Translate

mardi 7 août 2018

De nouveau sous sanctions, l'Iran est amer...

7 août 2018

De nouveau sous sanctions, l'Iran est amer

Cible de l'administration Trump, le pays, qui avait cru à l'accord sur le nucléaire, s'enfonce dans la crise

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
LE CONTEXTE
sanctions
Les Etats-Unis se sont retirés en mai de l'accord sur le nucléaire iranien signé en 2015, annonçant vouloir exercer une " pression maximale " sur l'Iran à travers de nouvelles sanctions. Une première vague de nouvelles sanctions entrera en vigueur mardi à 0 h 01 heure de Washington. Elle inclura des blocages sur les transactions financières et les importations de matières premières, ainsi que des sanctions sur les achats dans le secteur automobile et l'aviation commerciale. Une deuxième phase de sanctions s'appliquera en novembre sur les secteurs pétrolier et gazier ainsi que sur la banque centrale.
manifestations
Des manifestations se sont produites dans plusieurs villes d'Iran pour une cinquième soirée d'affilée, samedi, alors que le pays tente de se préparer au rétablissement des sanctions économiques américaines. Vendredi soir, la police antiémeute était intervenue à Eshtehard, à une centaine de kilomètres à l'ouest de Téhéran, pour disperser quelque 500 manifestants qui chantaient des slogans hostiles au gouvernement et lançaient des pierres en direction d'un séminaire.
Les sanctions américaines contre Téhéran sont de retour et avec elles, un grand vent d'amertume souffle à nouveau sur la société iranienne qui fait le deuil des espoirs suscités par l'accord sur le nucléaire de 2015. Début mai, dans le cadre du retrait des Etats-Unis de l'accord qui suspendait lesdites sanctions, une période transitoire de quatre-vingt-dix jours avait été fixée. Celle-ci expirant lundi 6  août, un premier volet visant les transactions bancaires, le secteur de l'automobile et l'aéronautique civil entrera en vigueur mardi. Le 4  novembre, de nouvelles sanctions frapperont la vente de pétrole iranien.
Nombreux désormais sont les électeurs qui regrettent d'avoir porté au pouvoir le président modéré Hassan Rohani, dont le mandat devait être celui du désenclavement de l'économie iranienne. Les déclarations de son homologue américain, Donald Trump, qui se disait " prêt " à rencontrer les dirigeants iraniens " sans précondition "balayées par les autorités et ignorées par la population, n'ont pas dissipé la morosité ambiante. Certains appellent bien leur gouvernement à accepter la main tendue du président américain mais la majorité de l'opinion ne se fait guère d'illusions. " L'Iran, et son économie, va très mal, et vite ! Je rencontrerai ou ne rencontrerai pas, qu'importe – c'est à eux de voir ! ", a de nouveau nargué le locataire de la Maison Blanche samedi sur Twitter.
Pour le jeune entrepreneur Mohammad Reza Azali, 30 ans, ainsi que pour beaucoup d'Iraniens de sa génération, l'excitation des mois qui ont suivi l'accord de 2015 n'est plus qu'un lointain souvenir. A cette période, il avait lancé TechRasa, le premier média iranien en anglais consacré uniquement à l'actualité du numérique et du secteur des start-up du pays, alors en pleine effervescence. " A l'époque, nous pensions que l'Iran allait s'ouvrir sur le monde, surtout économiquement, se souvient-il. Au début, nous accueillions dans nos locaux toutes les semaines des invités étrangers et menions des études de marché pour les sociétés, notamment européennes, qui envisageaient d'investir en Iran. L'enthousiasme était tel que presque 50  % des investissements dans les start-up iraniennes venaient de l'étranger. "
Mais le retrait unilatéral de Donald Trump de l'accord sur le nucléaire en mai a mis fin à cette euphorie. " Les investisseurs étrangers ne montrent plus d'intérêt pour le marché iranien à cause des sanctions américaines qui ont un caractère extraterritorial,précise M. Azali. Un bon nombre de start-up iraniennes ont déjà mis la clé sous la porte ou renvoyé une partie de leurs employés. Cette tendance ne va pas s'inverser. "
Alors que le président Rohani continue de menacer de sortir à son tour de l'accord si les intérêts de l'Iran ne sont pas respectés, les autres signataires du texte, notamment les Européens, tentent de rassurer la République islamique. Ils ont d'ores et déjà présenté un " package " à Téhéran contenant leurs offres, dont une loi de " blocage ", visant à contrer les effets des sanctions américaines sur les entreprises européennes voulant investir en Iran, et un mandat élargi de la Banque européenne d'investissement pour soutenir les investissements européens.
Dans le climat d'incertitude concernant l'avenir de l'accord, le marché des devises est frappé par une crise  grave : depuis le mois de février, le rial a perdu 57  % de sa valeur face au dollar. Le billet vert s'échange à 107 000 rials, contre 45 000 six mois plus tôt. L'établissement d'un taux de change fixe avec le dollar et un encadrement strict de l'achat de devises étrangères n'ont pas eu l'effet escompté et ont donné lieu à des affaires de fraude et de corruption. Ces dernières semaines, des sociétés iraniennes ont empoché des millions d'euros en jouant sur le différentiel entre le taux fixe obtenu auprès de l'Etat sous prétexte d'importer des marchandises de première nécessité et les taux pratiqués sur le marché noir.
" Crise du marché des devises "Ces révélations attisent la colère des Iraniens, dans une période où les autorités ne cessent de leur demander des sacrifices dont les Etats-Unis sont présentés comme responsables. Après une vague de manifestations en début d'année, certaines allées du grand bazar de Téhéran ont fait grève en juin pour protester contre la hausse des prix et la dépréciation du rial.
" Il est certain que les gens ont beaucoup moins de moyens, explique Reza (qui n'a pas communiqué son patronyme), propriétaire d'une usine de fabrication de tissu près de Téhéran. Avant, je vendais 30 tonnes de tissu par mois, contre 20 aujourd'hui. Les prix des fournisseurs ont augmenté et je ne cesse de réduire mes marges pour ne pas perdre davantage de clients. "
Malgré les critiques farouches dont font l'objet le gouvernement en général et ses ministres de l'économie et du travail en particulier, le président Rohani n'a, pour l'heure, montré aucune intention de remanier son cabinet, ce qui nourrit le mécontentement. Et ce alors que, un peu partout en Iran, les pénuries d'eau et la sécheresse poussent des citoyens à descendre dans la rue, notamment dans les zones du sud-ouest du pays riches en pétrole mais qui deviennent inhabitables et où l'exode rural est inévitable.
" J'espérais que l'optimisme qui a accompagné l'accord nucléaire et les politiques d'Hassan Rohani entraîneraient une reprise économique et une amélioration de la situation politique en Iran ", explique Sanam (qui préfère ne pas communiquer son nom de famille), docteure en droit de l'énergie.
" Mais le gouvernement a été extrêmement incompétent dans sa gestion de la crise du marché des devises, détaille Sanam. La situation économique est pire qu'avant la signature de l'accord. Les gens sont en train de perdre tout espoir. La corruption, ajoutée aux sanctions américaines et à l'insuffisance des mesures proposées par l'Europe, présage d'un avenir très sombre pour le peuple. "Sanam observe avec inquiétude le départ d'Iran des sociétés européennes impliquées dans les projets pétroliers, gaziers et pétrochimiques, dont le géant français Total.
Il n'est plus rare de voir sur les réseaux sociaux des Iraniens cherchant désespérément un compatriote installé à l'étranger qui pourrait acheter pour eux et leur envoyer certains médicaments qui ont disparu des pharmacies, rappelant les moments les plus critiques des années de sanctions, entre 2011 et 2013. Sahar, expatriée à Washington, envoie à son père resté au pays les médicaments nécessaires dans son combat contre le cancer : " Son traitement est devenu introuvable en Iran. Nous avons de la chance que je vive aux Etats-Unis ", dit-elle.
Manifestants peu nombreuxCe contexte tendu interroge sur la stabilité de la République islamique. Face à la stratégie de " regime change ", assumée à demi-mot, du président américain, le système joue-t-il sa survie ? A en croire la professeure de science politique irano-américaine de l'université d'Hawaï Farideh Farhi, " il est peu probable que les protestations actuelles toujours disparates se transforment en un mouvement sociopolitique menant à un changement important ".
Pour le moment, les manifestants n'ont pas de leader et sont peu nombreux. Contrairement à la vague de protestation survenue en  2009 contre la réélection de l'ancien président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad et demandant la tenue d'un nouveau scrutin, les manifestations en Iran aujourd'hui ne portent pas de revendication politique précise.
Hassan Rohani n'a jamais été aussi fragilisé depuis son élection en  2013. L'homme a tout fait pour obtenir l'accord nucléaire, et cela malgré les critiques de l'aile dure de la République islamique. Cette dernière pourra se vanter d'une grande victoire si l'accord est enterré. Ces jours-ci, certains adversaires du président Rohani vont jusqu'à appeler à son départ.
Mais le chef d'Etat dispose, selon Mme Farhi, d'un atout qui peut lui permettre de se maintenir au pouvoir : " Tous les acteurs politiques en Iran savent qu'il est la meilleure option pour faire face aux pressions extérieures. Limoger Rohani ou le neutraliser alors que l'Iran fait l'objet de pressions aggravera la crise politique et ternira l'image du pays. " Ce dont les élites iraniennes n'ont nullement besoin.
Ghazal Golshiri
© Le Monde


7 août 2018

Iran : Trump et la queue du lion

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Au-delà de ses Tweet en lettres majuscules et de ses rodomontades, le président des Etats-Unis a, plus souvent qu'on ne le dit, de la suite dans les idées – si aléatoires voire périlleuses soient-elles. Son contentieux avec l'Iran en témoigne. C'est, en effet, une guerre d'usure que Donald Trump a engagée avec Téhéran. Il la poursuit méthodiquement.
Guerre diplomatique, d'abord. Le candidat Trump n'avait pas eu de mots assez durs – un " torchon " – pour fustiger l'accord sur le gel et le contrôle du programme nucléaire iranien signé à Vienne, en juillet  2015, avec la République islamique par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (Etats-Unis, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne), auxquels s'était associée l'Allemagne. Le 8  mai, en dépit du respect avéré par les Iraniens des clauses de l'accord et des appels à la retenue émis par les Européens, il a donc décidé unilatéralement de se retirer de cet accord.
Guerre psychologique, ensuite. Ces dernières semaines, le ton est monté dangereusement entre Washington et Téhéran. Le 22  juillet, le président iranien, Hassan Rohani, mettait en garde les Etats-Unis : " L'Amérique devrait savoir que la paix avec l'Iran est la mère de toutes les paix et que la guerre avec l'Iran est la mère de toutes les guerres. " Réponse de Donald Trump, deux jours plus tard : " Ne menacez jamais plus les Etats-Unis ou vous paierez des conséquences comme peu en ont connu à travers l'Histoire. "
Guerre économique, surtout. Sortant de l'accord de Vienne, Washington a décidé de rétablir de façon graduée des sanctions à l'encontre de Téhéran, assorties d'efficaces menaces de rétorsion contre toute entreprise, européenne notamment, qui chercherait à les contourner. Depuis le 6  août, les blocages visent les transactions financières, les importations de matières premières et les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique. Ce n'est qu'un début : en novembre, ce sont les exportations de pétrole, vitales pour l'économie iranienne, qui feront l'objet du blocus américain. En outre, depuis le mois d'avril, la monnaie iranienne s'est dépréciée de plus de moitié par rapport au dollar, menaçant d'asphyxier plus encore Téhéran.
C'est donc le cœur de l'accord de Vienne qui est frappé : le président Rohani avait promis aux Iraniens l'ouverture économique et la prospérité retrouvée en échange du gel du programme nucléaire. Cet espoir est mort, à l'évidence. Les Iraniens l'ont bien compris, tant l'inquiétude est lourde et la nervosité palpable à Téhéran et dans de nombreuses villes du pays, où des manifestations sporadiques se sont développées depuis le début de l'année.
Reste que la suite est imprévisible. Trump voulait isoler l'Iran ? L'opération est en bonne voie. Escompte-t-il, dans la foulée, acculer Téhéran à renégocier un accord beaucoup plus dur et contraignant que celui de 2015 ? Les responsables iraniens ont, pour l'heure, écarté catégoriquement une telle éventualité. Espère-t-il déstabiliser, voire inciter au renversement du régime des mollahs ? Tout semble démontrer, au contraire, que celui-ci est en mesure de réprimer ou de juguler tout mouvement de révolte.
Plus sûrement, Washington entend faire admettre à l'Iran, selon les termes du secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, qu'il n'aura " plus jamais carte blanche pour dominer le Moyen-Orient ", par l'intermédiaire de ses milices au Liban, en Syrie, en Irak ou au Yémen. C'est risqué, a mis en garde le président -Rohani, de jouer dangereusement " avec la queue du lion ".
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire