L'Assemblée nationale s'est figée dans un silence de cathédrale, mardi 27 mars, en souvenir des victimes des attaques terroristes survenues en fin de semaine dernière dans l'Aude. A la veille de l'hommage national, rendu mercredi, par Emmanuel Macron, aux Invalides, les députés ont salué la mémoire du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame et son acte de bravoure. Le gendarme, mort après s'être substitué à une otage de Radouane Ladkim dans un supermarché de Trèbes, sera enterré jeudi 29 mars dans l'Aude.
" L'image - du terroriste -
s'efface derrière celle d'un héros ", a déclaré Edouard Philippe, dans l'Hémicycle, au cours d'une longue prise de parole lors des questions au gouvernement.
" Il incarne la République, il est son image, son corps ", a poursuivi le premier ministre, disant son
" sentiment mêlé d'immense fierté et de très grande humilité " face au
" courage " du gendarme.
Dans un hommage appuyé, presque une oraison funèbre, Jean-Luc Mélenchon avait évoqué quelques instants plus tôt un homme qui
" a assumé la primauté d'un altruisme absolu, celui qui prend pour soi la mort possible de l'autre ". Des mots puissants acclamés par l'ensemble des députés, Marine Le Pen inclue. Elle les a salués discrètement, tapant du plat de la main sur son pupitre. Inédit pour M. Mélenchon, qui suscite bien plus souvent l'agacement de ses collègues que leurs applaudissements. Au final, c'est bien l'intervention du chef de file de La France insoumise, saluant en Arnaud Beltrame,
" un héros de la condition humaine ", qui a été la plus remarquée de l'après-midi. Même si le premier ministre, Edouard Philippe, n'a pas répondu à son appel au deuil national.
Mises en gardeL'heure n'était cependant pas à la grande union sur les bancs du Palais-Bourbon. Là même où les députés avaient à l'unisson chanté
La Marseillaise le 13 janvier 2015 après les attaques contre
Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, la tension entre groupes politiques restait vive. Dans l'Hémicycle, deux camps se distinguaient clairement mardi après-midi. D'un côté figuraient les groupes de gauche (socialiste, communiste, La France insoumise) et de la majorité (La République en marche et MoDem), qui se sont levés pour applaudir le discours d'Edouard Philippe. De l'autre, ses anciens camarades du groupe Les Républicains (LR), et les quelques députés du Front national présents, dont Marine Le Pen, restés assis.
Depuis plusieurs jours, la droite et l'extrême droite multiplient les critiques quant à l'action du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme.
" Nous pensons que le temps est venu de prendre de nouvelles décisions ", a lancé Christian Jacob, président du groupe LR, en reprenant les propositions avancées par Laurent Wauquiez, lundi, tel le retour de l'état d'urgence, l'enfermement des
" individus français radicalisés et fichés " et l'expulsion du territoire de ceux de nationalité étrangère.
" Il n'y a pas pire mépris à l'égard des victimes que de ne rien vouloir changer ", avait, plus tôt dans la journée, accusé Marine Le Pen.
Dans les autres groupes politiques, l'indignation était de mise.
" Personne ne devrait prendre prétexte du malheur qui nous frappe pour enclencher une surenchère démagogique ", a déclaré Olivier Faure, nouveau premier secrétaire du Parti socialiste.
" Ceux qui croient pouvoir promettre aux Français un risque zéro (…)
prennent, dans leur légèreté, une bien lourde responsabilité ", a pour sa part répondu Edouard Philippe.
Si le premier ministre a jugé
" légitimes " les
" interrogations " de l'opposition, il les a aussi écartées une à une.
" Je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que la loi doit intervenir immédiatement après la survenance d'un attentat ", a-t-il dit. Pas question pour le gouvernement de revenir à l'état d'urgence alors que la loi antiterroriste votée en octobre a fait entrer dans le droit commun certaines de ses prérogatives.
Proposer d'expulser ou d'enfermer les " fichés S " – Radouane Lakdim en faisait partie –, c'est, pour M. Philippe,
" méconnaître nos outils de renseignement " et
" l'état de droit ". "
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses ", a-t-il déclaré en -référence aux déclarations de l'un de ses prédécesseurs, Manuel Valls, qui avait évoqué, dimanche, la possibilité d'interdire le salafisme.
" On ne peut pas interdire une idée, on peut sanctionner les comportements qu'elle entraîne ", a précisé M. Philippe.
Si l'ensemble des députés de La République en marche (LRM) ont salué l'intervention du premier ministre lors des questions au gouvernement, les débats avaient été vifs, le matin même dans le huis clos de leur réunion de groupe. Lors de cette rencontre qui s'est tenue en présence d'Edouard Philippe, les interrogations ne sont pas venues, contrairement à ce qui était attendu, de Manuel Valls. Le député de l'Essonne (apparenté LRM) a assisté à la rencontre, sans prendre la parole, alors que la majorité du groupe rejette ses propositions.
C'est de l'ex-patron du RAID, l'unité d'intervention de la police, Jean-Michel Fauvergue, qu'est venue la controverse.
" Pourquoi n'expulse-t-on pas ceux qui sont expulsables ? ", a-t-il demandé au sujet des étrangers " fichés S " les plus dangereux. Le député de Seine-et-Marne a également interrogé le premier ministre sur la faiblesse du nombre de " visites domiciliaires " (les perquisitions administratives encadrées par la loi antiterroriste) chez les personnes suspectées de terrorisme. Une -intervention applaudie par une partie du groupe.
Le premier ministre a répondu sur les " fichés S " en disant se
" méfier des réponses juridiques rapides ". Quant aux visites domiciliaires, il a rétorqué que ce n'était pas aux responsables politiques de décider d'augmenter leurs fréquences mais
" aux forces de l'ordre " de
" se saisir " de
" l'arsenal juridique " existant.
Autre prise de parole remarquée : celle de l'ex-juppéiste, proche du premier ministre, Marie Guévenoux, qui a souligné la nécessité d'afficher la fermeté du gouvernement lors de l'examen du projet de loi asile-immigration, qui sera débattu en commission à partir du 4 avril.
" Comme nous ne sommes pas dans la surenchère, il ne faudrait pas que nous soyons dans la tiédeur ", a déclaré la députée de l'Essonne.
Ces prises de position ont suscité les mises en garde de certains élus. Florent Boudié, responsable du texte asile-immigration, a appelé ses collègues à veiller à ne pas faire d'amalgame entre la lutte contre le terrorisme et l'immigration.
" Il faudra qu'on tienne bon lors de l'examen du projet de loi ", a-t-il déclaré, en mettant en garde sur le risque de
" tomber dans le piège " des élus LR, qui pourraient être tentés de faire le lien entre les deux sujets. Son collègue du Val-d'Oise, Aurélien Taché, est également intervenu dans ce sens, jugeant
" dangereux de glisser du débat sur la lutte contre le terrorisme à celui sur l'immigration ". Loin de l'unité affichée en public, les débats s'annoncent vifs dans une majorité qui cherche encore sa ligne sur les sujets régaliens.
Alexandre Lemarié, et Manon Rescan
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