Des cris de joie, des banderoles déployées dans la nuit romaine par des parlementaires du Mouvement 5 étoiles, tandis que les ministres apparaissent au balcon du palais Chigi, siège de la présidence du conseil, pour saluer la foule : la scène, immortalisée par une nuée de caméras, a quelque chose d'irréel. A vrai dire, il est peu probable qu'un document de programmation budgétaire ait déjà, par le passé, suscité un tel enthousiasme. Quelques minutes plus tôt, après des heures de négociations houleuses, le gouvernement italien est parvenu à s'entendre sur un objectif de déficit public de 2,4 % du produit intérieur brut (PIB) pour son futur budget 2019, ainsi que pour les deux années suivantes.
" Nous faisons du bien à l'Italie et aux Italiens ", a assuré le président du conseil, Giuseppe Conte, tandis que ses deux vice-premiers ministres, Matteo Salvini (Ligue, extrême droite) et Luigi Di Maio (Mouvement 5 étoiles – M5S –, antisystème) saluaient la naissance du
" budget du changement ". Sur les réseaux sociaux, le chef de file du M5S, en première ligne depuis plusieurs jours dans la bataille contre le ministre de l'économie, Giovanni Tria, et les fonctionnaires du Trésor, allait encore plus loin :
" Aujourd'hui est un jour historique. Aujourd'hui, l'Italie a changé. "
Peu de marge de manœuvreDe fait, si les mesures adoptées sont très en deçà des engagements figurant dans le
" contrat de gouvernement ", conclu en mai, entre les deux partenaires du gouvernement, elles sont loin d'être négligeables. 10 milliards d'euros seront consacrés au lancement du
" revenu de citoyenneté " de 780 euros par mois, qui devrait concerner dans un premier temps les retraités sous le seuil de pauvreté. La réforme des centres pour l'emploi, préalable indispensable à la mise en place de la mesure, sera, elle aussi, lancée dès 2019.
Dans le même temps, la baisse des impôts sera engagée, d'abord en direction des petites entreprises, et 15 milliards d'euros d'investissements sont programmés pour les trois prochaines années. La révision de la réforme des retraites de 2011 (loi Fornero) est, elle aussi, sur les rails : 400 000 personnes pourront partir à la retraite plus tôt. Pour faire rentrer un peu d'argent frais, la
" paix fiscale ", sorte d'amnistie ne disant pas son nom, a été annoncée pour les créances fiscales n'excédant pas 100 000 euros.
M. Tria, qui pesait depuis plusieurs semaines de tout son poids pour que le déficit soit limité à 1,6 %-1,8 % du PIB, a dû s'incliner. Mais il ne démissionnera pas pour autant, même s'il sort affaibli de cette épreuve. Selon plusieurs indiscrétions, le président de la République, Sergio Mattarella, l'a appelé dans la soirée pour lui demander de rester en place, au nom de l'intérêt national.
Certes, le dérapage budgétaire annoncé par l'Italie reste très inférieur à ce que claironnaient il y a quelques semaines encore les dirigeants du M5S et de la Ligue, affirmant vouloir s'affranchir de la règle européenne des 3 % du PIB, mais il reste considérable. Le document de programmation budgétaire établi par le précédent gouvernement de centre gauche tablait en effet sur 0,8 % de déficit pour 2019, et un retour à l'équilibre en 2020. Cette perspective est désormais renvoyée à un futur très incertain.
En affichant un tel objectif, le gouvernement italien défie clairement la Commission européenne, qui doit donner son feu vert, et s'expose à une forte réaction des marchés. Jusqu'ici, la présence de M. Tria, un universitaire sans étiquette jugé modéré, apaisait les investisseurs.
" Même s'il reste à son poste, sa crédibilité en a pris un coup, et sa présence au gouvernement ne sera plus aussi rassurante qu'elle l'était jusqu'ici ", résume Jack Allen, chez Capital Economics.
Car voilà : à 131 % du PIB, soit plus de 2 300 milliards d'euros, l'Italie affiche aujourd'hui l'endettement public le plus élevé de la zone euro en valeur absolue. Cela laisse très peu de marge de manœuvre au gouvernement.
" Les inquiétudes sur la dette devraient pousser les taux souverains à la hausse ", pronostique M. Allen. Selon lui, les taux à dix ans devraient grimper à 3,5 % d'ici à la fin de l'année. Ils ont déjà commencé : vendredi 28 septembre au matin, ils évoluaient autour de 3,084 % contre 2,888 % la veille, tandis que la Bourse de Milan plongeait de 2 % quelques minutes après l'ouverture.
Le fameux " spread ", l'écart entre les taux à dix ans allemand et italien, considéré comme le baromètre du risque sur les marchés, s'est lui aussi tendu. Il était de 260 points de base vendredi matin, en nette hausse, loin des 130 points de base affichés début 2018. Il risque de grimper encore ces prochains jours, renchérissant les coûts auxquels l'Italie se finance. Interrogé il y a quelques jours sur ce risque, M. Di Maio l'a balayé d'un revers de manche :
" Nous expliquerons aux marchés qu'il y aura tellement d'investissements en plus et que nous pourrons ainsi faire croître l'économie comme nous le voulons. "
Faiblesses structurellesUn autre point soulève les inquiétudes : la crédibilité de la cible de 2,4 % affichée pour le déficit. Vendredi 28 au matin, le -gouvernement n'avait pas encore dévoilé ses hypothèses de croissance, essentielles pour estimer le sérieux du projet. Or, le financement des ambitieuses mesures annoncées paraît déjà difficile. Et peu d'entre elles semblent répondre vraiment aux faiblesses structurelles du pays.
Certes, le revenu citoyen devrait soutenir la consommation des ménages.
" Mais cela pourrait se traduire par une dégradation du commerce extérieur si, dans le même temps, la hausse du déficit n'est pas utilisée pour redresser l'investissement des entreprises et la productivité trop faible ", explique Patrick Artus, chez Natixis, dans une note sur le sujet.
Le projet de budget détaillant les mesures et leur financement permettra d'y voir plus clair. Il doit être envoyé à la Commission européenne avant le 15 octobre, pour avis, avant d'être adopté par le Parlement italien d'ici à fin décembre. Avant cela, les agences de notation Standard & Poor's et Moody's réviseront la note du pays.
" La probabilité d'une dégradation est élevée, et elle pourrait déclencher une nouvelle hausse des taux ", redoute Camille Neuville, chez Natixis.
Jérôme Gautheret, et Marie Charrel (à PAris)
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