Le célibat des prêtres catholiques est-il la cause principale des abus sexuels commis par des ecclésiastiques ? Après les nouvelles révélations de l'été sur les violences commises sur des enfants pendant des décennies en Pennsylvanie, Nancy Huston a défendu cette thèse dans une tribune publiée par Le Monde le 21 août. L'écrivaine y demandait au pape François de " lever l'injonction au célibat ". " Le problème n'est ni la pédophilie ni la perversion, écrivait-elle. Le problème, c'est qu'on demande à des individus normaux une chose anormale. (…) Les prêtres ne sont pas chastes. Ils n'arrivent pas à l'être. Il faut en prendre acte. "
Faut-il établir une relation directe de causalité entre ce célibat, qui est, depuis le XIe siècle, l'une des règles liées à la prêtrise dans l'Eglise latine, et les scandales dévoilés ces vingt dernières années, essentiellement dans les pays occidentaux ?
" Mettre en lien abus sexuels et célibat pose un problème de fond, objecte la théologienne Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref).
Cela donne à penser que, si les prêtres étaient mariés, il n'y aurait plus d'abus. A quelle image de la femme et de la relation de couple ce raisonnement renvoie-t-il ? "
Si l'on s'en tient aux agressions à caractère pédophile, la corrélation directe se heurte à un constat dressé par la psychiatre spécialiste des violences sexuelles sur mineurs Catherine Bonnet, ancienne membre de la commission pontificale pour la protection des mineurs et des personnes vulnérables.
" On évalue qu'entre 75 % et 80 % des abus sexuels sur enfant ont lieu dans le cadre de la famille. La majorité, c'est l'inceste ", insiste-t-elle. Dans ces cas-là, la vie de couple n'empêche pas les pulsions pédophiles. En outre, les différentes enquêtes conduites dans le monde, notamment aux Etats-Unis, évaluent aux alentours de 5 % la part de prêtres pédophiles.
Ce constat ne suffit pas à évacuer la question du lien entre abus et célibat. Le célibat ne -serait-il pas de nature à attirer certains hommes en délicatesse avec leur sexualité, qui pourraient espérer trouver dans la prêtrise un refuge ? C'est la question que pose Sophie -Baron-Laforet. Psychiatre, elle a travaillé pendant vingt ans sur les auteurs de violences sexuelles, notamment en prison.
" Parmi les gens qui choisissent le célibat, on peut se demander s'il n'y aurait pas des personnes qui lutteraient contre des pulsions pédophiles,commente-t-elle.
Parmi eux, certains peuvent être dans une contrainte du corps, un ascétisme, une idée de contrôler une chose jugée interdite. "
Une fois entré dans les ordres, comment comprendre la mécanique qui conduit certains ecclésiastiques à abuser de fidèles – enfants, jeunes ou adultes ? Psychothérapeute et prêtre de l'ordre des pères blancs, Stéphane Joulain se consacre depuis deux ans à la formation, -notamment dans les séminaires. Mais, pendant des années, il a accompagné beaucoup de prêtres pédophiles en thérapie, ce qui en fait l'un des meilleurs spécialistes de la question.
" La clé, explique-t-il,
c'est la manière dont ce -célibat est vécu : est-il vraiment assumé, -mature ? Ou bien s'est-il en quelque sorte -imposé à soi ? Le lien entre célibat et abus sexuel est dans la qualité de ce célibat, la maturité sexuelle. La plupart des prêtres vivent bien leur célibat, même si cette absence de génitalité, -d'affectivité et de paternité reste toujours un défi. Mais quand elle n'est pas assumée, la pratique du célibat va être vécue difficilement. "
Immaturité sexuelle et pouvoirPour certains prêtres, la difficulté peut être structurelle. Pour d'autres, le passage à l'acte peut avoir lieu à l'occasion d'une difficulté dans leur vie, comme une dépression – on parle alors d'état régressif. Certains abuseront d'enfants parce qu'ils sont structurés comme cela, explique Stéphane Joulain. D'autres iront vers eux parce qu'ils jugent cela moins
" dangereux " que d'aller vers des adultes. Certains ont été victimes de violences dans leur enfance et ont développé des
" mécanismes d'identification à l'agresseur ", selon la formule de Catherine Bonnet. D'autres en sont
" restés à une compréhension de leur sexualité un peu adolescente faute d'avoir eu l'occasion de mûrir par la relation à l'autre ", explique Stéphane Joulain.
Le travail de la thérapie consiste à faire émerger les nombreuses " distorsions cognitives ", c'est-à-dire les mensonges par lesquels l'abuseur justifie sa conduite à ses propres yeux (" il le voulait bien ", " ce n'était que des caresses pas bien graves ", " il est plus mûr que son âge "…).
" On essaie de réactiver chez eux l'empathie, qu'ils ont dû neutraliser pour abuser d'un enfant, précise le thérapeute
. Puis, on refait tout le chemin de la succession de choix qu'ils ont faits pour aboutir au passage à l'acte. "
Un autre lien entre célibat et abus peut résider dans la notion de position de pouvoir.
" Dans l'Eglise catholique, dit Stéphane Joulain,
le célibat consacré est la clé d'accès au pouvoir. Il donne un accès privilégié aux familles, aux enfants. Il fait de vous une personne de confiance, à qui on reconnaît de l'autorité. Or, l'abus sexuel est aussi un abus de ce pouvoir. " Le célibat -contribue à faire du prêtre un être un peu à part, parfois considéré comme plus avancé que les autres dans la voie de la sanctification.
" L'instauration de la discipline du célibat est liée à la mise à part du prêtre, à son caractère quasi -sacré ", reconnaît Véronique Margron.
" Sens inaccessible "La crise des abus dans l'Eglise conduit aujourd'hui certains à souhaiter une nouvelle réflexion sur le statut du prêtre, réflexion dont le célibat ferait partie. Cette crise
" laisse passage à des questions qui habitent les esprits mais qui, au sein de l'institution ecclésiale, sont ordinairement refoulées comme non négociables ", explique la théologienne Anne-Marie Pelletier. Elle plaide pour
" l'inventaire d'une pratique - le célibat -
qui peut faire valoir des titres dans la tradition de l'Eglise catholique, mais dont le sens est très largement inaccessible aujourd'hui dans notre contexte culturel et qui, manifestement, rencontre des obstacles pour se vivre ". Pour elle, si l'Eglise
" tient hic et nunc au célibat des prêtres, elle doit revisiter ses raisons de le faire " et
" identifier les voies qui rendent ce célibat présentement praticable, aussi bien que les dévoiements qui peuvent lui être associés ".
" Il faut remettre la question du célibat dans une réflexion plus large sur l'accès au ministère presbytéral, abonde Véronique Margron.
Quand on veut ordonner un diacre - adjoint des prêtres -
, on fait en sorte que ce soit un homme qui, par sa trajectoire de vie personnelle, professionnelle, d'engagement, ait fait ses preuves – les viri probati
. On peut penser qu'il faudrait au moins la même chose pour un prêtre. La formation, ce n'est pas toujours suffisant pour parvenir à la maturité. Il faut aussi réfléchir à l'affectivité des prêtres et à son épanouissement. La question, c'est : de quelle figure de prêtre l'Eglise a-t-elle -besoin dans le monde d'aujourd'hui ? "
Cécile Chambraud
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire