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vendredi 23 mars 2018

Une loi contre les violences sexistes et sexuelles






22 mars 2018

Une loi contre les violences sexistes et sexuelles

Le texte alourdit la sanction en cas de relations sexuelles entre majeurs et moins de 15  ans

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Le texte est présenté par le gouvernement comme une réponse forte au mouvement de dénonciation des violences sexuelles subies par les femmes, qui s'est exprimé au travers des mots-clés #metoo et #balancetonporc sur les réseaux sociaux. Les voix les plus critiques dénoncent, au contraire, une loi de circonstance, faite de mesures disparates dictées par l'émotion suscitée par des faits divers retentissants.
La secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, et la ministre de la justice, Nicole Belloubet, présentent, mercredi 21  mars, en conseil des ministres, un projet de loi de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Même si le texte était déjà en -préparation quand l'affaire Weinstein a éclaté aux Etats-Unis, en novembre  2017, la coïncidence a servi le gouvernement, en lui fournissant un contexte favorable pour imposer des mesures pas toujours consensuelles.
L'interdit sur les relations sexuelles entre majeurs et moins de 15  ans renforcé C'est la mesure qui suscite le plus de débats. Elle découle de deux faits divers, qui ont vu des hommes adultes échapper à des poursuites ou à  des condamnations pour viol, alors qu'ils avaient eu des relations sexuelles avec des fillettes de 11 ans. Dans les deux cas, les juges ou les jurés ont considéré que les enfants étaient consentantes parce qu'elles ne s'étaient pas défendues. Un choc dans l'opinion.
D'où l'idée, portée par des associations de victimes de violences sexuelles, de fixer une limite d'âge sous laquelle un enfant est jugé trop immature pour consentir de façon éclairée à une relation sexuelle avec un adulte. L'objectif : marquer un interdit clair afin de protéger les mineurs, ne plus permettre aux tribunaux de poser la question de leur consentement.
Alors que le seuil de 13  ans semblait susceptible de recueillir un large assentiment, celui de 15  ans a dès novembre  2017 été préféré " à titre personneI " par le président de la République, Emmanuel Macron, ainsi que par Marlène Schiappa. Cette dernière envisageait que toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15  ans (donc jusqu'à 14  ans et 11  mois) soit considérée comme un viol, passible de vingt ans de prison, même en l'absence de menace, de violence, de contrainte ou de surprise.
Des magistrats ont mis en garde contre le risque de voir des jeunes majeurs condamnés après avoir eu des relations consenties avec un ou une mineure de 14 ans sur la seule base d'un élément matériel (l'acte sexuel), sans élément intentionnel. Le Conseil d'Etat a retoqué la mesure dans son avis du 13  mars sur le projet de loi. " Une personne mise en cause doit toujours pouvoir apporter la preuve qu'elle est innocente, observe Jacky Coulon, secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats. Sinon la disposition risque l'inconstitutionnalité. "
Afin d'écarter ce risque, le texte reformulé par le Conseil d'Etat maintient le seuil de 15  ans et -précise la notion de contrainte, déjà présente parmi les éléments constitutifs du viol. " Lorsque les faits seront commis sur la personne d'un mineur de - moins de - 15 ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ", énonce le projet de loi. -L'objectif, en insistant sur l'imma-turité des mineurs de moins de  15  ans, est de faciliter la -condamnation pour viol par un majeur, tout en écartant de pos-sibles -condamnations " auto-matiques ".
Cette disposition, d'application immédiate, risque de décevoir les associations de protection de l'enfance. Mais afin de donner un signal de fermeté, le texte joue sur un autre levier, le délit d'atteinte sexuelle. Ce dernier définit déjà en creux l'âge du consentement, en permettant de sanctionner en cas de plainte toute relation sexuelle, même consentie, entre un majeur et un mineur de moins de 15  ans. Le projet de loi renforce cet interdit, en ag-gravant la peine encourue en cas d'atteinte sexuelle si une -pénétration a eu lieu. Elle passera à dix  ans de prison, contre cinq  ans aujourd'hui.
Allongement des délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs La mesure fait également suite à plusieurs faits divers, en particulier la révélation, en octobre  2016, par l'animatrice Flavie Flament d'un viol subi à l'âge de 13  ans par le photographe David Hamilton, qui s'était suicidé quelques semaines plus tard. -Flavie Flament n'a pas porté plainte : au moment où elle a révélé les faits, elle avait 42  ans, alors que le délai de prescription est de vingt ans après la majorité.
La même année éclatait l'affaire du père Preynat, dont seule une minorité de victimes déclarées ont porté plainte, en raison de la prescription. De nombreuses associations réclament depuis l'imprescriptibilité pour les crimes et délits sexuels sur mineurs, en raison des longues années nécessaires à certaines victimes pour briser le tabou et parler, voire de l'amnésie traumatique de certaines d'entre elles.
La revendication d'imprescriptibilité a suscité une levée de boucliers, car cette disposition est aujourd'hui réservée aux crimes contre l'humanité. Les magistrats redoutent en outre qu'un allongement de la prescription ne donne de faux espoirs aux victimes, en raison de la disparition matérielle des preuves et de la détérioration des souvenirs des protagonistes et des éventuels témoins avec le temps. Une mission lancée en janvier  2017, pilotée par Flavie Flament et l'ancien magistrat Jacques Calmettes, est toutefois arrivée à un consensus sur l'allongement du délai de prescription à  trente ans après la majorité, mesure reprise dans le projet de loi.
Création d'une contravention d'outrage sexiste Sanctionner le harcèlement de rue faisait partie des promesses de campagne de M.  Macron. Des associations dénoncent depuis plusieurs années la pression qui pèse sur de nombreuses femmes dans l'espace public : interpellations insistantes, insultes, intimidations et poursuites, voire agressions sexuelles (mains aux fesses…). Au point que nombre d'entre elles modifient leur trajet, leur tenue, leurs habitudes pour y échapper.
" Il est important que les lois de la République disent qu'il est -interdit de menacer, d'intimider, de suivre des femmes dans la rue ", af-firmait Marlène Schiappa dans Le  Monde du 9  mars, as-sumant la " valeur pédagogique " de la mesure.
Le projet de loi crée une infraction d'outrage sexiste inspirée de la définition du harcèlement sexuel – c'est-à-dire le fait d'imposer à une personne des propos ou des comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Cette infraction sera sanctionnée d'une amende de 90  euros, pouvant aller jusqu'à 3 000  euros en cas de récidive. La mesure est plutôt bien accueillie, sans enthousiasme. " Tout ce qui vise à lutter contre les violences sexistes est une bonne chose, commente Céline Piques, porte-parole d'Osez le féminisme. Mais c'est une réponse parcellaire, qui ne peut constituer l'alpha et l'oméga de la lutte contre les violences faites aux femmes. "
Des doutes s'expriment surtout quant à son application future, puisque l'infraction devra être constatée en flagrant délit par les forces de l'ordre. " Il faut que la sanction soit effective pour que le droit garde sa force ", relève Jimmy Charruau, docteur en droit public. Le gouvernement répond que la verbalisation de l'outrage sexiste fera partie des missions de la police de sécurité du quotidien, chargée d'appliquer la mesure.
La définition du harcèlement sexuel et moral élargie Le gouvernement prévoit que les délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral, punis respec-tivement de trois et deux ans de prison, seront constitués " lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ".
L'objectif est de mieux sanctionner les " raids numériques ", des attaques coordonnées menées en ligne, dont les auteurs échappent aujourd'hui aux poursuites, car ils n'ont pas agi de façon répétée.
Gaëlle Dupont
© Le Monde



22 mars 2018

Le risque d'une sexualité des jeunes " encore plus taboue et cachée "

Pour le Planning familial, le renforcement de l'âge du consentement à 15 ans témoigne d'une " méconnaissance " des pratiques des jeunes

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La prise de position détonne. Alors que le gouvernement s'apprête à renforcer l'interdit qui pèse sur les relations sexuelles entre majeurs et mineurs de moins de 15 ans, dans l'objectif de mieux protéger les victimes, le Planning familial interroge : serait-ce une " fausse bonne idée " ? " Il faut trouver un équilibre entre la nécessité de protéger les mineurs et leur liberté d'avoir des rapports sexuels ", affirme Véronique Séhier, coprésidente du Planning.
L'inquiétude remonte du terrain. L'association, qui se bat pour que les jeunes de tous âges aient accès à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse, même sans l'aval de leurs parents, est en contact avec de nombreux adolescents dans ses centres et anime des séances d'éducation à la sexualité. Or, le renforcement de l'âge du consentement à 15 ans, voulu le président de République Emmanuel Macron et la secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, " témoigne d'une méconnaissance de la sexualité des jeunes ", affirme Marion Athiel, militante au Planning de Lyon.
Si le fait que des enfants âgés de 12 ans et moins sont trop jeunes pour consentir à un acte sexuel semble faire l'unanimité, ce n'est pas le cas pour les adolescents âgés de 13 et 14 ans. Certes, les relations sexuelles précoces sont peu nombreuses : l'âge moyen lors du premier rapport est de 17 ans. " Ce n'est pas la majorité, précise Mme  Athiel.  Mais ça arrive ! " La -bénévole cite le cas d'une jeune fille de 13 ans venue chercher un -contraceptif dans un centre du Planning. " Nous avons fait un deuxième entretien avec elle, pour vérifier que c'était consenti, poursuit Mme  Athiel. Elle avait choisi d'avoir ce rapport et ça s'est très bien passé ! "
Dans le cas cité, le petit ami avait 15 ans. Or, entre mineurs,rien n'est proscrit si les deux protagonistes sont d'accord. Mais il arrive que le partenaire ait 17 ou 18 ans. S'il a dépassé la majorité, les parents pourraient, avec la nouvelle loi, être incités à engager des poursuites pour viol. " Nous voyons des parents opposés à ce que leurs enfants aient des relations sexuelles, relève Véronique Séhier. La sexualité est taboue dans certaines familles. "
" Ordre moral "Le nouveau texte pourrait également remettre en question certaines pratiques des accueillants du Planning. " Si nous nous trouvons face à une situation comme celle-là, allons devoir prévenir les parents ? Faire un signalement au procureur ? ", interroge Marion  Athiel. Aujourd'hui, la loi punit déjà de cinq ans de prison l'atteinte sexuelle, c'est-à-dire toute relation sexuelle, y compris -consentie, entre un majeur et un mineur de moins de 15 ans – une peine que le projet de loi du gouvernement entend faire passer à dix ans en cas de pénétration. Mais le Planning effectue des signalements à la justice seulement quand une situation de violence est détectée. " Quand une très jeune arrive chez nous, nous avons toujours cela en tête, explique Danielle Gaudry, gynécologue au Planning de Maisons-Alfort (Val-de-Marne). Qui est le partenaire ? La relation est-elle consentie ? Y a-t-il violence, pression, emprise ? "
Le couperet des 15 ans est jugé en outre inadéquat. " Pourquoi protéger davantage à 14 ans et 8 mois qu'à 15 ans et 3 mois ?, interroge Véronique Séhier. Au même âge, il peut y avoir des niveaux de développement psychologique, affectif et physique très variables ! " L'interdit, c'est d'avoir des rapports sexuels non consentis, quel que soit l'âge ", renchérit Danielle Gaudry.Or, la notion de consentement est mal connue par certains jeunes. Près de la moitié des auteurs de viols sur mineurs de moins de 15 ans condamnés en  2016 étaient eux-mêmes mineurs.
Le projet de loi témoigne-t-il d'une volonté de revenir à un " ordre moral ", comme le redoute Véronique Séhier ? " Même si c'est compliqué à accepter pour certains parents et la société, les jeunes ont une sexualité, affirme Marion Athiel. Le risque, c'est qu'elle soit encore plus taboue et cachée. "
Ga. D.
© Le Monde

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