Il aura fallu attendre que le train blindé vert à bordures jaunes, qui, depuis qu'il avait passé le pont de l'Amitié reliant la Chine à la Corée du Nord, et rallié Pékin, suscitant d'intenses spéculations, ait franchi la frontière dans l'autre sens pour que les deux voisins confirment que Kim Jong-un se trouvait bien à son bord. Il s'agissait là du premier déplacement à l'étranger du jeune dirigeant nord-coréen.
L'agence de presse officielle Chine Nouvelle évoque une visite
" non officielle " mais M. Kim a été reçu en grande pompe. Accompagné de son épouse, Ri Sol-ju, il a été accueilli au Grand Palais du peuple par le président Xi Jinping et la première dame, Peng Liyuan. Ils ont assisté à un banquet ainsi qu'à un spectacle et visité l'Académie des sciences de Chine, où leur ont été montrées les maquettes illustrant le fulgurant développement chinois, notamment le télescope géant construit dans le sud du pays.
" On parle beaucoup de cette visite ", s'est réjoui M. Xi. Les six années de dégradation des relations entre les deux alliés communistes ont semblé, un instant, oubliées.
Depuis qu'il a succédé en 2011 à son père, Kim Jong-un a multiplié les gestes agaçant son puissant voisin. Deux ans après son installation au pouvoir, il faisait exécuter son oncle, Jang Song-thaek, vu comme le point de contact entre la Chine et le régime nord-coréen. Puis dans sa détermination à se doter d'une dissuasion effective, il a procédé à quatre essais nucléaires et multiplié les tirs de missiles : plus de 80 depuis qu'il a pris la direction du pays, dont 44 sur les seules années 2016-2017.
En retour, Pékin a, contrairement à ses habitudes, voté les sanctions auxquelles poussaient les Etats-Unis. Il y a seulement quatre mois, M. Kim n'avait pas jugé utile de recevoir le chef du département international du Parti communiste chinois, Song Tao, dépêché à Pyongyang par Xi Jinping au pire de l'escalade verbale, lorsque Donald Trump traité de
" gâteux " par le Nord s'en prenait à son dirigeant
" petit et gros ".
Mais un tournant est intervenu avec le passage à l'année 2018. La République populaire démocratique de Corée a cessé ses tirs depuis l'automne et, dans son discours du Nouvel An le 1er janvier, M. Kim a saisi la main tendue par le président sud-coréen, Moon Jae-in, partisan du dialogue. L'accélération depuis a laissé les observateurs interloqués : l'envoi d'une délégation nord-coréenne aux Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchang en février, la préparation d'un sommet réunissant MM. Kim et Moon prévu pour la fin avril, et la proposition d'une rencontre sans précédent avec Donald Trump que le président américain, apparemment sans consulter son appareil diplomatique, a accepté, même si le lieu et la date restent à fixer.
" Devoir solennel "Le dirigeant nord-coréen a repris à Pékin les éléments de langage avancés ces dernières semaines et qui rendent possibles, du point de vue de Séoul et Washington, les rencontres à venir avec Moon Jae-in et Donald Trump.
" Notre position constante est d'être engagés en faveur de la dénucléarisation de la péninsule coréenne ", a déclaré Kim Jong-un, évoquant une
" volonté " de son père et de son grand-père. Le régime présente pourtant la bombe comme une condition de sa survie et a fait inscrire son statut de puissance nucléaire dans sa Constitution. Nul ne sait quel type d'engagement il pourra fournir lorsque les faucons dont s'est entouré M. Trump – le secrétaire d'Etat Mike Pompeo et le conseiller à la sécurité nationale John Bolton – demanderont un calendrier de démantèlement détaillé.
La Chine, qui avait joué le durcissement de ton avec le reste de la communauté internationale, évoluait à contre-emploi.
" C'est le point le plus fondamental de cette visite, dit Shi Yinhong, professeur de relations internationales à l'université du Peuple à Pékin.
Ces trois derniers mois, la Chine n'était plus qu'un spectateur passif, elle devait revenir dans le jeu et c'est pour elle la valeur de cette rencontre. "
Semblant balayer les tensions, Kim Jong-un aurait, selon l'agence officielle nord-coréenne KCNA, déclaré :
" Il ne fait aucun doute que ma première visite à l'étranger - devait être -
pour la capitale chinoise. " Il a évoqué un
" devoir solennel " de maintenir les relations sino-nord-coréennes
" à travers les générations ", une référence à la solidarité de la Chine de Mao Zedong envers son grand-père Kim Il-sung, lors de la guerre de Corée (1950-1953) et par la suite.
En réalité, rien n'est oublié, précise M. Shi :
" Malgré l'accueil chaleureux, la Chine a la mémoire longue. " Peut-être aussi Pékin voulait-il faire passer un message aux Etats-Unis à l'heure où l'administration Trump active ses menaces de guerre commerciale : la Chine, qui a la main sur l'application des sanctions avec la Corée du Nord, conserve des leviers de nuisance. M. Kim a invité M. Xi
" à effectuer une visite officielle en RPDC à un moment approprié ". L'invitation a été acceptée
" avec plaisir ".
Harold Thibault
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