Translate

samedi 31 mars 2018

En Egypte, Sissi réélu sans être parvenu à mobiliser


31 mars 2018

En Egypte, Sissi réélu sans être parvenu à mobiliser

Avec seulement 40 % de participation, le scrutin ne confère pas au président la légitimité populaire espérée

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Aucun suspense n'entourait l'élection présidentielle égyptienne. Avant même la proclamation des résultats officiels, la presse gouvernementale a annoncé, jeudi 29  mars, la victoire du président Abdel Fattah Al-Sissi. Au terme des trois jours de scrutin, du 26 au 28  mars, les premiers résultats provisoires placent le président sortant largement en tête, avec 92  % des suffrages exprimés, face à son rival, Moussa Mostafa Moussa. Le chef du petit parti d'opposition Al-Ghad, qui recueillerait 3  % des suffrages, n'en attendait pas plus : soutien déclaré du président, il avait accepté de jouer le candidat de circonstance pour sauver les apparences d'un scrutin pluraliste après que tous les autres candidats déclarés eurent jeté l'éponge ou été arrêtés.
Seul réel enjeu de l'élection, la participation s'élèverait autour de 40  %, soit 25  millions de votants sur les 60  millions d'inscrits sur les listes électorales, selon le quotidien d'Etat Al-Ahram. C'est en deçà de l'objectif affiché par les autorités d'égaler le taux de partici-pation de 47  % du scrutin de 2014, qui avait vu la victoire du président Sissi avec 96  % des suffrages. En l'absence de véritable compétition, les autorités comptaient sur une forte mobilisation pour -donner une légitimité à l'élection, en Egypte et à l'étranger.
Soutien zéléA deux heures de la clôture du vote, au  Caire, le 28  mars au soir, la participation était nettement en deçà. Dans les bureaux proches de la rue Mosaddek à -Dokki, un quartier de classe moyenne supérieure, la participation s'établissait entre 25 % et 30  % des inscrits, en majorité des femmes et des personnes âgées, et très peu de jeunes, selon les juges en charge de la surveillance des bureaux de vote interrogés par Le Monde. Pourtant, note l'un d'eux, Dokki est " un quartier qui vote ". Dans le quartier pauvre de Boulaq, la participation a été plus faible encore. Malgré les dizaines de personnes qui se pressaient à trois heures de la clôture pour voter dans l'école du martyr Magdi Mohamed Hassan, les juges prédisaient un taux de participation de 20  %.
Lors de la campagne et pendant le scrutin, les autorités et leurs soutiens ont déployé des efforts considérables pour mobiliser un électorat apathique. L'absence de compétition a détourné de nombreux électeurs du vote, notamment les jeunes et ceux qui ont le plus pâti des effets des réformes économiques. " Il faut différencier entre participation et mobilisation, analyse Moustapha Kamel El-Sayyid, professeur de sciences politiques à l'université du  Caire. Il y a ceux qui, pour des raisons -objectives, sont en faveur du président Sissi : les femmes, les coptes et les membres de la classe moyenne et aisée qui apprécient son bilan en matière de stabilité et de sécurité, et son action contre les Frères musulmans. Ils estiment qu'il n'y a pas d'alternative à la présence de -l'armée donc, au président Sissi. "
Mais pour le politologue, la participation s'explique aussi par la " forte mobilisation des administrations publiques et des entreprises privées auprès de leurs employés pour aller voter ". Chansons patriotiques, bannières à l'effigie de Sissi, stands d'animation et collations gratuites à l'entrée des bureaux de vote : les médias fidèles au régime, les institutions religieuses, les associations de femmes et les hommes d'affaires ont fait montre d'un soutien zélé.
Dans un climat de répression et de surveillance de plus en plus pesant, et alors que des milliers -d'opposants et de critiques du régime sont en prison, les incitations au vote et la perspective d'une amende (500  livres égyptiennes, soit 22  euros) ont pu jouer. Certains représentants n'ont pas -hésité à exercer un chantage au vote. " Nous réparerons l'adduction d'eau, l'évacuation des égouts et l'électricité dans la munici-palité qui aura le plus grand nombre de votes ", a déclaré, lundi, sur la chaîne de télévision privée -Mehwar, Nadia Abdou, la gouverneure de la province de Beheira, qui englobe Alexandrie. Un employé administratif de l'université du  Caire confie, sous couvert de l'anonymat, avoir reçu l'ordre avec ses autres collègues de quitter l'établissement à 13  heures et de ne revenir que le lendemain avec " le doigt rose " – la couleur de l'encre dans laquelle chaque électeur doit tremper le doigt après avoir déposé son bulletin dans l'urne – sous peine de sanctions.
Selon des témoignages recueillis par l'agence américaine Associated Press (AP), les autorités ont ordonné aux membres du syndicat des vendeurs de rue du  Caire de mobiliser leurs membres pour le vote, sous peine de se voir confisquer leurs biens par la police. Dans les régions du sud du pays, dont Assiout, Sohag et Minya, la police a fait du porte-à-porte pour demander aux gens de voter, selon des témoins cités par AP. L'agence américaine mentionne également des promesses de dons alimentaires faites par des magasins d'Etat au  Caire et la promesse faite par une organisation de charité de donner 100  livres égyptiennes aux votants dans un village au sud du  Caire.
" Farce électorale "Les opposants au président Sissi et ses détracteurs, qui ont dénoncé une " farce électorale ", expriment désormais la crainte d'une modification de la Constitution afin de supprimer la limite des deux mandats de quatre ans, que de nombreux des soutiens du président appellent de leurs vœux. " On n'en reprend pas pour quatre ans, je peux vous garantir qu'on est partis pour trente ans ", se lamente une jeune Cairote qui requiert l'anonymat.
" C'est une crainte légitime ", estime le professeur de sciences politiques Moustapha Kamel -El-Sayyid. A l'automne 2017, il a lancé une pétition signée par des chefs de partis libéraux et d'anciens soutiens du président Sissi pour s'opposer à la pro-position d'un député de modifier la -Constitution de 2014 pour abroger l'article qui interdit de modifier le nombre et la durée des mandats. Même parmi les plus fervents soutiens du président, certains s'opposent à cette idée. " S'ils veulent changer la Consti-tution, ils doivent organiser un -référendum, assureGamal Eddin Morsi, un retraité âgé de 65 ans.Les gens ne vont pas accepter qu'une personne reste encore au pouvoir trente ans comme par le passé. "
Hélène Sallon
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire