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mardi 24 juillet 2018

Le Royaume-Uni post-Brexit, cheval de Troie du trumpisme ?

24 juillet 2018

Le Royaume-Uni post-Brexit, cheval de Troie du trumpisme ?

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Depuis la visite infernale de Donald Trump au Royaume-Uni, les véritables enjeux du Brexit apparaissent plus clairement. Venu à Londres à l'invitation pressante de Theresa May, le président américain ne pouvait pas se montrer hôte plus ingrat : il a publiquement humilié la première ministre en jugeant " très regrettable " la façon dont elle conduit les négociations avec l'Union européenne (UE) et il a répété que Boris Johnson, le ministre des affaires étrangères démissionnaire, ferait bien mieux qu'elle à sa place.
Mais en soufflant sur le brasier de la vie politique britannique et en claironnant son soutien aux partisans d'un divorce brutal avec l'UE, M.  Trump a montré ce qu'il attend du Brexit : une satellisation américaine, voire " trumpiste " du Royaume-Uni et la transformation de ce dernier en un paradis fiscal, " libéré " des règles sociales et environnementales, à même de casser l'ensemble européen continental formé par ses vingt-sept voisins.
Le président américain cite l'UE comme son premier " ennemi ", avant la Russie et la Chine. Il a -conseillé à Theresa May de la " poursuivre en justice " au lieu de négocier avec elle, comme s'il s'agissait d'une vulgaire société concurrente.
L'UE " tire avantage " des Etats-Unis, selon lui, en refusant de s'ouvrir à leurs produits agricoles, tout en dépensant moins qu'eux pour sa défense puisque protégée par leur parapluie militaire. Cette rhétorique rappelle celle utilisée par M.  Johnson et ses amis brexiters pendant la campagne du référendum de 2016. Ils prétendaient que l'Europe accepterait en quelques mois les exigences du Royaume-Uni pour sauver ses exportations. Comme si ni l'histoire ni la géographie ne comptaient, comme si les rapports entre Etats se  réduisaient à l'arithmétique des balances commerciales.
En réalité, c'est en vain que les Britanniques tentent depuis deux ans de conserver les avantages de l'UE après leur sortie. Le rapport de force politique s'est révélé si défavorable et l'impasse de leurs négociations avec Bruxelles si profonde, que l'on peine à entrevoir une issue médiane : soit les Britanniques font machine arrière pour demeurer dans le marché unique ; soit ils prennent l'option Trump-Johnson d'une sorte de Singapour sur la Manche.
Libérer le commerceCe projet n'a jamais été clairement expliqué aux électeurs pro-Brexit. Mais le plan Trump de déstabilisation de l'Europe n'est pas un pur produit d'importation. Le président américain possède au Royaume-Uni des alliés obsédés au moins autant que lui par l'idée de faire éclater l'UE, dont les réglementations et le principe de coopération contreviennent à la vision ultralibérale et unilatéraliste du monde.
On s'est beaucoup interrogé sur la quasi-concomitance entre la victoire du Brexit au  référendum de 2016 et l'élection de Donald Trump. Sans doute tient-elle aux similarités entre les deux pays, où la faiblesse des filets de sécurité sociale a aggravé la brutalité de la crise financière et où le besoin de protection et la volonté de revanche sur les élites se sont manifestés de la façon la plus radicale.
Aujourd'hui, le parallélisme entre le projet des " hard brexiters " -conservateurs et celui du président américain est patent. Ils souhaitent un accord de libre-échange avec Washington que M.  Trump promet au prix d'un divorce total avec l'UE.
" Si  Trump avait négocié le Brexit, nous n'en serions pas là ", a estimé récemment en substance Boris Johnson. " Il a raison, appuie l'éditorial de l'hebdomadaire conservateur The Spectator. La guerre commerciale - engagée par M. Trump -pourrait provoquer le choc qui forcera l'UE à ouvrir son marché agricole et à promouvoir un commerce plus libre " en levant, par exemple, " l'interdiction injustifiée des aliments aux OGM et du poulet lavé à l'eau de Javel ".
Rendue plausible par l'impasse actuelle, la perspective d'un échec des négociations entre Londres et Bruxelles correspond au souhait non exprimé des " hard brexiters " britanniques et probablement à celui de Donald Trump. Il provoquerait un terrible choc économique par le retour des postes-frontières, mais il permettrait à Londres de s'affranchir totalement de l'UE et de mettre sur les rails l'option Singapour. La procédure du référendum, longtemps étrangère à la tradition politique britannique, que Margaret Thatcher qualifiait d'" outil pour les dictateurs ou les démagogues ",déboucherait alors sur une deuxième révolution thatchérienne bénie par Donald Trump.
Philippe Bernard
© Le Monde

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