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samedi 31 mars 2018

Une mer de déchets sauvages dans les Yvelines


31 mars 2018

Une mer de déchets sauvages dans les Yvelines

Les riverains d'une ancienne plaine maraîchère accusent les pouvoirs publics d'inertie et de " carence fautive "

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Des bouches d'irrigation, colonisées par les mauvaises herbes, témoignent de l'époque révolue où " la plaine " était un paradis de la culture maraîchère. Las, ces 330 hectares de potagers et de vergers, sis sur une boucle de la Seine à cheval sur les communes yvelinoises de Carrières-sous-Poissy, Chanteloup-les-Vignes et Triel-sur-Seine, sont désormais parsemés de véritables collines de déchets. De l'électroménager aux couches usagées et aux pneus, l'endroit est un dépotoir géant à ciel ouvert, jusqu'aux abords de l'incinérateur d'ordures ménagères qui le jouxte.
Début février, Alban Bernard, habitant d'un lotissement tout proche, a réagi en créant un site Internet : Déchargeons la Plaine. Photos et vidéos à l'appui, cet ancien conducteur de travaux en reconversion cartographie les différents monceaux. Il en a dénombré plus de 60, atteignant entre 50 centimètres et 2 mètres de hauteur, dispersés sur plus de 25 hectares (ha).
Le plus impressionnant, surnommé la " mer de déchets ", occupe à lui seul 3 ha et est exclusivement composé de déchets du BTP dont de la laine de roche, de la laine de verre et des tôles ondulées amiantées. Ces matériaux nocifs pour la santé devraient être traités dans une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). On bute aussi sur de véritables ateliers de démontage : ici la zone des aspirateurs, là celle des ordinateurs.
" Mon beau-père, qui a 94 ans, vendait aux Halles les fruits et légumes qu'il cultivait ici, mais regarder des photos de la plaine aujourd'hui lui est insupportable ", déplore Bruno Piva, dont la famille est propriétaire d'une dizaine de parcelles. Pour circonscrire au mieux les amas de déchets, cet ébéniste plante des arbres sur ses terrains. Fin février, une partie des ordures a pris feu, dégageant des fumées incommodantes. Sommé par l'association environnementale Rives de Seine Nature Environnement (RSNE) d'user de son pouvoir de substitution, puisque les maires ne réagissaient pas, le préfet des Yvelines n'a pas répondu.
" Véritable trafic "Samedi 31 mars, Alban Bernard et Bruno Piva, les membres de RSNE et des volontaires formeront les maillons d'une " chaîne humaine ", appelée à se déployer dans la plaine pour dénoncer " l'inertie des pouvoirs publics ".
Pendant près d'un siècle, le site s'est gorgé des eaux usées de la capitale – un engrais efficace, pensait-on. Jusqu'à ce qu'une étude de l'Institut national de recherche agronomique révèle, en  1999, la pollution des sols aux métaux lourds générée par cette pratique et provoque sa disgrâce. En  2000, un arrêté préfectoral a interdit sur la plaine les cultures " à destination humaine ", vouant à l'abandon ces bandes de terrain appartenant à des dizaines de particuliers ou organismes publics. En  2007 sont apparus sur ces friches quatre camps de gens du voyage et quatre camps de Roms. A leur démantèlement, à la fin de l'été 2017, cyclistes, joggeurs ou propriétaires de chiens ont découvert l'étendue du désastre.
" On trouve ici deux types de déchets, explique Anthony Effroy, président de RSNE et conseiller municipal d'opposition à Carrières-sous-Poissy. Ceux générés par la vie des camps, et des tonnes d'autres issus d'un véritable trafic. " Selon lui, le volume des dépôts a " plus que doublé entre juin et octobre 2017 ", saison propice aux chantiers.
Le militant évoque des " filières " appuyées par une noria de camionnettes et de petits camions-bennes pour " s'exonérer " des frais de déchetterie. " L'été dernier, on en voyait plus de vingt par jour en provenance de Paris et de la petite couronne décharger en toute impunité, s'insurge-t-il. Dans leurs dépôts, on a retrouvé la trace d'un office de HLM de Seine-Saint-Denis et d'une grosse entreprise d'informatique. "
Dès juin 2017, RSNE et d'autres associations avaient alerté les collectivités et le préfet des Yvelines, suggérant l'installation de portails sur les voies carrossables cadastrées, et l'établissement d'une zone de labours autour de la plaine pour dissuader l'accès. En vain. Entre les effectifs de police insuffisants et démunis face aux fausses plaques d'immatriculation utilisées et à l'insolvabilité des contrevenants, seules deux infractions ont été constatées en flagrance durant cette période estivale.
" Projets pour le futur "Anthony Effroy n'en suspecte pas moins les collectivités locales – maires de Carrières, Chanteloup et Triel, et communauté urbaine du Grand Paris Seine et Oise (GPSEO) – d'avoir " abandonné ce territoire " à cause d'un projet routier. " Ils - les élus locaux -comptaient enfouir les déchets au moment où commencerait le chantier ", spécule-t-il.
" Tant que les camps étaient en place, on ne pouvait rien faire, mais, aujourd'hui, la plaine est sécurisée ", se défend Christophe Delrieu, maire (sans étiquette) de Carrières-sous-Poissy depuis 2014. Depuis les expulsions, il a pris un arrêté bloquant l'accès des véhicules à moteur.
Egalement vice-président du GPSEO délégué à la voirie, à l'espace public et à la propreté, M. Delrieu réclame du temps. " Selon une première estimation, sur 5 ha envahis d'environ 5 000 tonnes de déchets, l'addition se monterait à 1 million d'euros pour le nettoyage, explique-t-il, mais il faut affiner ce travail. " D'ici à juin, assure-t-il, un cabinet missionné par le GPSEO quantifiera la masse de déchets sur les 25 ha concernés et établira le coût du nettoyage global et de la redynamisation des terrains. Une facture qui pourrait s'élever à plusieurs millions d'euros et que " le GPSEO et les communes ne pourront supporter seuls ", prévient M. Delrieu.
Partageant l'ire des riverains, le député MoDem Bruno Millienne, pourtant élu dans une autre circonscription des Yvelines, a rencontré, le 15 mars, les services de Brune Poirson, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, pour tenter de sauver la plaine. Mais l'Etat n'est pas prêt à mettre la main à la poche.
" Les associations et la préfecture ont alerté les élus locaux à de multiples reprises car la gestion de ces déchets est de leur responsabilité, a indiqué un conseiller de Mme Poirsonau Monde.Le GPSEO doit aujourd'hui proposer un plan de sortie de crise. Cela demande à la fois des moyens financiers à court terme pour nettoyer le site mais surtout des projets pour le futur du site, sans quoi les déchets vont revenir. Les services déconcentrés de l'Etat apporteront leur expertise technique et juridique. "
Lors d'un point presse organisé le 23 mars, le GPSEO a proposé entre autres de développer des " cultures alternatives " comme celle du miscanthus, un rhizome dépolluant déjà testé entre 2012 à 2016 sur le site, et qui présente " des débouchés potentiels dans la construction ", ou encore l'implantation d'une ferme photovoltaïque.
" Des promesses anciennes ", rétorque Anthony Effroy, dont l'association prépare deux recours en justice, l'un devant le tribunal administratif pour " carence fautive de l'Etat ", l'autre au pénal par le biais d'une plainte contre X, " afin de déclencher une enquête et de déterminer les responsabilités " dans la " gestion catastrophique du  dossier ".
Patricia Jolly
© Le Monde


31 mars 2018

" T'as 24 heures pour nettoyer ta merde "

Dans l'Oise, un maire s'est fait le shérif des dépôts illégaux et traque les contrevenants

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Planches de bois, plaques de plâtre, bouts de tuyaux, vieux pots de peinture et gravats divers… Les déchets du BTP empoisonnent la vie des édiles de communes rurales.
Au printemps 2014, tout juste élu maire (sans étiquette) de Laigneville, un bourg de l'Oise d'un peu moins de 5 000 âmes, Christophe Dietrich, 46 ans, a vu rouge lorsqu'il a repéré un énième dépôt sauvage sur le parcours de son jogging quotidien.
" J'ai décidé d'adopter la méthode du “retour à l'envoyeur” ", explique ce sous-brigadier de la police aux frontières en détachement, également vice-président du conseil départemental de l'Oise chargé de la sécurité.
M.  Dietrich s'est mis à systématiquement enquêter " à l'ancienne " pour dénicher des indices menant aux sources de cette pollution, parfois situées à plusieurs dizaines de kilomètres de Laigneville.
Pour preuve, il extrait des " pièces à convictions " d'une armoire de son bureau. Tel ce fragment de matériau isolant porteur d'un prénom et d'un numéro de téléphone lui ayant permis de " remonter " jusqu'à un syndic de copropriétés. Lequel est tombé des nues en apprenant qu'il utilisait les services d'un plombier peu respectueux de l'environnement…
Une fois le contrevenant – ou son donneur d'ordre – débusqué, Christophe Dietrich et ses employés municipaux débarquent en camionnette dès potron-minet sur le pas de sa porte et se délestent du chargement dont l'indélicat s'imaginait débarrassé.
" Je ne fais que rapporter à leurs légitimes propriétaires ce qui leur appartient ", sourit l'édile qui ne manque jamais de filmer ces " opérations commando " durant lesquelles ses véhicules sont parfois " coursés à 6 heures du mat' par un type en slip hors de lui ". Ces vidéos font un tabac sur les réseaux sociaux, assurant à ceux que M. Dietrich appelle " les crasseux " une publicité dont ils se passeraient volontiers.
" Le bouche-à-oreille a fonctionné, se réjouit Christophe Dietrich. On est passé de quatre ou cinq incidents par semaine sur Laigneville à un ou deux par an. " Selon lui, ils sont essentiellement" le fait de particuliers qui refont leur maison ou de petites entreprises véreuses ". Et il assure que les dépôts ne se sont pas reportés sur les communes voisines, car nombre de maires l'imitent désormais, à quelques variantes près ".
Christophe Dietrich reconnaît néanmoins que ses pratiques sont limite sur le plan légal "Au printemps 2017, grisé par la présence d'une équipe de télévision qui le filmait, il s'est fait passer au téléphone pour un agent de la Caisse d'allocations familiales afin de soutirer son adresse à une assistante maternelle dont l'identité était apparue dans un dépôt de pots de peinture et de produits chimiques au bord de la Brèche, affluent de l'Oise qui traverse Laigneville.
" Je veux un procès public "" La CAF a porté plainte pour usurpation d'identité, raconte-t-il. J'ai refusé de plaider coupable comme me l'ont proposé les gendarmes pour expédier l'affaire, je veux au contraire un procès public afin que l'Etat soit mis devant ses responsabilités ; les 600 maires du département me soutiendront. "
Les plaintes que l'édile dépose de son côté sont systématiquement classées sans suite. " On m'explique chaque fois qu'il faut prendre les contrevenants sur le fait, ou, si j'ai déjà fait nettoyer, que l'infraction n'est plus constituée, soupire-t-il. Un sentiment d'impunité prédomine chez ceux qui commettent des atteintes à l'environnement. "
Sapeur-pompier volontaire durant vingt-sept ans dont quinze dans son département natal du Var, l'élu se revendique " amoureux pragmatique de la nature " et fustige "l'écologie de salon " qu'il accuse les gouvernements successifs de pratiquer.
Il s'affranchit cependant peu à peu de ses méthodes de shérif face aux " crasseux ". "Maintenant, je commence par téléphoner et je leur dis : t'as vingt-quatre  heures pour nettoyer ta merde ", affirme M. Dietrich qui jure préférer la prévention " à la contrainte.
Ainsi a-t-il fait installer deux portiques et des poteaux EDF pour compliquer l'accès des véhicules à moteur à des chemins communaux, sans pénaliser les engins agricoles. Il fait aussi nettoyer promptement tout dépôt sauvage sur son territoire afin de ne pas créer de nouvelles tentations ". Et il peut désormais compter sur ses administrés, "responsabilisés " par ses initiatives, pour l'aider à veiller au grain. " Les membres des associations de chasse, de pêche et ceux du club de randonnée m'appellent chaque fois qu'ils repèrent un véhicule au chargement suspect ", jubile-t-il.
P. J.
© Le Monde

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