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Palestine : Monsieur le Président, vous égarez la France
Une jeunesse des
quartiers populaires stigmatisée
Cette jeunesse n’a-t-elle pas, elle aussi, des idéaux,
des principes et des valeurs ? N’est-elle pas, autant que vous et moi,
concernée par le monde, ses drames et ses injustices ? Par exemple,
comment pouvez-vous ne pas prendre en compte cette part d’idéal, fût-il ensuite
dévoyé, qui pousse un jeune de nos villes à partir combattre en Syrie contre un
régime dictatorial et criminel que vous-même, François Hollande, avez
imprudemment appelé à « punir » il
y a tout juste un an ? Est-ce si compliqué de savoir distinguer ce
qui est de l’ordre de l’idéalisme juvénile et ce qui relève de la menace
terroriste, au lieu de tout crimi naliser en bloc en désignant indistinctement
des « djihadistes » ?
Le pire, c’est qu’à force
d’aveuglement, cette politique de la peur que, hélas, votre pouvoir assume à
son tour, alimente sa prophétie autoréalisatrice. Inévitablement, elle
suscite parmi ses cibles leur propre distance, leurs refus et révoltes, leur
résistance en somme, un entre soi de fierté ou de colère pour faire face aux
stigmatisations et aux exclusions, les affronter et les surmonter. « On finit par créer un
danger, en criant chaque matin qu’il existe. À force de montrer au peuple
un épouvantail, on crée le monstre réel » : ces lignes
prémonitoires sont d’Émile Zola, en 1896, au seuil de son entrée dans la mêlée
dreyfusarde, dans un article du Figaro intitulé « Pour les Juifs ».
Zola avait cette lumineuse prescience de ceux qui savent
se mettre à la place de l’autre et qui, du coup, comprennent les révoltes,
désirs de revanche et volonté de résister, que nourrit un trop lourd fardeau
d’humiliations avec son cortège de ressentiments. Monsieur le Président, je ne
mésestime aucunement les risques et dangers pour notre pays de ce choc en
retour. Mais je vous fais reproche de les avoir alimentés plutôt que de savoir
les conjurer. De les avoir nourris, hélas, en mettant à distance cette jeunesse
des quartiers populaires à laquelle, durant votre campagne électorale, vous
aviez tant promis au point d’en faire, disiez-vous, votre priorité. Et, du
coup, en prenant le risque de l’abandonner à d’éventuels égarements.
7. Vous avez, pour finir, commis une faute morale en
empruntant le chemin d’une guerre des mondes, à l’extérieur comme à
l’intérieur. En cette
année 2014, de centenaire du basculement de l’Europe dans la barbarie
guerrière, la destruction et la haine, vous devriez pourtant y réfléchir à deux
fois. Cet engrenage est fatal qui transforme l’autre, aussi semblable soit-il,
en étranger et, finalement, en barbare – et c’est bien ce qui nous est arrivé
sur ce continent dans une folie destructrice qui a entraîné le monde entier au
bord de l’abîme.
Jean Jaurès, dont nous allons tous nous souvenir le 31
juillet prochain, au jour anniversaire de son assassinat en 1914, fut vaincu
dans l’instant, ses camarades socialistes basculant dans l’Union sacrée alors
que son cadavre n’était pas encore froid. Tout comme d’autres socialistes,
allemands ceux-là, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, finirent assassinés en
1919 sur ordre de leurs anciens camarades de parti, transformés en
nationalistes et militaristes acharnés. Mais aujourd’hui, connaissant la suite
de l’histoire, nous savons qu’ils avaient raison, ces justes momentanément
vaincus qui refusaient l’aveuglement des identités affolées et apeurées.
Vous vous souvenez, bien sûr, de la célèbre prophétie de
Jaurès, en 1895, à la Chambre des députés : « Cette société violente et
chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état
d’apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte
l’orage. » Aujourd’hui
que les inégalités provoquées par un capitalisme financier avide et rapace ont
retrouvé la même intensité qu’à cette époque, ce sont les mêmes orages qu’il
vous appartient de repousser, à la place qui est la vôtre.
Vous n’y arriverez pas en continuant sur la voie funeste
que vous avez empruntée ces dernières semaines, après avoir déjà embarqué la
France dans plusieurs guerres africaines sans fin puisque sans stratégie
politique (lire ici l’article de
François Bonnet). Vous ne le ferez pas en ignorant le souci du
monde, de ses fragilités et de ses déséquilibres, de ses injustices et de ses
humanités, qui anime celles et ceux que le sort fait au peuple palestinien
concerne au plus haut point.
Monsieur le Président, cher
François Hollande, vous avez eu raison d’affirmer qu’il ne fallait pas « importer » en France le conflit
israélo-palestinien, en ce sens que la France ne doit pas entrer en guerre avec
elle-même. Mais, hélas, vous avez vous-même donné le mauvais exemple en
important, par vos fautes, l’injustice, l’ignorance et l’indifférence qui en
sont le ressort.
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