Le texte est présenté par le gouvernement comme une réponse forte au mouvement de dénonciation des violences sexuelles subies par les femmes, qui s'est exprimé au travers des mots-clés #metoo et #balancetonporc sur les réseaux sociaux. Les voix les plus critiques dénoncent, au contraire, une loi de circonstance, faite de mesures disparates dictées par l'émotion suscitée par des faits divers retentissants.
La secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, et la ministre de la justice, Nicole Belloubet, présentent, mercredi 21 mars, en conseil des ministres, un projet de loi de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Même si le texte était déjà en -préparation quand l'affaire Weinstein a éclaté aux Etats-Unis, en novembre 2017, la coïncidence a servi le gouvernement, en lui fournissant un contexte favorable pour imposer des mesures pas toujours consensuelles.
L'interdit sur les relations sexuelles entre majeurs et moins de 15 ans renforcé C'est la mesure qui suscite le plus de débats. Elle découle de deux faits divers, qui ont vu des hommes adultes échapper à des poursuites ou à des condamnations pour viol, alors qu'ils avaient eu des relations sexuelles avec des fillettes de 11 ans. Dans les deux cas, les juges ou les jurés ont considéré que les enfants étaient consentantes parce qu'elles ne s'étaient pas défendues. Un choc dans l'opinion.
D'où l'idée, portée par des associations de victimes de violences sexuelles, de fixer une limite d'âge sous laquelle un enfant est jugé trop immature pour consentir de façon éclairée à une relation sexuelle avec un adulte. L'objectif : marquer un interdit clair afin de protéger les mineurs, ne plus permettre aux tribunaux de poser la question de leur consentement.
Alors que le seuil de 13 ans semblait susceptible de recueillir un large assentiment, celui de 15 ans a dès novembre 2017 été préféré
" à titre personneI " par le président de la République, Emmanuel Macron, ainsi que par Marlène Schiappa. Cette dernière envisageait que toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15 ans (donc jusqu'à 14 ans et 11 mois) soit considérée comme un viol, passible de vingt ans de prison, même en l'absence de menace, de violence, de contrainte ou de surprise.
Des magistrats ont mis en garde contre le risque de voir des jeunes majeurs condamnés après avoir eu des relations consenties avec un ou une mineure de 14 ans sur la seule base d'un élément matériel (l'acte sexuel), sans élément intentionnel. Le Conseil d'Etat a retoqué la mesure dans son avis du 13 mars sur le projet de loi.
" Une personne mise en cause doit toujours pouvoir apporter la preuve qu'elle est innocente, observe Jacky Coulon, secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats.
Sinon la disposition risque l'inconstitutionnalité. "
Afin d'écarter ce risque, le texte reformulé par le Conseil d'Etat maintient le seuil de 15 ans et -précise la notion de contrainte, déjà présente parmi les éléments constitutifs du viol.
" Lorsque les faits seront commis sur la personne d'un mineur de - moins de -
15 ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ", énonce le projet de loi. -L'objectif, en insistant sur l'imma-turité des mineurs de moins de 15 ans, est de faciliter la -condamnation pour viol par un majeur, tout en écartant de pos-sibles -condamnations " auto-matiques ".
Cette disposition, d'application immédiate, risque de décevoir les associations de protection de l'enfance. Mais afin de donner un signal de fermeté, le texte joue sur un autre levier, le délit d'atteinte sexuelle. Ce dernier définit déjà en creux l'âge du consentement, en permettant de sanctionner en cas de plainte toute relation sexuelle, même consentie, entre un majeur et un mineur de moins de 15 ans. Le projet de loi renforce cet interdit, en ag-gravant la peine encourue en cas d'atteinte sexuelle si une -pénétration a eu lieu. Elle passera à dix ans de prison, contre cinq ans aujourd'hui.
Allongement des délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs La mesure fait également suite à plusieurs faits divers, en particulier la révélation, en octobre 2016, par l'animatrice Flavie Flament d'un viol subi à l'âge de 13 ans par le photographe David Hamilton, qui s'était suicidé quelques semaines plus tard. -Flavie Flament n'a pas porté plainte : au moment où elle a révélé les faits, elle avait 42 ans, alors que le délai de prescription est de vingt ans après la majorité.
La même année éclatait l'affaire du père Preynat, dont seule une minorité de victimes déclarées ont porté plainte, en raison de la prescription. De nombreuses associations réclament depuis l'imprescriptibilité pour les crimes et délits sexuels sur mineurs, en raison des longues années nécessaires à certaines victimes pour briser le tabou et parler, voire de l'amnésie traumatique de certaines d'entre elles.
La revendication d'imprescriptibilité a suscité une levée de boucliers, car cette disposition est aujourd'hui réservée aux crimes contre l'humanité. Les magistrats redoutent en outre qu'un allongement de la prescription ne donne de faux espoirs aux victimes, en raison de la disparition matérielle des preuves et de la détérioration des souvenirs des protagonistes et des éventuels témoins avec le temps. Une mission lancée en janvier 2017, pilotée par Flavie Flament et l'ancien magistrat Jacques Calmettes, est toutefois arrivée à un consensus sur l'allongement du délai de prescription à trente ans après la majorité, mesure reprise dans le projet de loi.
Création d'une contravention d'outrage sexiste Sanctionner le harcèlement de rue faisait partie des promesses de campagne de M. Macron. Des associations dénoncent depuis plusieurs années la pression qui pèse sur de nombreuses femmes dans l'espace public : interpellations insistantes, insultes, intimidations et poursuites, voire agressions sexuelles (mains aux fesses…). Au point que nombre d'entre elles modifient leur trajet, leur tenue, leurs habitudes pour y échapper.
" Il est important que les lois de la République disent qu'il est -interdit de menacer, d'intimider, de suivre des femmes dans la rue ", af-firmait Marlène Schiappa dans
Le Monde du 9 mars, as-sumant la
" valeur pédagogique " de la mesure.
Le projet de loi crée une infraction d'outrage sexiste inspirée de la définition du harcèlement sexuel – c'est-à-dire le fait d'imposer à une personne des propos ou des comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Cette infraction sera sanctionnée d'une amende de 90 euros, pouvant aller jusqu'à 3 000 euros en cas de récidive. La mesure est plutôt bien accueillie, sans enthousiasme.
" Tout ce qui vise à lutter contre les violences sexistes est une bonne chose, commente Céline Piques, porte-parole d'Osez le féminisme.
Mais c'est une réponse parcellaire, qui ne peut constituer l'alpha et l'oméga de la lutte contre les violences faites aux femmes. "
Des doutes s'expriment surtout quant à son application future, puisque l'infraction devra être constatée en flagrant délit par les forces de l'ordre.
" Il faut que la sanction soit effective pour que le droit garde sa force ", relève Jimmy Charruau, docteur en droit public. Le gouvernement répond que la verbalisation de l'outrage sexiste fera partie des missions de la police de sécurité du quotidien, chargée d'appliquer la mesure.
La définition du harcèlement sexuel et moral élargie Le gouvernement prévoit que les délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral, punis respec-tivement de trois et deux ans de prison, seront constitués
" lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ".
L'objectif est de mieux sanctionner les " raids numériques ", des attaques coordonnées menées en ligne, dont les auteurs échappent aujourd'hui aux poursuites, car ils n'ont pas agi de façon répétée.
Gaëlle Dupont
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