Au micro de la synagogue de la rue des Tournelles, dans le 11e arrondissement de Paris, mercredi soir 28 mars, Daniel Knoll veut trouver les mots justes malgré l'affliction dans laquelle l'a plongé l'assassinat de sa mère, Mireille Knoll, vendredi 23 mars. Après les obsèques, à la mi-journée, de cette femme âgée de 85 ans, en présence du président de la République, Emmanuel -Macron, à Bagneux (Hauts-de-Seine), après la marche blanche, en fin d'après-midi, en compagnie de plusieurs milliers de personnes, il formule une demande insistante. " Nous avons besoin de changer le visage de la France ", lance-t-il, pantelant et navré.
" Il est temps qu'on arrête de massacrer les juifs, les enfants, les vielles dames ",ajoute-t-il lors de cette cérémonie organisée dans la synagogue fréquentée par sa mère.
" Il faut que nos amis musulmans viennent avec nous. La haine, ça suffit ! ", s'exclame-t-il. Il prend comme exemple ses filles, présentes, qui vivent en Israël,
" pays magnifique où il n'y a pas d'apartheid, où on ne tue pas les Arabes, contrairement à ce qu'on dit dans certaines banlieues " :
" Mes filles ne sont pas des assassins ! " Quant à lui, conclut-il, il ne sait pas
" comment demain - il -
va pouvoir vivre avec ça ".
" Le parti du déni, c'est fini "
" Ça ", c'est ce contre quoi ont voulu s'élever les milliers de personnes qui ont défilé – 30 000 selon le Conseil représentatif des institutions juives de France, initiateur du rassemblement – en fin d'après-midi, entre la place de la Nation et l'immeuble où a été tuée Mireille Knoll, meurtre pour lequel deux hommes ont été mis en examen pour homicide volontaire avec la circonstance aggravante d'antisémitisme. Elle connaissait bien l'un d'entre eux, qui était son voisin.
" Elle accueillait son assassin avec gentillesse ", a témoigné son fils. Elle a été poignardée et des départs de feu ont été constatés dans l'appartement de cette femme qui, enfant, avait échappé à la rafle du Vel' d'Hiv, en 1942.
Des politiques de tous bords ont participé à cette marche en mémoire de la défunte : les ministres Gérard Collomb, Christophe Castaner, Jean-Michel Blanquer, des représentants de la majorité – le président de l'Assemblée nationale, François de Rugy, la députée (La République en marche) de l'Essonne Amélie de Montchalin –, d'autres de l'opposition – le président du parti Les Républicains Laurent Wauquiez. L'ancienne ministre de la justice Christiane Taubira s'était glissée dans le cortège.
" A la mort d'Ilan Halimi - en 2006 - ,
il n'y avait que des juifs, aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Il y a un sursaut. Le parti du déni, c'est fini ", voulait croire pour sa part le philosophe Alain Finkielkraut, également présent.
Dans la foule, cependant, nombreux étaient les juifs venus essayer d'évacuer leur inquiétude. Hélena Benmoussa et Jeff Ballouka, 18 ans chacun, sont venus avec leur uniforme de scouts israélites de France dire qu'ils sont
" choqués " par ce meurtre. Hélena, qui a déménagé récemment à Londres,
" où il n'y a pas de meurtre antisémite ",n'hésite pas à dire qu'elle a désormais
" peur " de vivre à Paris. La mère d'une amie de Jeff a décroché, mardi, la mezouza (petit boîtier contenant deux passages bibliques) qui ornait depuis toujours le montant de la porte de son appartement.
" Mais le rassemblement fait chaud au cœur, car j'ai vu beaucoup de non-juifs ce soir ", affirme Jeff. Annie, la quarantaine, est elle aussi
" inquiète, pour la famille, pour la démocratie ". Selon elle, il serait
" temps de revenir à du collectif " dans le pays, de faire face enfin aux défis.
" On ne traite pas les vraies questions, on ne prend pas ses responsabilités. Il est quand même incroyable que la France ne sache pas être la France, s'indigne-t-elle.
Toute la question, c'est de s'intégrer. "
Roland, 61 ans, a lui aussi du mal à se satisfaire de l'action publique déployée ces dernières années.
" Il faut que le gouvernement se réveille, ouvre les yeux ", affirme-t-il, en rappelant les assassinats d'Ilan Halimi, torturé à mort par le " gang des barbares " en 2006, et de Sarah Halimi, tuée puis défenestrée en 2017.
" Il a fallu presque un an pour que ce meurtre soit qualifié d'antisémite, accuse-t-il.
Je pense que tout le monde s'en fout un peu. On n'est pas assez nombreux pour intéresser les gouvernements. "
Roland est né en France,
" adore " la France, n'a jamais été lui-même la cible d'un acte antisémite. Pourtant, il affirme qu'il compte partir
" dès qu' - il -
le peut " en Israël, pour y prendre sa retraite. Sa mère, ses deux sœurs, des neveux et nièces y sont déjà. Lui se souvient avec nostalgie d'une époque où des amis
" de tous horizons " déjeunaient à la maison dans une atmosphère bon enfant et où les
" soucis " ne venaient que du Front national (FN). Mais ce temps est pour lui révolu :
" J'ai rarement vu autant de haine qu'aujourd'hui ", résume-t-il.
" Faire preuve de fraternité "Ces sentiments mêlés se retrouvent chez Laura. Cette enseignante-chercheuse de 41 ans, Américaine, vit depuis vingt ans en France. On y trouve, constate-t-elle,
" un antisémitisme très fort, mais en même temps, si on est juif, en France, on peut être très heureux ". Elle a vécu l'évolution des dix-huit dernières années, le regain d'antisémitisme du début des années 2000,
" qu'on a totalement masqué ", la mort d'Ilan Halimi – elle était alors déjà descendue dans la rue –, l'
" instrumentalisation " du conflit israélo-palestinien, notamment par une partie de la gauche.
" Si on est juif et de gauche, on est d'autant plus mal, car qui reconnaît cet antisémitisme à gauche ? ",interroge-t-elle avec quelque amertume.
A ses côtés, Yann Scioldo-Zürcher, chercheur au CNRS, se souvient de sa première manifestation, lycéen encore, à Clermont-Ferrand, en 1990, à l'occasion de la profanation du cimetière juif de Carpentras (Vaucluse). Il vit aujourd'hui entre Jérusalem et Paris et constate, pour le déplorer, l'essor de
" schémas de pensée catégoriels – on est juif, musulman… – épuisants et qui ne facilitent pas le débat ".
" Les identités multiples sont de plus en plus difficiles à porter ", constate-t-il.
Une jeune fille voilée marche paisiblement au milieu de la foule du boulevard Voltaire. Iman Amzil, élève de 1re S, est venue rendre
" hommage à toutes les victimes, en tant que musulmane. Ce ne sont pas seulement les juifs qui doivent venir montrer qu'on est contre la violence. Nous sommes tous offensés par ce qui se passe ". La veille, le directeur de son lycée, Saint-Benoist-de-l'Europe, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), leur a fait un discours sur l'assassinat de Mireille Knoll. Elle a décidé de venir
" faire preuve de fraternité ".
Le matin même, lors de l'hommage rendu aux Invalides au gendarme mort lors de l'attentat de Trèbes (Aude), le 23 mars, Emmanuel Macron avait affirmé que l'octogénaire avait été
" assassinée parce qu'elle était juive ", victime du même
" obscurantisme barbare " que le colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame.
" Lorsqu'il s'agit de lutter contre l'obscurantisme ou contre l'antisémitisme ou contre le fanatisme, tout ce qui rassemble grandit ", avait déclaré de son côté le premier ministre, Edouard Philippe, à l'Assemblée nationale.
D'autres rassemblements ont eu lieu à Marseille (environ 800 personnes), Strasbourg (700), Lyon (500), Nantes (200), Bordeaux (200) et Toulouse (plusieurs centaines), selon des correspondants de l'AFP et la police. A Jérusalem, des dizaines de membres de la communauté francophone d'Israël ont allumé, sur la place de Paris, des bougies et entonné les hymnes israélien et français.
Cécile Chambraud et Olivier Faye
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