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mercredi 22 août 2018

Luc Montagnier le virus de la controverse


19 août 2018

Luc Montagnier le virus de la controverse

De la lumière à l'ombre Le professeur, Prix Nobel de médecine en 2008 pour avoir découvert le virus du sida, a connu la gloire. Depuis ses prises de position radicales, notamment contre les vaccins obligatoires, ses collègues l'ont brocardé. On moque son " naufrage " ? Qu'importe, il persiste et multiplie les combats

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Le vieil homme est en colère. Bien loin du placide professeur Luc Montagnier que nous avions longuement interrogé, en  2008, à l'occasion d'une enquête pour Le Monde sur les bisbilles opposant les découvreurs du virus du sida. A l'époque, il plastronnait tranquillement, écartant quolibets et reproches. Il venait de recevoir l'onction du prix Nobel de médecine. Et l'Histoire ne retient que les vainqueurs. On lui reprochait, déjà, d'avoir manigancé, pactisé, écarté, afin d'être enfin nobélisable ? Il détournait les flèches, argumentait, d'une voix sereine…
Dix années plus tard, il a du mal à marcher. La gloire s'est effilochée. Il cumule les articles déplaisants, on se moque de son " naufrage " ou de sa " dérive "… II nous reçoit dans le jardin de sa maison massive du Plessis-Robinson, dans les Hauts-de-Seine, en banlieue parisienne. L'antique guimbarde de sa mère trône sur la pelouse, devant la marquise défraîchie. La bâtisse date de 1872, elle a dû avoir un cachet fou, mais elle accuse le poids des ans. Comme son propriétaire, qui, à 85 ans, se remet doucement d'une maladie nosocomiale transmise lors d'une intervention chirurgicale à l'hôpital. " Je ne veux accuser personne, mais ces problèmes médicaux à répétition, ça fait beaucoup ", lance doucement le professeur Montagnier, qui se vit régulièrement en victime.
C'est ainsi, le vieil homme est en colère, et un brin paranoïaque. Pour l'approcher, il a fallu promettre par mail de ne pas être aux mains des laboratoires pharmaceutiques ou des lobbys médicaux, jurer de ne pas déformer ses propos… Car Luc Montagnier est aujourd'hui un paria. Le milieu médical français affirme qu'il l'a bien cherché. Lui se repaît de ses multiples interventions à l'étranger où le prestige d'un Nobel l'emporte sur le reste. Ça l'agace profondément, malgré tout, d'être tant méprisé dans son pays.
Les attaches se défont doucement, un peu partout. Les quatre sociétés détenues par le professeur Montagnier en France ? A l'agonie. " J'ai dû fermer Nanectis et Eradma à cause de charges salariales trop lourdes et de manque de capitaux ; et pour Mondavit, le partenaire est décédé. " Seule Neuro-LM persévère, grâce à un brevet pris avec l'Inserm sur le traitement antibactérien de l'autisme – on y reviendra.
La Fondation mondiale recherche et prévention du sida, qu'il présidait, hébergée par l'Unesco depuis 1993 ? " On a mis des serrures sur mes bureaux, je ne peux plus y aller !, s'indigne le vieux professeur. Et la directrice générale, Audrey Azoulay, a refusé de me recevoir, à plusieurs reprises. C'est d'une lâcheté… Elle a agi sur ordre ! " Vérifications faites auprès de l'Unesco, le bail de location d'un bureau de 119  m2 a été résilié le 15  août 2017, car la fondation Montagnier devait 205 901  euros d'arriérés. La fondation demeure toutefois reconnue par l'Unesco jusqu'en  2020, et si, en janvier, le professeur Montagnier a bien tenté de rencontrer Mme Azoulay, celle-ci a prudemment préféré rester à l'écart du contentieux.
106 académiciens s'insurgentIl lui reste une fondation à son nom, à Genève, sise dans un institut médical, où les gynécologues côtoient les psychiatres. " Je renais de mes cendres en Suisse. Là-bas, il y a une liberté, aucun vaccin n'est obligatoire ", dit-il. Comment Luc Montagnier a-t-il pu redescendre aussi brutalement la rampe de la renommée ? Rappelez-vous, quand même, en  2008, le déjà lauréat du prix Lasker (1986), récompensant des personnalités s'étant distinguées dans la recherche médicale, décroche le Graal, à Stockholm : le prix Nobel, pour avoir découvert, un quart de siècle auparavant, le VIH. Montagnier change de dimension. On se l'arrache. Il a découvert le virus du sida, il a mis son nom sur une belle quantité de brevets – et l'Institut Pasteur a si bien verrouillé le processus que le retraité vit encore aujourd'hui, trente-deux ans après, des revenus de ses découvertes… Le professeur Montagnier est célébré, il engrange les collaborations rémunératrices, parcourt les congrès, enseigne à New York, intègre l'Académie des sciences…
Puis, très vite, il commence à fâcher. D'abord, après avoir longtemps été dubitatif, il soutient la théorie controversée de la " mémoire de l'eau ", mise au jour par son ami Jacques Benveniste. " Je crois à la mémoire de l'eau, car je la vois, j'ai été convaincu par mes propres expériences ", clame-t-il. Il décèle la présence de nanostructures induites par l'ADN, parle d'" eau informée ", estime que les Africains auraient moins de problèmes avec le sida s'ils avaient une nourriture plus équilibrée, propose de guérir le pape Jean Paul II avec de la papaye fermentée, pense possible de soigner l'autisme avec des antibiotiques, s'attaque aux racines de la maladie de Lyme…
Et " l'apothéose " survient lorsqu'il décide de lancer une croisade contre les onze vaccins obligatoires prescrits par le gouvernement français. Le signe d'un esprit fertile ? Perturbé, plutôt, à en croire l'ensemble de la communauté médicale. Les pétitions de scientifiques galonnés se succèdent pour contredire le professeur Montagnier. Fait rarissime, en novembre  2017, 106 académiciens dénoncent publiquement les dérives de l'un des leurs. Dans un texte d'une violence inédite, ils accusent : " Nous, académiciens des sciences et/ou académiciens de médecine, ne pouvons accepter d'un de nos confrères qu'il utilise son prix Nobel pour diffuser, hors du champ de ses compétences, des messages dangereux pour la santé, au mépris de l'éthique qui doit présider à la science et à la médecine. " Les signataires se disent scandalisés par les affirmations de Luc Montagnier à l'encontre de toutes les études concluant à la nécessité pour les enfants d'être vaccinés. Pas de quoi déstabiliser le vieux professeur.
Au contraire. " Je sais, on me dit atteint de “nobélite”, cette maladie qui pousse les Prix Nobel à donner leur avis sur tout et n'importe quoi ", râle-t-il. Lui revendique avoir toujours été le même. Simplement, la célébrité est passée par là. " Le prix Nobel m'a donné ma liberté de pensée, et j'en use, mais mes théories sont basées sur des faits scientifiques ", prétend-il. Prenez son combat contre l'autisme – " une maladie qui me touche, elle détruit l'enfant et la famille ", dit-il. " J'ai pensé, c'est une hypothèse, qu'elle avait des souches organiques et infectieuses. Bientôt, toute la population mondiale sera touchée. " Il se prend une volée de critiques ? " Cette maladie est dans les mains, je devrais dire les crochets, des psychiatres ",assure-t-il. Toujours l'emprise du système de la " peur " qu'il devine omniprésent, sans craindre de verser dans le complotisme…
Tant pis, il persiste : " Les gens ne raisonnent plus en termes de faits, mais de carrière, c'est une perversion. C'est valable pour les chercheurs, les journalistes… " Mais, à l'en croire, pas pour lui. " Je vieillis, mais mon cerveau est intact. Mes activités me tiennent en vie ", soutient le vieux professeur désinhibé. Il est désormais en recherche permanente d'une lutte.
Sa dernière marotte, ce sont les vaccins, donc. Sur les onze vaccins obligatoires, il en accepte trois, et va jusqu'à qualifier les autres de " criminels ". Les grandes institutions médicales crient au charlatanisme ? Il insiste : " Je ne suis pas contre tous les vaccins, je pense simplement que, sur les systèmes immunitaires affaiblis, certains créent des effets indésirables. Et un seul enfant tué, c'est trop. Mais comme c'est une mesure d'utilité publique, on passe à la casse les cas minoritaires. "
D'autres ennemis, encoreSes outrances lui valent de perdre ses derniers soutiens. On ne le voit plus nulle part. L'opprobre est généralisé, la marginalisation, constante. Sans parler, à l'en croire, des menaces, insidieuses : " Je crains pour moi, même si mon Nobel me protège. Il y a une sorte de cartel en face, l'industrie pharmaceutique est à court de renouvellement. Or, je suis l'homme qui fait peur. Le message est simple : “Montagnier vieillit, il déconne.” Mais je suis un innovateur. Et si je me remets en cause, je crois en mes expériences et en mes collaborateurs. Les faits sont là, mais les Français gobent tout. " Comprendre : tout ce que les pouvoirs publics avancent.
Et tant pis si le milieu scientifique le considère comme un vieux fou, et moque ses fameuses expériences, jugées au mieux irréalistes, au pire délirantes. Ses confrères se détournent, sa co-Nobel Françoise Barré-Sinoussi, le brocarde. Montagnier était la référence, il est devenu la risée.
Il est toujours en avance d'un conflit à déclencher. Il s'apprête à ouvrir un nouveau front : " Avec ses herbicides, l'agriculture industrielle change l'environnement mondial, nous sommes imprégnés des bactéries qui sautent de l'animal à l'homme, un circuit s'installe… " Il va se faire des ennemis, d'autres, il en reste toujours, quelque part… " Je n'aime pas être traîné dans la boue ", se plaint-il pourtant, sans convaincre.
Les publications scientifiques ne trouvent plus grâce à ses yeux : " La science se nourrit d'elle-même, le contrôle des publications se base sur des faits qui sont faux. Moi, je ne prends pas tout pour parole d'Evangile, je me méfie même de mon indépendance d'esprit ! "
De toute façon, Prix Nobel il est, Prix Nobel il restera, n'en déplaise à tous. " Je n'ai pas à rougir de mon parcours, ni de ce que je fais actuellement. La découverte du virus du sida a sauvé des millions de gens. J'ai un pouvoir, je suis reconnu, donc ça peut durer. "
Gérard Davet, et Fabrice Lhomme
© Le Monde

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