Carles Puigdemont divise les indépendantistes
Les élus catalans sont partagés entre le soutien total à l'ex-président déchu et la recherche d'une alternative
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Les indépendantistes catalans sont-ils prêts à gouverner sans Carles Puigdemont ? L'arrestation du président déchu, Carles Puigdemont, en Allemagne, le 25 mars, et la mise en détention provisoire, quarante-huit heures avant, de cinq anciens responsables ont obligé les deux grands partis séparatistes, Ensemble pour la Catalogne (Junts per Catalunya), la liste de M. Puigdemont, et la Gauche républicaine (ERC) à repenser leur stratégie. Deux tendances s'affrontent. Les uns veulent tourner la page et élire un gouvernement qui puisse reprendre le contrôle de la région, mise sous tutelle par le gouvernement de Mariano Rajoy après la tentative de sécession du 27 octobre 2017. Cela supposerait trouver un candidat à la présidence qui ne risque pas la prison, donc aucun des responsables en détention ou " exilés ".
D'autres estiment que " ce n'est pas à la justice espagnole de choisir le candidat qui lui plaît, explique Eduard Pujol, porte-parole de Junts per Catalunya. Nous ne pouvons pas accepter ces limitations. Un député élu par les Catalans conserve ses droits politiques, il peut donc devenir président, quelle que soit sa situation ", ajoute cet ancien directeur de la radio catalane RAC1. " Nous travaillons dans des circonstances exceptionnelles et nous devons improviser " mais, tient-il à souligner, " nous avons promis aux Catalans qu'ils auront un gouvernement ". Pour M. Pujol, " les autorités de Madrid se trompent si elles pensent avoir décapité le mouvement indépendantiste en emprisonnant ses responsables ".
Négociations en coursL'investiture ratée de Jordi Turull, le 23 mars, a révélé les fractures qui divisent les séparatistes. L'ex-porte-parole du gouvernement de M. Puigdemont n'a pas réussi à recueillir les quatre voix de la Candidature d'unité populaire (CUP), un petit parti d'extrême gauche qui exige la rupture immédiate avec Madrid et qui le jugeait trop mou. Les indépendantistes ont jusqu'au 22 mai pour investir un président, faute de quoi, de nouvelles élections seront convoquées.
" Ceux qui sont favorables à des solutions plus pragmatiques, au sein des deux partis, ont gagné du terrain après les élections " du 21 décembre 2017, explique Oriol -Bartomeus, politologue de l'Université autonome de Barcelone, " mais, depuis l'arrestation de M. Puigdemont, la faction la plus intransigeante semble avoir pris le dessus, celle qui prône le jusqu'au-boutisme ", celle pour qui " maintenir une situation d'exception fait avancer la cause séparatiste ". Des négociations sont en cours, mais personne ne sait si -elles aboutiront. " Nous allons prendre en compte tous les points de vue " et " nous réviserons notre stratégie selon la situation ", -explique Eduard Pujol.
" En décembre, nous avons demandé aux Catalans de voter dans des circonstances difficiles. Ils l'ont fait et nous ont donné la victoire. Nous ne pouvons pas leur demander de retourner aux urnes parce que nous n'avons pas su nous mettre d'accord ! " s'exclame Joan Tarda, député de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) au -Parlement espagnol. Il reconnaît que les derniers événements " nous ont laissé la gueule de bois ". Pour sortir du blocage, M. Tarda a même défendu l'idée de chercher des alliances du côté des " Comuns ", proche de la -gauche radicale de Podemos, et du Parti socialiste catalan, ce que ses alliés de Junts per Catalunya n'ont pas apprécié.
Interdit par la Cour suprême de se faire élire à distance, Carles Puigdemont est-il devenu un boulet pour les indépendantistes ? Pour Antoni Castella, député des Démocrates de Catalogne, une formation incluse dans la liste d'ERC, le président déchu " est le symbole de la République, mais il n'est pas la République ". M. Castella prône une solution pratique : " Nous avons besoin d'une relève ", assure-t-il, " c'est en récupérant les institutions que nous pourrons mieux -défendre les prisonniers politiques ". La rue est l'autre élément de l'équation catalane. C'est là que l'indépendantisme montre sa force depuis 2012. Elisenda Paluzie, élue à la tête de la puissante Assemblée nationale catalane (ANC) le 24 mars, entend bien continuer dans cette voie. Professeure d'économie à l'université de Barcelone, elle remplace Jordi Sanchez, en -détention provisoire depuis cinq mois. L'ANC et -Omnium, l'autre grande association indépendantiste, ont à nouveau déployé leur capacité de mobilisation le dimanche 25 mars, en convoquant " en seulement deux heures ", tient à souligner -Mme Paluzie avec un grand sourire, 55 000 sympathisants devant le consulat allemand de Barcelone pour protester contre l'arrestation, le matin même, de M. Puigdemont.
Actions coups de poingMme Paluzie voudrait affranchir l'ANC de la tutelle des partis po-litiques indépendantistes " qui avaient peur de convoquer la -manifestation, en pensant qu'il pouvait y avoir des débordements et qui en ont finalement pris la tête. Ils ne m'ont presque pas laissé de place ! " raconte cette convaincue de la -première heure qui, en 2014, -défendait dans un livre la -" viabilité économique d'une -Catalogne indépendante ".
La responsable séparatiste rejette le " paternalisme " de ceux qui craignent que les Comités de défense de la République (CDR) n'entachent l'image pacifique de l'indépendantisme. Ces groupes radicaux, créés pour aider à l'organisation du " référendum d'autodétermination " du 1er octobre, ont multiplié ces derniers jours les actions coups de poing dans toute la région. " Parfois, estime-t-elle, il se passe des choses dans la rue que l'on ne peut éviter. "
Mme Paluzie estime " qu'il ne faut en aucun cas céder à la pression de Madrid, ce qui nous mettrait dans une position de faiblesse. L'histoire a voulu que M. Puigdemont soit le symbole de cette résistance, c'est lui que nous devons soutenir. "
Isabelle Piquer
© Le Monde
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Embarras européen sur le mandat d'arrêt contre les Catalans
Carles Puigdemont se trouve en détention en Allemagne, ses anciens ministres sont libres en Belgique et en Ecosse
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Un casse-tête juridique européen. Depuis l'arrestation de Carles Puigdemont par la police allemande, dimanche 25 mars, le sort du -dirigeant indépendantiste catalan fait l'objet d'un débat vif en Allemagne, mais aussi au Royaume-Uni et en Belgique, où se trouvent d'autres indépendantistes sous le coup d'un mandat d'arrêt -européen, mais qui n'ont pas été placés en détention.
M. Puigdemont sera-t-il extradé en Espagne, comme Madrid le réclame ? C'est désormais à la justice allemande de trancher. Or l'affaire est complexe. Pour qu'une extradition soit possible, il faut en effet que les infractions dont le dirigeant catalan est accusé par la justice espagnole existent également dans le droit allemand. C'est le cas pour ce qui est du " détournement de fonds publics ". C'est moins évident pour ce qui concerne la " rébellion ", qui n'a pas d'équivalent direct en Allemagne. " L'infraction la plus proche serait la “haute trahison”, définie au paragraphe 81 du code pénal. Le problème est que le crime de haute trahison suppose qu'il y ait eu violence ou menace de violence. Or je ne vois pas que cela ait été le cas ", explique l'avocat Nikolaos Gazeas, expert en droit pénal à Cologne.
Comme d'autres juristes allemands, cet avocat estime que les juges du Schleswig-Holstein, le Land où a été interpellé Carlos -Puigdemont, où il est détenu et où son cas doit être examiné dans les soixante jours suivant son arrestation, ne peuvent pas prendre le risque d'exposer le prévenu à un procès de nature politique en Espagne. " C'est tout le problème de cette affaire : la justice du Schleswig-Holstein se retrouve prise dans un conflit -interne à l'Espagne de nature politique ", ajoute M. Gazeas.
Responsabilité immenseLes juges allemands pourraient donc ne retenir que l'accusation de détournement de fonds publics. Si tel est le cas, M. Puigdemont ne pourrait être jugé pour " rébellion " en Espagne, crime passible de trente ans de prison dans ce pays. En tout état de cause, la responsabilité des juges allemands est immense, dans la mesure où c'est à eux qu'il revient désormais de définir sous quel chef d'accusation pourrait se tenir un éventuel procès de l'ancien président catalan en Espagne.
En Belgique, où séjournent toujours trois anciens ministres catalans qui ont suivi M. Puigdemont, la justice, selon nos informations, pourrait décider de procéder à de nouvelles auditions, au début de la semaine prochaine. Le 30 octobre 2017, trois jours après la proclamation unilatérale d'indépendance, les ministres avaient été entendus par la police avant d'être conduits devant un juge d'instruction. Celui-ci les avait libérés sous condition, dont celle de rester à la disposition de la justice.
Les avocats de M. Puigdemont et des ex-ministres avaient plaidé que ces derniers n'avaient -commis aucune infraction pénale susceptible de tomber sous le coup de la loi belge. Ils rejetaient notamment toute allusion à des malversations financières ou des détournements qu'auraient accomplis leurs clients. Et contestaient l'incrimination de rébellion. Celle-ci, ainsi que la sédition, peuvent toutefois être punies par le droit belge, qui retient plutôt la notion de " complot contre l'Etat ".
" Nous avons plaidé qu'en Belgique, on ne met pas des gens en détention pour leurs opinions ou leurs votes. En outre, ces personnalités disposaient d'une immunité. L'Espagne demande, en fait, à la Belgique de mettre en prison des opposants élus démocratiquement ", soulignent Michèle Hirsch et Christophe Marchand, deux des avocats des Catalans.
Le 5 décembre, avant la décision du président de la chambre, Madrid a, en tout cas, décidé de retirer le premier mandat, permettant ainsi à M. Puigdemont de poursuivre ses activités en Belgique et de voyager en Europe. Les défenseurs des responsables catalans affirment ne pas connaître, à ce stade, la teneur du second mandat d'arrêt européen. Ils se préparent néanmoins à ressortir leurs arguments et à plaider le caractère, -purement politique à leurs yeux, des arguments de Madrid.
En Ecosse, Clara Ponsati, qui était ministre de l'éducation du gouvernement catalan, et enseigne à l'université de St Andrews, s'est rendue d'elle-même à la police mercredi 28 mars. Elle est arrivée entourée de membres du parti indépendantiste Scottish National Party (SNP), qui avait -obtenu un référendum, perdu, sur l'indépendance de l'Ecosse en 2014. L'audience préliminaire de mercredi n'a duré que dix minutes. Mme Ponsati a été libérée en échange de la confiscation de son passeport. La prochaine audience est prévue le 12 avril. Elle dénonce des " accusations politiques ". Une bonne partie du débat juridique, comme en -Allemagne, consistera à savoir si la rébellion s'apparente au crime de " haute trahison ".
Éric Albert, Jean-Pierre Stroobants, et Thomas Wieder
© Le Monde
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