Avec le Brexit ou le risque de Grexit en 2015, la commission Juncker s'est habituée à gérer les situations de crise. Elle était pourtant fébrile dans l'attente des arbitrages budgétaires du gouvernement populiste italien (alliant les anti-système du Mouvement 5 Etoiles et la Ligue d'extrême droite). En confirmant un accord pour une forte relance budgétaire en 2019, 2020 et 2021, ce dernier a choisi de creuser le déficit public transalpin à 2,4 % du produit intérieur brut (PIB) dès l'an prochain. La Commission risque dès lors d'affronter un des dilemmes les plus épineux de ces dernières années.
Choisira-t-elle de faire respecter à la lettre les règles du pacte de stabilité et de croissance ? Au risque de provoquer une crise politique grave avec un gouvernement populiste qui la défie ouvertement, à quelques mois d'élections européennes cruciales pour l'avenir de l'Union. L'institution préfèrera-t-elle au contraire fermer les yeux sur la violation manifeste des règles, quitte à leur faire perdre encore un peu plus de crédibilité ? C'est peu probable sans compter qu'elle enverrait un signal de faiblesse susceptible d'encourager d'autres forces anti-système dans l'Union…
Pierre Moscovici, le commissaire européen à l'économie, a averti dès vendredi 28 septembre, au micro de BFM TV :
" C'est un budget qui paraît hors des clous de nos règles communes. Nous n'avons pas intérêt à une crise avec l'Italie, mais l'Italie doit réduire sa dette publique qui reste explosive. "
En théorie, la Commission n'a pas le choix : elle doit signifier à Rome que son budget ne respecte pas les règles. Sous les gouvernements Renzi et Gentiloni, l'Italie a épuisé toutes les flexibilités offertes par le pacte de stabilité (dépenses d'investissement ou coût d'accueil des migrants déduits du déficit, etc.). Et elle s'était engagée à réduire son déficit de 1,6 % du PIB en 2018 à 0,8 % en 2019.
Bruxelles tient à ces cibles, car sa priorité est la diminution de l'énorme dette publique transalpine (plus de 130 % du PIB en 2018). Impossible sans un effort conséquent de réduction des dépenses publiques.
" Quand un pays s'endette, il s'appauvrit. Je suis persuadé qu'il n'est pas dans l'intérêt de l'Italie de s'endetter. Car c'est toujours le peuple qui paie à la fin ", insistait M. Moscovici vendredi matin, ajoutant que les règles européennes
" ne sont pas stupides ".
Dans les semaines qui viennent, avec l'Italie comme tous les autres pays de l'Union, la Commission va suivre une procédure à la fois rigide, complexe, mais comportant une certaine marge d'appréciation politique. Les capitales ont jusqu'au 15 octobre pour lui envoyer leur budget 2019. La Commission a ensuite deux semaines pour – éventuellement – réagir. Quand les copies s'éloignent trop des objectifs fixés, en commun, six mois plus tôt, l'institution peut envoyer un courrier, réclamant des explications. Voire carrément retoquer les projets.
Fin novembre, elle se prononce définitivement, qualifiant les budgets de " conformes " ou réclamant des modifications. Ce fut le cas à l'automne 2014 avec la France : la commission Barroso avait réclamé au ministre des finances français, Michel Sapin, 4 milliards d'euros de coupes supplémentaires.
Le cas italien est bien plus délicat. Rome n'est pas dans la même procédure du pacte de stabilité que Paris à l'époque : elle est dans celle du " bras préventif ", qui vise à convaincre les Etats membres de poursuivre l'assainissement de leurs finances publiques afin de réduire leur endettement et de contenir leur déficit sous les 3 % de PIB. Or plus encore que la procédure des " déficits excessifs ", celle du " bras préventif " donne lieu à des contestations. Pour les capitales et les opinions publiques, il est difficile d'admettre les remontrances de Bruxelles tant que le fameux plafond des 3 % de déficit est respecté.
Ne pas rompre le dialogueLe vice-premier ministre italien Luigi di Maio, chef de file du M5S, ne s'y est pas trompé en filant la comparaison avec Paris (qui affiche un déficit de 2,8 % pour 2019) :
" L'Italie est un grand pays, ce que fait Macron, elle peut le faire aussi. "
Quel parti prendra la commission Juncker ? Une lettre de rappel à Rome fin octobre ? Une modification de copie requise fin novembre ? Elle aura du mal à ne pas lui demander un budget révisé. Espère-t-elle à une réaction des marchés brutale obligeant le gouvernement de Giuseppe Conte à reculer sans qu'elle ait à intervenir ?
Sa stratégie devrait être fixée en fonction de la " dynamique " qui va se dessiner – ou pas – avec Rome. La Commission ne veut manifestement pas rompre le dialogue, à condition que le gouvernement Ligue/M5S accepte de coopérer. Pratiquement aucun contact n'a été établi ces derniers jours par Rome, contrairement à l'usage d'échanges quasi continus entre Bruxelles et les capitales.
La commission Juncker ajustera aussi sa réponse en fonction des réactions des autres capitales. Pas sûr que les gouvernements allemands, néerlandais ou finlandais autoriseront un examen laxiste du budget italien. Tous ont des mouvements populistes nationaux à contenir et tiennent au respect des règles communes. Or ce sont les pays membres, qui réunis en fin d'année, valident en dernier ressort les avis de la Commission.
Cécile Ducourtieux
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