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jeudi 2 août 2018

HOMMAGE et MEMOIRE - Michel Butel Ecrivain et patron de presse

HOMMAGE et MEMOIRE

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1er août 2018Jacques Wirtz

Michel Butel

Ecrivain et patron de presse

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Ecrivain, patron de presse, traducteur, activiste, Michel Butel, mort à Paris, d'une septicémie, le 26  juillet, à 77 ans, ne pouvait être assigné à aucun des rôles qu'il a occupés, et sa disparition ne va pas simplifier la tâche : le mystère demeure, pour toujours désormais. Celui d'une énergie dévorante, jamais satisfaite, attisée par le désir de se créer une place qui ne lui a jamais été octroyée. Moyennant quoi, il l'a inventée, puis, à l'infini, multipliée.
Il naît à Tarbes (Hautes-Pyrénées) le 19  septembre 1940, enfant juif sous l'Occupation qu'on doit dissimuler chez ses grands-parents, en Isère. Sa mère est avocate, son père sera des fondateurs de la Sécurité sociale. De retour à Paris, à la Libération, l'enfant entre à l'Ecole alsacienne. Son chemin de jeune bourgeois semble tracé. Mais, déjà, rien ne se passe comme prévu. C'est dans un institut psychopédagogique, où, dira-t-il, il a été placé pour avoir mis le feu au cabinet de son médecin, que le futur directeur de L'Autre Journal crée, à 12 ans, son premier journal. Il quitte l'établissement à 14 ans, décide de ne pas rentrer chez lui, arrêtant ses études et commençant une vie errante, improvisée.
Il milite, au début des années 1960, pour l'indépendance de l'Algérie, entre à l'Union des étudiants communistes. L'air du temps est à la révolution : il est révolutionnaire, manière comme une autre d'assouvir son désir d'inédit. Mais quand, en  1975, Bernard-Henri Lévy lui propose de participer à la création d'un quotidien, L'Imprévu, il ne peut résister, quand bien même l'entreprise apparaît proche du Parti socialiste haï – François Mitterrand est à la " une " du premier numéro –, ce qui lui vaut quelques rancœurs chez ses camarades.
Prix Médicis en 1977C'est un échec retentissant, au bout de onze numéros. Mais l'appétit pour la presse s'est réveillé. Et Michel Butel va devenir virtuose dans l'art d'encaisser les coups, disposition qui permet bien des aventures. Entre-temps, néanmoins, il a autre chose à accomplir : devenir écrivain. Ce qu'il fait, avec éclat, en  1977, quand il reçoit le prix Médicis pour son premier roman, L'Autre Amour (Mercure de France), " une intrigue de Gérard de Villiers écrite par Alain-Fournier ou Gérard de Nerval ", selon le critique du MondePaul -Morelle. Il publie un nouveau roman, La Figurante (Mercure de France, 1979) et traduit des pièces d'Arthur Schnitzler. Puis plus rien, pendant près de vingt ans. Il faut dire qu'au début des années 1980, la vie s'accélère. Son œuvre enfle d'un coup, moins faite de livres que de journaux, dès lors créés en cascade.
En juin  1983, il entre à la rédaction des Nouvelles littéraires, dont il devient rédacteur en chef du service Culture. L'hebdomadaire s'essouffle. Michel Butel apparaît à l'actionnaire principal, Max Théret, cofondateur de la Fnac, comme l'homme de la situation. Il le sera tellement que la nouvelle formule mensuelle qu'il élabore à sa demande, lancée en décembre  1984 sous le titre L'Autre Journal, s'impose vite comme le titre emblématique de la décennie, l'un des lieux où la France peut observer, et vivre plus intensément, ses propres métamorphoses.
Michel Butel, qui finit par prendre, avec l'aide d'amis, le contrôle financier de la publication, publie sur plus de deux cents pages des textes hybrides, rétifs aux codes. L'écrivain Sélim Nassib, qui, avant de le rejoindre, était journaliste à Libération, résume : " Il m'a dit que je pouvais faire tout ce que je voulais sauf ce que je faisais avant. C'est comme ça que L'Autre Journal était réellement autre. " Sont de l'aventure Claire Parnet, Hervé Guibert, Gilles Deleuze, Isabelle Stengers, Michel Foucault ou Marguerite Duras, dont le mensuel publiera les entretiens avec François Mitterrand.
Le goût du risqueLe succès n'empêche pas les vicissitudes, surtout quand on veut faire toujours plus long, plus beau, plus neuf. En juillet  1986, le journal cesse de paraître après une tentative périlleuse de passage au rythme hebdomadaire. Ressuscité quatre ans plus tard, il s'arrêtera définitivement en mai  1992. Michel Butel repart tout de suite à l'assaut. Il lui faut sept mois pour lancer, en décembre de la même année, un nouvel hebdomadaire, Encore, qui s'arrête après quelques numéros, en février  1993, bientôt remplacé par L'Azur, quatre pages hebdomadaires, entièrement de sa main (1994-1995).
" Il aimait bâtir des maisons, mais vivre dedans ne l'intéressait pas ", commente Sélim Nassib. Les onze ans qui viennent de s'écouler sont probablement les plus heureux de cette vie qui semble d'ailleurs s'être tenue à bonne distance de la mélancolie. Sauf de celle qui naît quand le mouvement, le risque s'éloignent. Au tournant du siècle, le rythme ralentit. La santé de Michel Butel, qui a toujours été asthmatique, se dégrade.
Il revient à la littérature, publie L'Autre Livre en  1997 (Le Passant), puis, en  2004,L'Enfant (Melville). Il annonce, en quatrième de -couverture, que L'Autre Journal va reparaître. Mais rien ne se passe. Il faut attendre encore. Pour -patienter, remuer des idées, même en l'air, demeure un recours efficace ; l'agitation, la -provocation aussi. En janvier  2011, il se porte candidat à la direction du Monde. Ses chances de réussir sont de l'ordre du conte de fées. Quelle meilleure raison d'y aller ?
C'est en mars  2012 seulement qu'un nouveau mensuel, le dernier, voit le jour :L'Impossible, qui s'arrête dès 2013. Il se vendait peu, et les ennuis de santé du -fondateur ne cessent pas. Il a 73 ans. La fatigue gagne. Mais le désir est toujours là, tonitruant, indestructible. " Trois semaines avant sa mort, il me disait encore : “Il est temps de lancer un journal, tu ne crois pas ?” ", témoigne -Sélim Nassib.
Michel Butel était de ces hommes que rien n'arrêterait s'ils n'étaient, justement, des hommes ; s'il n'y avait la mort au bout. Il écrivait, en tête du premier numéro deL'Impossible : " Nous avons inventé ce petit -objet pour les nuits blanches et pour les jours sans fête. "
Le temps de le relire, d'ouvrir à nouveau les objets incongrus, baroques, vifs, qu'il aura toute sa vie arrachés à l'ordre ennuyeux des choses, est sans doute venu.
Florent Georgesco
© Le Monde

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