Contre la réforme, des universités bloquées
A Montpellier, Toulouse ou Paris, une dizaine de facs sont perturbées. Des incidents violents inquiètent
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Ils étaient près d'un millier, jeudi 29 mars, à voter la poursuite du blocage à Tolbiac, à Paris. Le site, sur lequel trône la tour de vingt-deux étages de l'université Panthéon-Sorbonne, est bloqué depuis le début de la semaine pour s'opposer à la réforme de l'accès à l'université, tout juste promulguée. Il le restera au moins jusqu'à mardi 3 avril, ont tranché étudiants et personnels lors d'une assemblée générale. " Une réussite ", se réjouit Jaspal de Oliveira Gill, présidente de la section du syndicat étudiant UNEF de l'établissement.
" La situation est ingérable, ça peut dégénérer à tout moment, lâche à l'inverse son président, Georges Haddad, extrêmement inquiet de l'occupation du bâtiment. Je ne peux pas assurer la sécurité du site, nos personnels ne sont pas assez nombreux, nous sommes complètement lâchés par nos autorités de tutelle. " Le responsable n'exclut pas de recourir à la police en cas de danger pour les personnes ou les biens.
Le climat s'est tendu ces derniers jours dans les universités. Assez pour que la ministre de l'enseignement supérieur, Frédérique Vidal, en appelle à " l'apaisement ", sur Franceinfo, jeudi, tout en marquant deux " lignes rouges " à ne pas franchir : " pas de violence dans les établissements " et " que les examens aient lieu dans les meilleures conditions ".
Blocage " illimité "Les violences survenues le 22 mars à la faculté de droit de Montpellier, lors de l'évacuation d'une trentaine d'étudiants qui occupait l'amphithéâtre de droit durant la nuit, par une dizaine d'hommes cagoulés et armés, apparaissent déjà comme un catalyseur d'une contestation jusqu'ici limitée dans les universités. Ces derniers jours, près d'une dizaine d'établissements rencontrent des situations de blocage ou des perturbations, sans compter divers rassemblements d'étudiants en solidarité à leurs camarades héraultais.
La mobilisation est en train de monter, assure-t-on du côté des étudiants qui s'opposent, depuis plusieurs mois, à la réforme des règles d'accès à l'université, dénoncée comme celle de la sélection. " Elle prend plus fortement qu'attendu, reconnaît un observateur du monde universitaire. Mais cela reste concentré dans les établissements d'arts, de lettres, et de sciences humaines et sociales, avec deux points de crispation : Toulouse et Montpellier. "
Le Mirail (Toulouse Jean-Jaurès) et Paul-Valéry (Montpellier-III), les deux grandes universités de sciences humaines traditionnellement engagées à gauche, sont déjà à l'arrêt depuis plusieurs semaines, et viennent chacune de reconduire le blocage. " Illimité ", ont acté les quelque 2 500 étudiants et personnels installés sur la pelouse du campus montpelliérain, mardi 27 mars, jusqu'à ce que leurs revendications soient entendues, au premier rang desquelles le retrait de la loi et la démission du président de leur établissement, accusé de mettre en œuvre cette nouvelle " sélection ".
Jusqu'au 3 avril, a décidé de son côté le millier de personnes réunies jeudi dans le grand amphi du Mirail, tout en se prononçant pour une manifestation unitaire avec les cheminots à cette même date. La situation a pris une tournure particulière à Toulouse, où le mouvement de grève des personnels a débuté il y a trois mois, d'abord par une opposition au projet de fusion de l'université avec d'autres établissements. Pour sortir de cette " paralysie ", alors que le budget n'a pu être voté, le ministère a récemment dissous les conseils de gouvernance du Mirail, et par là même écarté son président, avant d'y nommer un administrateur provisoire. Une décision qui a été dénoncée par les bloqueurs du site comme une mise sous tutelle autoritaire.
D'autres campus de lettres et de sciences humaines se sont ajoutés progressivement à la liste des universités bloquées, parfois ponctuellement ou en permanence, à Nantes, à Nancy, ou encore à Bordeaux, sur le site de la Victoire.
" La mobilisation se renforce avec un gouvernement qui accentue les tensions en ne laissant aucune place au dialogue ", estime Annliese Nef, enseignante-chercheuse à l'université Paris-I opposée à la réforme. " Mais les étudiants réagissent aussi à la manière dont ils sont traités, avec violence, sur différents campus en France ", ajoute-t-elle, en référence aux " interventions policières qui se sont produites à Bordeaux ou à Dijon ".
Craintes sur la tenue des partiels" Il y a une convergence de plusieurs éléments, estime Hervé Christofol, secrétaire général du Snesup, syndicat d'enseignants et personnels de l'enseignement supérieur opposé à la loi. Les répressions policières, l'action autoritaire du ministère de destituer la gouvernance à Toulouse ou les attaques de l'extrême droite à Montpellier ou à Paris-I ont joué un rôle. "
A Tolbiac (Paris-I), un local utilisé par l'Union des étudiants juifs de France a été retrouvé, mercredi 28 mars, saccagé, avec des inscriptions à caractère antisémite sur les murs. Un acte condamné fermement par les étudiants et les personnels occupant le lieu, qui ont dénoncé l'infiltration de membres de l'extrême droite dans les locaux.
Face à cette multiplication d'incidents et de blocages, des craintes sur la tenue des partiels, prévus dans quelques semaines, commencent à s'exprimer. " Les étudiants doivent pouvoir exprimer leurs opinions, mais bloquer un établissement, sur la base d'assemblées générales qui réunissent parfois une cinquantaine de personnes, dans des universités qui en comptent des dizaines de milliers, ce n'est pas possible ", réagit Jimmy Losfeld, de la Fédération des associations générales étudiantes, premier syndicat étudiant, favorable à la réforme en cours. Laissant augurer une multiplication des débats, récurrents en période de conflit dans les universités, entre " pro " et " anti " blocage.
Camille Stromboni
© Le Monde
A Montpellier, mise en examen de l'ex-doyen et d'un professeur
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Une semaine aprèsl'évacuation par des hommes encagoulés et armés de bâtons d'étudiants opposés à la réforme de l'accès à l'université, qui occupaient un amphithéâtre de la faculté de droit de Montpellier, l'ex-doyen de la faculté, Philippe Pétel, et un professeur d'histoire du droit, Jean-Luc Coronel de Boissezon, ont été mis en examen, jeudi 29 mars. Le premier pour" complicité d'intrusion ", le second pour " complicité d'intrusion et violences en récidive ", en raison d'une condamnation datant de 2013.
L'évacuation de la trentaine d'étudiants, issus en grande partie de l'université voisine de sciences humaines, Paul-Valéry, était intervenue dans la nuit du 22 mars à l'issue d'une journée tendue, avec des étudiants de droit et des enseignants qui s'opposaient au blocage de l'établissement. Philippe Pétel aurait reconnu avoir donné l'ordre de permettre l' " accès à des personnes extérieures à l'université ", pensant qu'il s'agissait de policiers, d'après le procureur Christophe Barret. Philippe Coronel serait pour sa part allé au contact des agresseurs. Plusieurs personnes ont affirmé qu'il faisait partie des hommes auteurs des violences dans l'amphi. Ce qu'il conteste.
DénonciationsLa ministre de l'enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a annoncé jeudi la suspension des deux universitaires, s'appuyant sur les premiers éléments de l'enquête administrative confiée en parallèle à l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, qui doit rendre ses conclusions en fin de semaine.
Le temps presse, car le climat reste tendu. A chaque jour, son lot de dénonciations d'enseignants et de personnels qui auraient eu des responsabilités, tandis que des vidéos des violences circulent sur Internet. " En l'état actuel de l'enquête, il n'y a aucun indice mettant en cause d'autres personnels ou étudiants ", précise le procureur.
" On a peur rien qu'à l'idée d'aller à notre propre fac ", confie Romane, étudiante en droit présente lors de l'évacuation, qui a l'intention de ne plus y remettre les pieds. La faculté de droit est fermée jusqu'au 3 avril, a décidé le président de l'université, qui espère d'ici là retrouver un climat " apaisé ".
C. St.
© Le Monde
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Parcoursup : comment les candidats à l'entrée en fac seront classés
Chaque établissement peut définir ses critères de priorité pour départager les futurs étudiants, faisant craindre des diversités de traitement
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Les quelque 890 000 lycéens et candidats en réorientation qui ont formulé un vœu sur la nouvelle plate-forme d'accès à l'enseignement supérieur Parcoursup ont jusqu'à samedi 31 mars, minuit, pour finaliser leurs candidatures. Comment les universités vont-elles trier les dossiers ? La question est sensible, alors que la réforme de l'accès aux études supérieures promulguée début mars leur impose la lourde tâche de classer tous les candidats pour les départager dans le cas où les capacités d'accueil seront atteintes, de la même façon que les filières déjà sélectives.
Notes, avis du conseil de classe, lettre de motivation… les éléments qui composent le dossier des candidats pourront être passés à la moulinette d'un " outil d'aide à la décision " que les équipes pédagogiques ont découvert en mars. Il permet à chaque établissement de définir ses critères de priorité pour effectuer le classement. Concrètement, les commissions d'examens des vœux peuvent y paramétrer quelle valeur est accordée à chaque élément du dossier dans la " note " totale du candidat. De cette multitude de paramétrages possibles, sur lesquels chaque formation a la main, dépend donc le classement final qui sera fait par l'algorithme de Parcoursup.
Dans la majorité des filières, les bulletins de première et de terminale seront le principal critère utilisé pour classer les candidats. L'outil permet de sélectionner les notes que l'on souhaite prendre en compte, mais aussi d'évaluer des " bouquets de matières ", -explique Sandrine Clavel, la -présidente de la Conférence des doyens de droit : " Une moyenne “ expression écrite” peut être faite avec les notes de français, d'histoire-géo ou de SES par exemple. "
Un livret distribué aux équipes pédagogiques, et auquel Le Monde a eu accès, montre comment pondérer ces notes avec des cœfficients, selon l'importance donnée à telle ou à telle matière. Mais aussi selon la filière : " Un 15 en mathématiques en série scientifique vaudra sans doute plus qu'un 15 en série technologique ", illustre une enseignante-chercheuse membre de l'Observatoire de la sélection universitaire, collectif d'universitaires mobilisés pour " rendre -Parcoursup plus transparent ". Cette pondération, laissant sous-entendre que tous les bacs ne se valent pas, fait grincer des dents du côté du syndicat étudiant Fage, pourtant soutien de la réforme.
Autre sujet qui fâche : afin de prendre en compte les possibles différences de niveau, et donc de notation, selon les lycées, des -universitaires s'interrogeaient sur la possibilité de pondérer aussi les notes en fonction du -lycée d'origine, quitte à graver dans le marbre l'existence de -lycées à deux vitesses.
" Algorithmes maison "Officiellement, le sujet est tranché : l'outil de classement proposé aux universités ne le permet pas directement. " La procédure étant nouvelle, nous ne sommes de toute façon pas capables de le faire cette année. Nous n'avons pas de recul sur les lycéens qui vont postuler chez nous ", commente Frédéric Dardel, le président de l'université Paris-Descartes, plutôt favorable à cette pondération.
Afin de valoriser le fait d'avoir suivi une option particulière, ou eu des activités -extrascolaires (bénévolat, BAFA, sport, etc.), les commissions d'examen peuvent aussi ajouter des bonifications au dossier des candidats, afin de les faire remonter dans le classement. Elles ont aussi la possibilité de transformer en nombre de points les mentions présentes sur l'avis du -conseil de classe ( " favorable "," non favorable ",etc.).
Mais ce classement, qui nécessite de quantifier tous les éléments du dossier de l'élève, impose aussi aux universités de donner une " note " à la lettre de motivation ou au CV, et donc de les lire individuellement. Lecture hasardeuse, voire impossible, face aux milliers de dossiers reçus, elle laisse présager une utilisation là encore différenciée de ces éléments -selon le nombre de personnes mobilisées pour trier les dossiers. Plusieurs filières ont déjà annoncé ne pouvoir les utiliser qu'à la marge afin, par exemple, de -départager les ex aequo.
Pour résumer : à chaque formation son classement. Une diversité de traitement à laquelle il faut ajouter les " algorithmes maison " développés par certaines filières. Liberté est laissée aux formations d'utiliser l'outil d'aide à la décision de Parcoursup, ou bien d'effectuer leur propre classement à partir d'un tableur personnel, avant de le réintégrer à la plate-forme. De quoi rendre vaine la -volonté de transparence du président de la République, qui a réclamé, jeudi 29 mars, la publication de l'algorithme de Parcoursup. Mais lequel ?
Séverin Graveleau
© Le Monde
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