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dimanche 30 septembre 2018

Les labos contre l'homéopathie


29 septembre 2018
Tribune

Les labos contre l'homéopathie

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Et si on commençait par se débarrasser de tous les médicaments inutiles et dangereux ? Au mois de janvier de cette année, la très sérieuse revue Prescrire en dressait une liste de quatre-vingt-dix ! Combien coûtent-ils à l'Assurance-maladie ? Quel est le prix payé par ceux qu'ils rendent malades ? C'est la première réaction que l'on pourrait avoir face à ceux qui sonnent l'hallali contre les remèdes homéopathiques qui, eux, au moins, ne présentent pas de danger.
Le plus important pourrait cependant ne pas être là, mais bien plutôt dans cette sorte de rage que déclenche tout ce qui échapperait à " la science ". Car, n'en doutez pas, les médicaments, c'est de la science ! La preuve ? Ils ont été testés contre un placebo ou un médicament dit de référence. Double bénéfice de cet argument : 1. les médicaments ne posent pas de problèmes (oubliées les affaires à répétition comme celles du Mediator) ; 2. on sait pourquoi les remèdes homéopathiques marchent : c'est " l'effet placebo ".
Dès qu'on y regarde d'un peu plus près, les choses se compliquent sacrément. Les études comparatives en double aveugle (contre placebo ou médicament de référence) me semblent justement être la démonstration qu'on n'est pas vraiment dans ce qui mériterait le nom de science. Si notre connaissance de la biologie du corps humain était ce que les naïfs (les vrais) croient, on n'aurait pas besoin de recourir à cette misérable procédure empirique. On saurait pour des raisons " scientifiques " pourquoi un médicament ne peut qu'être efficace. Allons plus loin : on n'a, en général, que des hypothèses sur les raisons pour lesquelles un médicament " marche ". Le plus souvent, c'est par hasard que l'on s'est aperçu que telle molécule produisait tel effet. Et la plupart des nouvelles molécules sont testées sur des modèles animaux en tentant de retrouver un effet produit par des médicaments déjà utilisés.
Ce n'est pas sans conséquence : il y a un gouffre entre la procédure qui nous permet d'attribuer le titre de médicament à une substance (les études comparatives) et la science biologique. On pourrait voir dans ce gouffre une des raisons pour lesquelles si peu de nouveaux médicaments sont aujourd'hui inventés. Comme le disent eux-mêmes les industriels avec un mot savant, les progrès sont devenus " incrémentaux ". Miracle de la communication ! Ne vaudrait-il pas mieux dire " imperceptibles " ? Car un médicament, ce n'est pas comme une automobile, ça ne s'améliore pas par petites touches. Cela n'empêche pas les industriels en panne d'invention d'exiger des prix exorbitants pour leurs " nouveautés " et de se battre pour contrôler les circuits de vente par tous les moyens.
Le cri de rage, " c'est l'effet placebo "Mais ce n'est pas tout : qui réalise les études comparatives ? Qui décide du médicament auquel on se comparera, des doses qui seront testées, de la longueur de l'étude, des caractéristiques des patients recrutés, de leur nombre, bref de tout ce qui fait que les résultats peuvent changer du tout au tout ? Les industriels, et eux seuls ! Ainsi, un grand laboratoire décide de ne tester son antidouleur que pendant un an. Tant pis s'il est censé soulager une pathologie chronique, le problème est que son efficacité décroît d'une telle manière après ce laps de temps qu'aucun subterfuge ne réussit à lui faire gagner la course comparative. Les industriels du médicament se sont battus pendant des années, en particulier en France, contre l'obligation des études comparatives. Le compromis obtenu fait que si elles sont obligatoires, ils en sont seuls responsables. Et il a fallu en permanence, depuis trente ans, multiplier les contrôles pour empêcher les industriels de manipuler les données à leur gré. Ce qui n'empêche pas que, avec la régularité d'une horloge, un nouveau scandale " sanitaire " surgisse presque tous les ans, illustrant dans bien des cas le laxisme (ou l'incompétence, voire la corruption ?) de ceux qui sont chargés de surveiller.
Mais il y a peut-être plus grave encore. Le cri de rage, " c'est l'effet placebo ", vient toujours couronner l'appel à la guerre. Mais qu'est-ce que l'effet placebo ? C'est l'effet " blouse blanche ", nous disent les bouffis d'orgueil qui croient ajouter ainsi à leur compétence scientifique l'aura du guérisseur, pourtant persécuté depuis le temps des sorcières jetées au bûcher. C'est l'effet " symbolique ", disent les férus de psychanalyse, sans élaborer beaucoup plus. Avez-vous déjà entendu un patient dire : " J'ai été guéri par l'effet placebo " ? Evidemment non. Le vocable est dévalorisant. Il abaisse le patient (ce naïf) et élève celui qui l'emploie.
Bref, constatons-le, on ne sait pas ce qu'est " l'effet placebo ", sinon que cela revient à guérir " pour de mauvaises raisons " ! Mais si l'on ne sait pas ce qu'est l'effet placebo, alors on ne sait pas ce qui peut le " minimiser " ou le " maximiser ", comme le faisait déjà remarquer, il y a longtemps, le philosophe François Dagognet. On ne sait pas non plus si tous les éléments qu'il faut éliminer de la scène pour faire une étude contre placebo (par exemple, certaines différences biologiques, psychologiques ou comportementales entre patients qui ont tant d'importance pour les homéopathes) ne sont pas justement ce qui permet d'augmenter ou de diminuer cet effet. Quand on sait que des classes entières de médicaments (comme beaucoup d'antidépresseurs) sont à peine, pour le dire poliment, plus efficaces qu'un placebo, on a le droit de rire.
Les études contre placebo, dites en double aveugle, sont aujourd'hui présentées comme le nec plus ultra de la démarche scientifique dans un nombre croissant de do-maines (des médicaments à la psychanalyse, en passant par les électrosensibles). C'est une illusion : elles signent plutôt notre incapacité à explorer positivement les raisons pour lesquelles les patients cherchent, par exemple avec l'homéopathie, à guérir. Elles sont le symptôme de nos ignorances scientifiques.
Laissons les homéopathes et ceux qui sont satisfaits de leurs remèdes trouver les moyens d'explorer les raisons de leur bonheur. Ce n'est pas en leur déclarant la guerre qu'on les aidera à le faire de façon intelligente et créative.
Philippe Pignarre
© Le Monde

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