HISTOIRE et MEMOIRE
Un poilu : "J'ai vu un capitaine mettre son revolver sur la tête d'un sergent-major pour le faire avancer"
Photo prise le 8 avril 2014 au musée des lettres et des manuscrits de Paris. Une photo de soldats français durant la première guerre mondiale. AFP PHOTO / FRANCK FIFE
Photo prise lUn poilu anonyme livre son récit de guerre de l'année 1914. Cette fois-ci, le combat est bien engagé. Les obus pleuvent et des compagnons de bataillons sont fauchés.
Après avoir fait une longue marche, voilà qu’on nous donne des cartouches. Bon, ça sent mauvais qu’on se dit. En effet, on nous fait mettre en colonne un par un dans les fossés de la route. Je suis avec Deffontaines et nous voilà partis. Nous arrivons à un village, le canon tonne déjà comme il faut, des blessés sont transportés dans des maisons. Nous avons comme mission de garder le village, on nous met en patrouilleurs sur une crête et nous ne bougeons plus. Nous avons même mangé un morceau de pain.
Il y avait quatre heures que nous étions là que pan, pan, pan : six obus sur nous, six blessés, un tué. Nous étions repérés. Le lieutenant crie "Sauve qui Peut". Mieux aurait-il fallu aller de l’avant, car nous voyant nous sauver, les Boches ont rallongé leur tir et nous avons fait encore des victimes.
J’ai vu de mes yeux un obus éclater sur la tête de l’un d'entre nous. On ne savait plus où se mettre. Nous rentrons dans le village, nous nous sauvons toujours. Oui, mais un capitaine arrive :
Eh bien, on a peur des obus maintenant ? Allez reprendre votre poste !
Pan, un obus à deux mètres de moi
Tout le monde se regarde, alors voilà les plus braves qui se décident. Eux, le caporal et moi, nous rasons les murs et à chaque obus on se couche. Je reprends ma place parmi les premiers. Pan, un obus à deux mètres de moi, mais celui-là rentre dans la terre, y fait un grand trou dans lequel j’ai roulé. J’étais noir, enfin, je n’avais rien. Du coup, je rampe jusqu’à la route. Là, je suis plus en sûreté, je reste jusqu’à neuf heures du soir.
On nous apprend que les Boches reculent et que nous allons les attaquer à la baïonnette. On se rassemble à la sortie du village, nous étions contents d’aller à la baïonnette. Nous partons en colonne un par un dans le fossé. Les mitrailleuses boches nous tirent dessus, quelques-uns sont touchés. On nous crie "En tirailleurs" et nous voilà en plein dedans.
Les balles et les obus rappliquent, nous avançons par bonds de 10 à 20 mètres en profitant des accidents de terrain. Les balles tombent à côté de moi mais j’ai toujours soin de me mettre derrière mon sac, et en courant je mets mon sac sur le devant de ma poitrine ; voilà mon impression :
Bah, je serai blessé, après, je serai tranquille"
Et j’étais d’une franchise incroyable. J’ai vu un capitaine mettre son revolver sur la tête d’un sergent- major pour le faire avancer. Plus loin, moi-même, j’ai fait avancer un caporal d’une autre compagnie qui voulait tirer au flanc.
Si seulement nous avions un peu d’eau
La deuxième retraite fut terrible car nous étions depuis 30 heures sans eau, et un soleil ardent nous abattait. Deffontaines et moi, nous partons derrière les autres, mais à peine avons nous fait 500 mètres que nous devons nous reposer. Nous regagnons la route et nous marchons (bien doucement). Ce n’est que des hommes couchés presque sans vie et demandant à boire. Je pensais tout à l’heure nous allions être dans le même cas, si seulement nous avions un peu d’eau. Quand, tout à coup, un soldat surgit avec un bidon d’eau. Il nous en donne un tout petit peu et nous indique qu’il y en a au patelin à gauche, à deux kilomètres. Nous rassemblons nos forces et nous voilà partis à trois, Deffontaines, Stievenard et moi.
Nous rentrons dans une petite ferme abandonnée, nous buvons de suite, puis on se déshabille nus et on se lave à grande eau. Nous prenons des chemises dans la maison. Par malheur il n’y avait que des chemises de femme. Nous en mettons une et une autre dans notre sac. Cela nous a rétabli, nos forces sont revenues. On fait du café et nous cherchons de quoi manger : je trouve deux œufs, les autres trouvent de la crème on se met à table, puis en route avec nos bidons d’eau, plus un litre à chaque main.
Nous arrivons à Marie à la nuit, là les habitants y étaient encore, ils avaient ordre de partir le lendemain. Deffontaines et moi, on couche dans un grenier qu’une bonne femme veut bien nous céder. Nous faisons une nuit magnifique. On nous réveille à 5 heures, le temps de se laver et en route pour rejoindre le régiment.
On avait fusillé des retardataires qui le faisaient exprès
On demande des renseignements, personne n’a vu le 43e d’infanterie. Un officier nous dit d’aller dans la direction de Laon, nous traversons Marie, par bonheur j’ai pu acheter un demi-pain, 5 œufs et des sardines. Nous nous installons sur le pas d’une porte et nous dévorons nos vivres quand passent trois soldats du 43e perdus comme nous.
Deffontaines s’en va trouver le maire et lui demande de lui faire un écrit spécifiant que nous sommes à la recherche de notre régiment et que nous sommes passés à telle heure. Le maire lui fit avec notre nom à tous. Avec ça, nous étions tranquilles car nous avions su que l’on avait fusillé des retardataires qui le faisaient exprès.
Nous nous mettons en route, nous marchons encore deux jours avec bien de la difficulté : Deffontaines et Ringo ont mal aux pieds, ceux de Ringo sont en sang. C’est avec bien de la difficulté qu’ils marchent. Moi, ça va assez bien. On profite pour soulager Deffontaines qui, malgré cela, tient bon. Nous rencontrons un général. Deffontaines, toujours sous le nom de son oncle, demande où est le premier corps. Il ne le sait pas et nous sommes toujours à marcher, nous arrivons à Craonne.
À 3 heures, nous rentrons à notre compagnie, à la stupéfaction de nos camarades qui nous croyaient prisonniers. On se présente à notre lieutenant. Deffontaines lui fait voir sa feuille comme quoi nous avons fait tout notre possible pour les retrouver. De joie, Deffontaines m’envoie chercher une bouteille de champagne que je paie 3 frs 50. Nous la vidons à deux, puis nous devons être de garde en avant-postes, jusqu'à 2 heures du matin. À 2 heures et demie, j’avais de la fièvre et c’est en me tenant aux voitures que j’ai pu arriver.
Voilà les obus qui rappliquent
A midi nous passons la Marne, je commence à aller mieux. Grande halte en plein champ, on fait la popote. A peine cuit, voilà les obus qui rappliquent. Il faut partir, nous passons la nuit dans un fossé, j’étais gelé. En route, nous traversons un grand bois à deux heures de l’après-midi, nous cantonnant dans un petit village abandonné. Quelle joie pour nous, il y avait des poules, des lapins, des cochons et nous avons ordre de prendre ce que l’on voulait. J’ai pris un lapin pour Deffontaines et moi. Partout c’était la fête.
Plus d’eau et tout le monde a soif. Derrière nous, il y a un puits mais voilà, faut pouvoir y aller. Le sergent demande qui veut se dévouer. Ma foi moi je me dis "bah, j’ai bien passé jusque maintenant" et puis tant pis je fais passer tous les bidons et d’un seul coup, ouf, me voilà parti.
Les boches lâchent leurs mitrailleuses, j’arrive sans être touché, je remplis mes bidons et je me remets à ma place. Les copains sont contents et le sergent me félicite. Quand vers la tombée de la nuit, le commandant nous crie de reculer : on bombarde le village. C’est à contre cœur que l’on recule et encore il fallait partir un par un pour ne pas être tué ou blessé. Nous nous mettons à 2 kilomètres du village, qui commence à être incendié par les Boches. Là, on fait une tranchée et nous attendons.
Des blessés crient "Maman"
Voici la nuit, c’est lugubre, le village en feu, des blessés qui crient "Maman". Nous autres avons faim, si bien que je me décide à aller chercher quelques navets dans un champ au-devant de nous. Nous mangeons de bon cœur, quand nous entendons crier au secours plusieurs fois.
On se décide à quatre et nous allons à la recherche du blessé. Nous le trouvons, c’était un de notre escouade qui avait une balle qui lui avait traversé le ventre et était sortie par derrière ; nous mettons nos fusils en croix et nous le transportons. Le lieutenant nous le fait conduire au poste de secours, une fois là nous en profitons pour regarder dans quelques sacs de tués, je réussis à trouver quelques biscuits que je partage avec Deffontaines. Le reste de la nuit se passe sans incident.
Les habitants nous donnent des pommes
En route on passe la Marne sur des ponts du Génie. Nous rentrons à Dormans et sommes accueillis avec joie. Plus loin, on fait la pause, puis vient la pluie. Nous mangeons un œuf, de la confiture et nous buvons du jus de cerise. A partir de ce jour, Deffontaines et moi n’aurons plus faim grâce au caporal, qui a beaucoup d’argent.
La pluie tombe à verse en traversant le village. Une curiosité, un obus 75, est venue se planter juste au beau milieu de la devanture d’une maison sans éclater. L’obus est rentré de moitié et les habitants de cette maison étaient encore là, ils devaient avoir peur.
Nous continuons notre route dans un autre village on nous dit que les Boches viennent de partir il y a une heure, les habitants nous donnent des pommes. Dans un autre, on nous dit qu’ils ont pris des civils et des cochons. On fait la pause. On mange une tartine de confiture avec un bon quart de vin, du vin que j’ai pu acheter en route.
Je ne me rendais pas compte du danger
Nous sommes en plein combat. Par deux fois, les Boches ont attaqué et c’était plaisant pour nous de tirer sur eux. Quel combat ! Des cris partout :"feu, feu, feu", "je suis blessé", "Maman"… Moi, j’ étais fou. De temps en temps, je buvais une petite goutte de rhum ainsi que Deffontaines. Et de plus belle je tire, j’avais même vidé deux cartouches à terre.
Je ne me rendais pas compte du danger. J’en avais pas peur. Chaque fois qu’un Boche passait à hauteur d’un poteau en face de moi, flan une balle. Etant bon tireur, je serais bien saisi si j’en ai pas tué quelques-uns. Cela dura deux heures. Des cris et des coups de feu mélangés par les éclatements d’obus, c’était à ne pas croire le vacarme qui se faisait.
Les boches réattaquent. L’artillerie française tire à la hausse 200, les Boches volaient en l’air, quel carnage. Et nous de crier de plus belle. Beaucoup de copains sont tués et blessés. Nous ne sommes plus que quinze ou seize de la section, nous attendons notre tour mais n’y pensons pas. Je suis touché de voir à mon côté un copain tué d’une balle en pleine poitrine, je me souviendrai longtemps de cette bataille.
Un village en feu
A présent c’est la nuit. Sur notre gauche, on entend les sonneries boches. C’est lugubre. Plus loin, c’est la Marseillaise. En face, les Boches attaquent, les blessés se plaignent. Le ciel est rouge, un village en feu, quelles visions.
Enfin à 8 heures vient un peu de calme, quand tout à coup nous sommes mitraillés, de flan et de face. Nous ne restons plus que quatorze. Plus de gradés. Ne pouvant plus tenir, nous partons en rampant.
Flan un obus près de nous, il n’éclate pas, quelle veine. Du coup nous filons à toutes jambes, derrière le bois ou là avec du renfort nous revenons, mais ce fut tout pour ce soir. On mange un morceau et on boit un coup de vin. Nous devons faire attention, on est sentinelles. Toutes les deux heures, il faut ouvrir l’œil. Quand on est pas de garde, on dort sur la voie ferrée c’est un peu dur mais l’on dort.
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