire coloniale, des morts de responsables africains jamais élucidées, de liens troubles avec des régimes violents, tous se heurtent au même secret d'Etat entourant les relations entre la France et son ex- " pré carré ".
Pour Elisabeth Borrel, la veuve du juge Bernard Borrel, assassiné dans des circonstances non élucidées en  1995 à Djibouti, la reconnaissance d'Emmanuel Macron fut d'abord un moment de satisfaction et d'espoir. Satisfaction pour Josette Audin, la veuve de Maurice Audin, qui attendait ce geste depuis soixante et un ans. Espoir que ce devoir de vérité s'applique aussi à son histoire et à celles portées par le collectifSecret-défense, un enjeu démocratique – dont Mme Borrel est membre – créé pour obtenir une réforme de l'accès aux archives tenues secrètes au nom de la raison d'Etat.
Mais l'espoir a vite laissé place au doute. Le 19  septembre, Mme  Borrel recevait une lettre de la chef de cabinet d'Edouard Philippe, l'informant que leur demande d'entretien était rejetée." Vous avez fait part (…) de votre souhait de le rencontrer afin d'évoquer l'évolution du dispositif juridique régissant la levée du secret-défense, au regard, en particulier, des circonstances de la mort de Thomas Sankara. Votre démarche a retenu l'attention d'Edouard Philippe. Cependant, le chef du gouvernement n'est pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande d'entretien ", lit-on dans la lettre dont Le Monde a pris connaissance. Alors président du Burkina Faso, Thomas Sankara fut tué en  1987 dans un coup d'Etat organisé par Blaise Compaoré, qui pendant près de trente ans fut l'un des meilleurs alliés de la France en Afrique.
" Cette lettre est dramatique, réagit Elisabeth Borrel. Comment ne pas être réservé sur les nouvelles proclamations d'Emmanuel Macron en faveur des familles des disparus d'Algérie ? Nos familles ont vécu les pires infractions qu'un Etat puisse commettre et on nous ferme la porte au nez. " Le collectif avait dans un premier temps interpellé le président après qu'il a annoncé, lors de son déplacement à Ouagadougou en novembre  2017, une déclassification totale des archives détenues par la France sur l'assassinat du président burkinabé. Leur demande avait alors été renvoyée vers Edouard Philippe.
Secret d'Etat" Jusqu'à présent, les promesses de déclassification faites par les gouvernements successifs n'ont jamais permis d'accéder aux documents pertinents attendus par les juges ou les historiens pour faire progresser la vérité. Il faut que la levée du secret-défense cesse d'être le fait du prince ", plaide Mme Borrel, elle aussi magistrate. Le collectif regroupe quelques-unes des histoires les plus emblématiques de ces zones d'ombre qui encombrent la mémoire de l'histoire coloniale et postcoloniale française.
Avec le Sénégal, c'est le sort des tirailleurs exécutés dans le camp de Thiaroye, en banlieue de Dakar, le 1er  décembre 1944, qui anime depuis plusieurs années les démarches de l'historienne Armelle Mabon aux côtés de quelques descendants de victimes. " Ces hommes n'ont pas commis de rébellion armée comme l'affirme l'histoire officielle. Ils ont été exécutés parce qu'ils réclamaient le paiement de leur solde de captivité après avoir défendu la France contre l'Allemagne nazie ", affirme la chercheuse.
" En  2012, François Hollande avait promis le transfert de l'intégralité des archives numérisées au Sénégal. Or, le ministère des armées refuse toujours de rendre consultables les documents conservés par les forces françaises au Sénégal jusqu'à leur dissolution en  2011. Elles auraient pu être détruites, me dit-on aujourd'hui ", explique Mme Mabon, dont l'opiniâtreté a récemment inspiré à Patrice Perna et Nicolas Otero la bande dessinée Morts par la France. Thiaroye 1944 (Les Arènes, 146 p., 20  euros).
L'historienne ajoute : " Parmi les descendants, Biram Senghor, aujourd'hui âgé de 80 ans, qui réclame pour son père la mention “Mort pour la France”, a commencé dans les années 1970 à se battre pour que les faits soient rétablis. On ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec Josette Audin. "
L'affaire Ben Barka, du nom de cet opposant marocain enlevé en octobre  1965 sur le boulevard Saint-Germain, et dont on ne retrouva jamais la trace, est un autre dossier emblématique de secret d'Etat entre la France et l'une de ses ex-colonies. " Pour nous sa famille, pour ma mère qui attend depuis cinquante-trois ans cette vérité interdite par la raison d'Etat, le geste du président Macron sur l'affaire Audin ouvre un nouvel espoir ", explique Bachir Ben Barka, fils du disparu et acteur central de ce combat pour la vérité.
Les proches de l'opposant n'ont jamais élucidé les circonstances de sa mort. Eliminé sur ordre du roi du Maroc de l'époque, Hassan  II ? Avec la couverture des autorités françaises ? En  2010, une perquisition au siège de la direction générale de la sécurité extérieure aurait dû permettre l'accès à 400 pages de documents. Dans les faits, seule une centaine a pu être consultée. " Depuis huit ans, nous cherchons à lever le secret-défense sur les 300 autres pages, en vain, regrette Bachir Ben Barka, qui ne comprend pas pourquoi la vérité d'Etat serait possible dans l'affaire Audin et pas dans celle de son père. Macron et son gouvernement sont suffisamment éloignés de cette histoire, liée au pouvoir gaulliste, pour pouvoir faire preuve de courage politique. "
" Désintérêt "Le 13  septembre aurait aussi pu permettre de sortir du douloureux déni qui entoure les agissements de la France au Cameroun au tournant de l'indépendance. L'intellectuel camerounais Célestin Monga l'a rappelé en postant ce message sur Twitter : " Une grande nation reconnaît ses fautes, s'en excuse et en paie le prix symbolique. Um Nyobe, père de l'indépendance camerounaise, fut assassiné le 13  septembre 1958. "
Thomas Deltombe, auteur avec Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa de Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (2011, La Découverte), voit dans ce rendez-vous manqué le " signe du désintérêt qui continue de prévaloir pour ce qui s'est passé en Afrique au sud du Sahara ".  Pourtant, les historiens ont documenté cette guerre cachée qui a fait, selon les sources, entre plusieurs milliers et plusieurs dizaines de milliers de morts.
En qualifiant la colonisation de " crime contre l'humanité " lors d'un déplacement à Alger, en  2016, " M.  Macron a montré qu'il avait compris la nécessité de répondre à la demande de mémoire. Il doit maintenant aller plus loin.  Il y a urgence. La France est tellement en retard dans la reconnaissance des crimes coloniaux ".
Charlotte Bozonnet, Cyril Bensimon et Laurence Caramel
© Le Monde

28 septembre 2018

Guerre d'Algérie : " Des Maurice Audin par milliers "

Un site Internet souhaite lever une part du mystère qui entoure la disparition d'Algériens aux mains de l'armée française

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Combien sont-ils à avoir connu le même sort ? A être tombés aux mains de l'armée française, jamais retrouvés par leur famille et à avoir été oubliés de l'histoire officielle ? Au lendemain de la reconnaissance par le président français du supplice infligé au mathématicien Maurice Audin, un site Internet, baptisé " Alger 1957 – des Maurice Audin par milliers ", s'est donné pour mission de lever une part du mystère qui entoure la disparition de milliers d'Algériens et d'Algériennes pendant la guerre.
" Le meurtre de ce jeune mathématicien de 25 ans, grossièrement maquillé en évasion, fut loin d'être un cas isolé, rappellent les fondateurs du site, au premier rang desquels l'association Histoire coloniale et postcoloniale et l'Association Maurice-Audin. Ce fut l'un des nombreux cas d'enlèvement, séquestration, torture, suivis souvent de mort, produits, à Alger, de janvier à septembre  1957, par un véritable système de terreur militaire. "
Pour permettre ce travail de vérité, le site publie un millier de notices individuelles de personnes disparues, librement consultables, issues de documents officiels récemment déclassifiés. Une mine d'or pour les familles à la recherche de leurs proches depuis des décennies. " Ma famille est encore sous l'effet de l'émotion après la découverte de ce document ", écrit ainsi Ammar Kessab dont le grand-père maternel, Mohamed Harchouche, a disparu dans la nuit du 21  juin 1957. L'une des notices leur a enfin apporté " la preuve irréfutable de son arrestation par l'armée ".
Jusqu'ici, la famille n'en avait que le récit fait par Yamina, la femme de Mohamed Harchouche. En  1957, elle et son époux vivent dans la casbah d'Alger, rue des Pyramides. Il est arrêté une première fois, torturé à l'électricité mais finit par rentrer chez lui. Trois mois plus tard, cette nuit du 12  juin, une centaine de militaires investissent le quartier. Lorsqu'ils frappent à la porte de la famille à 1 heure du matin, Mohamed Harchouche leur ouvre. Il reçoit un coup de crosse en plein visage et tente de fuir au premier étage avant d'être capturé et emmené.
Les démarches de ses proches ne donneront rien. Jusqu'à ce qu'un haut gradé français leur dise d'abandonner : " On l'a jeté depuis un hélicoptère dans la mer. "" Cette version, c'est celle que j'ai toujours entendue depuis que je suis enfant ", souligne Ammar Kessab.
" Document précieux "La principale source d'information du site est un fichier conservé aux Archives nationales d'outre-mer depuis la fin de la guerre d'Algérie et découvert en décembre  2017 par l'historien Fabrice Riceputi, animateur du site. " Quand je suis tombé dessus, j'ai tout de suite compris que je tenais un document précieux ", souligne-t-il.
Les notices en question ont été remplies entre février et août  1957 et sont ce qui subsiste du fichier du Service des liaisons nord-africaines de la préfecture d'Alger. En pleine bataille d'Alger, alors que les rafles et les arrestations se multiplient, la préfecture se met à recueillir les plaintes des familles sans nouvelles de leurs proches. Elle les transmet à l'armée – à qui les autorités civiles ont délégué tous les pouvoirs – qui sera peu encline à y répondre.
En septembre  1958, le fichier aurait compté 2 039 noms inscrits. De ce total, Fabrice Riceputi a retrouvé 850 noms, et dix jours après sa mise en ligne, le site 1000autres.org a répertorié 33  disparitions définitives identifiées par les proches, enfants et petits-enfants. Signe de la soif de vérité et du gouffre laissé par des milliers de disparitions mystérieuses, le site reçoit de nombreux messages qui concernent des cas s'étant produits avant et après 1957, et dans bien d'autres endroits qu'Alger. Alors l'équipe s'interroge sur comment poursuivre ce travail.
Le président français Emmanuel Macron a annoncé l'ouverture des archives concernant les disparus français et algériens, mais sans donner de détail sur sa mise en œuvre. " Il ne faut pas se faire trop d'illusions, prévient Fabrice Riceputi. Les paras ont détruit beaucoup d'archives, notamment le 13  mai 1958. Et les bourreaux n'avaient pas l'habitude de coucher leurs exactions sur papier. "
Le site va poursuivre son recueil de témoignages. Et, pourquoi pas, aller à la rencontre de ces familles afin de poursuivre avec eux ce travail de " construction de l'histoire par le bas ", explique M. Riceputi : " Il faut se rendre compte des répercussions d'une disparition pour l'entourage. C'est une torture sans fin, une souffrance à très grande portée sociale. "
Mohamed Tazir avait 12 ans lorsque son grand-père a été enlevé par les paras dans la nuit du 30  avril au 1er  mai 1957. Aujourd'hui âgé de 73 ans, il vit toujours à Alger et se souvient parfaitement de ces heures-là : le réveil en sursaut par une porte fracassée, les cris et les pleurs de ses frères et sœurs, la dernière image de son grand-père assis de force dans une Jeep.
M.  Tazir espère que l'affaire Audin ne sera qu'un début, permettant à la masse des anonymes de connaître eux aussi la vérité. " On n'a pas encore fait notre deuil, nous n'avons ni stèle ni tombe ; mon grand-père s'est évaporé dans la nature depuis soixante ans, laissant un vide terrible. " Ammar Kessab est plus jeune mais raconte la même " blessure intergénérationelle " : " Savoir, c'est permettre à notre famille de se reconstituer. "
C. B.
© Le Monde

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