Jusqu'ici tout va bien pour le gouvernement italien. Deux mois après son arrivée aux affaires, la coalition " gialloverde " – jaune et vert, comme les couleurs de ses deux composantes, le Mouvement 5 étoiles (qui se veut " anti-système ") et la Ligue (extrême droite) – continue à jouir d'une très large popularité auprès de l'opinion publique italienne. Dans les sondages, le discret Giuseppe Conte, président du Conseil, culmine à 60 % d'opinions favorables, tandis que ses deux vice-premiers ministres, Luigi Di Maio et Matteo Salvini, tournent autour de 50 %.
Un état de grâce plutôt solide, qui s'explique aisément : les premières mesures prises par le gouvernement Conte sont particulièrement populaires. L'intransigeance de Matteo Salvini en matière migratoire, ainsi que son discours volontiers xénophobe et identitaire, sont appréciés par une large part de la population.
Et sa fermeture des ports italiens aux ONG est saluée comme un geste de bon sens, après une campagne d'opinion qui a persuadé une majorité des Italiens que les organisations humanitaires étaient complices des trafiquants d'êtres humains. Aujourd'hui, son parti, la Ligue, est crédité d'environ 30 % d'intentions de vote, soit 13 points de plus que le résultat obtenu au soir du 4 mars, qui avait déjà été jugé comme une performance exceptionnelle.
Du côté de l'autre partenaire de la coalition, le Mouvement 5 étoiles (M5S), la situation est plus contrastée. En grande partie parce que la nature du programme politique porté par ce mouvement anti-système inclassable, qui ambitionne rien moins qu'une refondation complète de la démocratie italienne, fait que ses objectifs sont plus complexes à atteindre, et difficiles à évaluer.
Ainsi en est-il du " Décret dignité " : élaboré par le ministre du travail et du développement économique, Luigi Di Maio, il se veut une réponse au " Jobs Act " promulgué par le gouvernement de centre gauche de Matteo Renzi, en 2015. Ce texte a contribué à la création de 1 million d'emplois en trois ans mais ses détracteurs affirment qu'il a surtout augmenté la précarité en facilitant le recours aux contrats temporaires.
Nombre d'économistes soulignent le risque d'une explosion du chômage et d'une fuite des investisseurs étrangers, mais à court terme, l'opinion applaudit : 73 % des Italiens soutiendraient la mesure, selon un sondage effectué pour la chaîne Sky TG24.
Coûts stratosphériquesQuant à deux mesures très médiatisées comme la baisse drastique de la retraite des députés et la mise au rancart de l'avion de la présidence du Conseil, dont l'effet macroéconomique est quasi-nul, elles sont approuvées par la base des sympathisants du M5S. A leurs yeux, le coût de la politique est une question centrale, au point d'excuser l'alignement du mouvement sur les positions extrémistes de la Ligue en matière d'immigration.
Dans les sondages, le M5S est loin d'être en perte de vitesse. Tout juste observe-t-on un léger tassement : le mouvement, qui avait obtenu 32 % des suffrages, est désormais crédité d'environ 30 % d'intentions de vote.
Toutes ces mesures sont populaires, donc, mais elles ont également un autre point commun non négligeable, celui de ne pas coûter grand-chose. Il en ira différemment des trois dossiers majeurs sur lesquels le gouvernement est attendu : la très onéreuse remise à plat de la réforme des retraites décidée en 2011, sous la pression des marchés financiers (loi Fornero), sur laquelle les deux composantes de la majorité sont sur la même longueur d'onde, l'instauration d'une " flat tax " en lieu et place de l'impôt sur le revenu, voulue par la Ligue, et celle d'une ébauche de revenu universel, le " revenu de citoyenneté ", voulu par le Mouvement 5 étoiles.
Trois promesses de campagne parfaitement inconciliables, aux coûts stratosphériques (elles ont été chiffrées à plus de 100 milliards d'euros), et qui ont en commun de conduire, à terme, à un inéluctable affrontement avec l'Europe et les marchés financiers. Le moment de vérité est attendu pour cet automne, avec la préparation du budget 2019.
Avant de partir en vacances, -Giuseppe Conte a annoncé, vendredi 3 août, que les arbitrages budgétaires en vue du budget 2019 avaient été rendus, et qu'ils seraient annoncés en septembre. Ce flou n'a pas vraiment rassuré les marchés financiers. Ces derniers jours, le
spread (" écart ") entre les taux des emprunts à dix ans italiens et allemands, habituel indice de l'opinion des marchés sur les politiques suivies par l'Italie, est remonté en flèche pour dépasser les 250 points de base. Un niveau très préoccupant, qui aura pour effet de renchérir de plusieurs milliards d'euros, en année pleine, les futurs emprunts que l'Etat italien sera amené à souscrire, et donc de restreindre encore les marges de manœuvre du pays.
Pour l'heure aucune annonce concrète n'a été faite, et le ministre de l'économie, Giovanni Tria, a pu présenter à Bruxelles, fin juin, un document pluriannuel prévoyant une réduction du déficit à 0,9 % du PIB en 2019, puis même un retour à l'équilibre en 2020, sans être démenti par Matteo Salvini ou Luigi Di Maio. Reste que ces derniers persistent à défendre, auprès de l'opinion italienne, une tout autre direction : interrogé depuis son lieu de vacances par
La Stampa, le ministre de l'intérieur, Matteo Salvini, a ainsi déclaré que le gouvernement
" ferait tout pour ne pas augmenter le déficit ".
Tout en précisant immédiatement que
" s'il s'agit d'aider les entreprises et les familles, les contraintes européennes peuvent être surpassées. La règle des 3 % n'est pas la Bible ", réaffirmant ainsi au passage sa confiance en l'économie italienne. Dans un autre entretien, pour
Il Foglio, il confiait :
" En ce moment notre monnaie est l'euro et je raisonne avec la monnaie que nous avons, mais dans la vie rien n'est irréversible. "
Une crise majeure à l'automne semble inéluctable. Mieux : la Ligue semble l'attendre, tout à sa volonté d'incarner la révolte des peuples d'Europe contre Bruxelles. De son côté, le M5S, paraît plus hésitant et envoie depuis plusieurs semaines des signaux plus conciliants en direction des partenaires européens de l'Italie.
Reste que les deux composantes de la majorité se mettent en ordre de bataille. Les divergences entre la Ligue et le M5S sur certains grands travaux, comme le tunnel Lyon-Turin – dont le sort tient à de nouvelles conciliations avec la France – ne sont pas tues, mais tout semble fait pour les aplanir. Dans la tempête, la cohésion de la majorité sera essentielle.
La bataille de l'opinionComptera aussi plus que tout la bataille de l'opinion. C'est à ce titre que l'affrontement sanglant engagé depuis des semaines pour la direction de la RAI, l'audiovisuel public italien, est capital. Après s'être entendu sur le nom d'un journaliste, Marcello Foa, proche de la sensibilité anti-européenne et prorusse de Matteo Salvini (et dont le fils est conseiller de communication du ministre de l'intérieur), le gouvernement n'a pas obtenu la majorité qualifiée des deux tiers au " conseil de vigilance " de l'institution, rassemblant 40 parlementaires désignés de façon proportionnelle au poids de chaque parti au Parlement.
La Ligue a décidé de passer outre, et entend maintenir son candidat, qui de fait peut occuper ce poste… en tant que membre le plus âgé du conseil d'administration. Cette solution, certes peu orthodoxe, a aux yeux du gouvernement un avantage : celui de pourvoir aux nominations des directions des différentes rédactions du groupe. Alors qu'une guerre de tranchées se profile, il est crucial de contenir le plus possible les foyers de contestation à l'arrière du front.
Jérôme Gautheret
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